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Intervention de Roland Muzeau

Réunion du 7 septembre 2010 à 21h30
Réforme des retraites — Motion de renvoi en commission

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaRoland Muzeau :

Temps de parole estimatif, monsieur le président…

Monsieur le président, monsieur le ministre du travail, de la solidarité et de la fonction publique, monsieur le ministre chargé des relations avec le Parlement, monsieur le secrétaire d'État chargé de la fonction publique, mes chers collègues, les députés communistes, républicains et du parti de gauche abordent cette discussion du projet de loi gouvernemental avec la ferme volonté de se faire entendre et de faire entendre, dans cet hémicycle, les voix, majoritaires dans notre société, de celles et ceux qui restent profondément attachés au droit à la retraite à 60 ans.

Nous porterons haut et fort les exigences citoyennes d'un vaste et vrai débat de société par-delà les oukases idéologiques et le corset de la pseudo-question financière. Nous démontrerons qu'il n'y a pas de fatalité, ni financière, ni politique. Nous ferons la preuve que le champ des possibles est vaste et porteur de progrès, et qu'une alternative crédible à la paupérisation des retraités et à cette régression sociale que constitue la déconstruction de notre système de retraite existe bel et bien.

N'en déplaise aux néo-libéraux que vous êtes, shootés à un individualisme toujours ennemi de 1'égalité et de la solidarité, la France est en mesure d'assurer collectivement une retraite et un revenu décents à ses aînés. Nous devons aujourd'hui ambitionner pour les plus jeunes un projet autrement porteur que votre « épargnez pour votre avenir ! » C'est une question de choix politique.

Je sais que, sur les bancs de droite comme sur ceux des ministres d'ailleurs, certains, à court d'arguments mais jamais de contrevérités et de mépris, céderont à la caricature et tourneront en dérision les propositions de l'opposition et des députés communistes, républicains et du Parti de gauche. Ils en seront jugés d'autant plus sévèrement par nos concitoyens.

Des millions de manifestants vous ont interpellés. Plus nombreux encore, des millions de grévistes vous interrogent. Vous les méprisez !

Avec 2,5 millions de manifestants, la journée de mobilisation d'aujourd'hui est une initiative justifiée aux yeux de 73 % des Français, qui jugent également nécessaire le renforcement de notre système de retraite. Si tous les syndicats rejettent votre réforme, c'est tout simplement parce qu'eux aussi considèrent que votre projet est injuste et inacceptable. Ils sont en phase avec une opinion publique qui juge très sévèrement le fond de cette réforme, effectivement qualifiée d'injuste et d'inéquitable par plus de 79 % des sondés.

Nous avons conscience qu'il est nécessaire, qu'il est indispensable, de repenser la protection sociale en général, affaiblie par la dégradation du statut de l'emploi, l'enracinement de la précarité et de la pauvreté qui résultent de ce capitalisme au nouveau visage de capitalisme de casino.

Nous mesurons les besoins structurels et conjoncturels de financement de nos régimes de retraite, plombés par la crise. Si les 680 000 suppressions d'emploi des 18 derniers mois pèsent effectivement lourd dans les comptes des régimes, en multipliant par trois les besoins de financement, notre système de retraite est surtout asséché par le refus des gouvernements de droite d'augmenter les ressources des régimes, par les désastreux choix de politiques économiques et de l'emploi de ces mêmes gouvernements, qui conduisent à ce que la part des produits financiers dans la valeur ajoutée des entreprises soit désormais près de deux fois supérieure à celle des cotisations sociales.

Nous mesurons la perte de confiance dans notre système de retraite des deux tiers des moins de 35 ans qui pensent qu'ils n'auront pas de retraite confortable, tandis que d'autres souffrent de la chute du niveau des pensions, une chute de 13 % en moyenne pour les salariés du privé.

Nous n'entendons cependant, pour « raccrocher » ou « ouvrir notre pays au monde » selon les expressions de Denis Kessler et de Jean-François Copé, ni vous laisser dire « adieu 1945 ! », ni, a fortiori, arquer d'un pseudo-archaïsme du modèle social qui est le nôtre.

Permettez-moi de verser à notre débat quelques extraits d'un article paru en 2007 dans Challenges. Ils éclairent le projet sarkozyste supposé sauvegarder nos régimes par répartition alors qu'il contribue en fait à leur désocialisation, c'est-à-dire, comme l'expliquent les politistes et économistes Agathe et Julia Cagé, « la réduction du système de couverture publique au profit du développement de couvertures privées sans que ce choix éminemment politique ne soit assumé comme tel ».

Denis Kessler, président du cinquième groupe réassureur mondial, défend une réforme systémique de nos régimes de retraite avec l'instauration d'un régime unique par points misant sur la responsabilité individuelle et la réduction au minimum du système de solidarité collective. Écoutez-le bien, car c'est, à droite, votre maître à penser !

« Le modèle social français, dit-il, est le pur produit du Conseil national de la Résistance. Un compromis entre gaullistes et communistes. Il est grand temps de le réformer, et le Gouvernement s'y emploie…

« Les annonces successives des différentes réformes par le Gouvernement peuvent donner une impression de patchwork, tant elles paraissent variées, d'importance inégale, et de portées diverses : statut de la fonction publique, régimes spéciaux de retraite, refonte de la Sécurité sociale, paritarisme, etc. À y regarder de plus près, on constate qu'il y a une profonde unité à ce programme ambitieux. La liste des réformes ? C'est simple, prenez tout ce qui a été mis en place entre 1944 et 1952, sans exception. Elle est là. Il s'agit aujourd'hui de sortir de 1945, et de défaire méthodiquement le programme du Conseil national de la Résistance ! »

Denis Kessler ajoute : « À l'époque se forge un pacte politique entre les gaullistes et les communistes. Ce programme est un compromis […]. Ce compromis, forgé à une période très chaude et particulière de notre histoire contemporaine (où les chars russes étaient à deux étapes du Tour de France, comme aurait dit le Général), se traduit par la création des caisses de Sécurité sociale, le statut de la fonction publique, l'importance du secteur public productif et la consécration des grandes entreprises françaises qui viennent d'être nationalisées, le conventionnement du marché du travail, la représentativité syndicale, les régimes complémentaires de retraite, etc. Cette “architecture” singulière a tenu tant bien que mal pendant plus d'un demi-siècle. Elle a même été renforcée en 1981, à contresens de l'histoire, par le programme commun. Pourtant, elle est à l'évidence complètement dépassée, inefficace, datée. »

Et le même Kessler de conclure : « Il aura fallu attendre la chute du mur de Berlin, la quasi-disparition du parti communiste, la relégation de la CGT dans quelques places fortes, l'essoufflement asthmatique du Parti socialiste comme conditions nécessaires pour que l'on puisse envisager l'aggiornamento qui s'annonce. Mais cela ne suffisait pas. Il fallait aussi que le débat interne au sein du monde gaulliste soit tranché, et que ceux qui croyaient pouvoir continuer à rafistoler sans cesse un modèle usé, devenu inadapté, laissent place à une nouvelle génération d'entrepreneurs politiques et sociaux. Désavouer les pères fondateurs n'est pas un problème qu'en psychanalyse. »

Cette longue citation éclaire merveilleusement le sens du combat des amis du Fouquet's.

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