Les Français, leur avait-on promis, allaient travailler plus pour gagner plus. Aujourd'hui, ils sont très inquiets : non seulement ils ne vont pas gagner plus, mais travailler plus longtemps – pour ceux dont les conditions de travail sont difficiles et l'espérance de vie limitée, la pilule est d'autant plus difficile à avaler –, mais voilà que soudain, à des milliers de kilomètres de Paris, le Premier ministre nous annonce la rigueur.
Il est vrai que nos compatriotes n'ont pas de quoi d'être surpris. Le programme de stabilité, publié au début de l'année, incluait déjà une hausse de deux points des prélèvements obligatoires entre 2011 et 2013. Quant aux taxes, ils peuvent avec raison avoir le sentiment de payer plus : qu'il s'agisse des franchises médicales ou du forfait hospitalier, dix-neuf taxes de ce type ont été instaurées ou majorées depuis 2007 !
Les propositions que nous avons élaborées, et que mes collègues ont développées, ont été rejetées d'un revers de main. Au contraire de celles de la majorité, elles avaient pourtant le mérite de financer les retraites jusqu'en 2025.
La diffusion du document du Gouvernement « Tout comprendre sur la réforme des retraites », élaboré par vos soins, monsieur le ministre, aurait à cet égard pu attendre le vote du texte par le Parlement en septembre. Quant aux exemples qui y sont cités, ils ne sont pas satisfaisants. J'évoquerai celui de « Denise », 56 ans, manutentionnaire dans une usine : « À la suite de ports répétés de charges lourdes, elle souffre de raideurs de l'épaule et de sciatique chronique. Celles-ci ont été reconnues comme maladies professionnelles à un taux supérieur à 20 %. Elle a été reclassée dans un emploi de bureau. » Mais les petites entreprises privées, comme celles du secteur textile où les manutentionnaires portent sans cesse des pièces de tissu extrêmement lourdes, de 40 ou 50 kilos – j'ai vécu cette situation trente ans de ma vie –, ne reclasseront pas ces salariés ! Cet exemple, comme les autres – je les ai tous étudiés –, est tendancieux. Si ce document suscite de l'espoir, c'est en mélangeant le vrai et le faux. Il n'est à la hauteur ni des enjeux ni de l'inquiétude des Français.
Pourquoi ne proposez-vous pas un peu plus de 3,7 milliards d'euros de recettes nouvelles ? Pourquoi n'avez-vous ni écouté ni pris en compte nos propositions ?
Le caractère extraordinaire de votre logique en matière de pénibilité et d'espérance de vie est bien illustré par l'exposé des motifs de l'article 3. À l'exemple du Rapporteur, nous pourrions nous réjouir de ce que, grâce au nouveau « point d'étape retraite » instauré par le projet de loi, les Français puissent mieux connaître, à 45 ans, leur situation à la date où ils prendront leur retraite, ainsi que les perspectives d'évolution de leurs droits « notamment en fonction de leurs choix de carrière ». Mais imaginons une femme de 38 ans, qui aura donc 45 ans avant 2018, caissière dans une grande surface, à la tête d'une famille monoparentale – autrement dit qui élève seule deux enfants. Comment peut-on parler d'un choix de carrière ! Découvrir à 45 ans l'état futur de ses droits sera plutôt pour elle une source de grande inquiétude sur son avenir ! Je le sais par expérience, les carrières des femmes qui exercent ce type de métier sont déjà chaotiques. Pour celles qui n'ont pas eu la chance de pouvoir en exercer d'autres, toute prévision offerte à 45 ans ne sera d'aucun secours. Quant aux dispositions relatives aux carrières longues et à la pénibilité, elles inquiètent également profondément les Français.
Nous avons été déçus par ailleurs, monsieur le président, par les modalités d'examen de la recevabilité financière des amendements. Selon la tradition, les amendements sont tous examinés en commission, y compris ceux qui seront ensuite déclarés irrecevables en application de l'article 40 de la Constitution. Tel n'a pas été votre choix. Certes, certains de nos amendements pouvaient toucher aux recettes. Mais des amendements de membres du groupe UMP tendant à diminuer les recettes de l'État n'ont-ils pas été acceptés lors de l'examen du projet de loi de modernisation de l'agriculture ? Y aurait-il deux poids, deux mesures ? De plus, notre amendement n° 314 ainsi rejeté, qui prévoyait – j'y tenais beaucoup – l'élargissement du bénéfice de la pension de réversion aux personnes pacsées, aurait permis au Président de la République de tenir l'une des promesses phares qu'il avait formulées en 2007. Dans une interview parue en mars 2007, le candidat Sarkozy s'exprimait ainsi : « Je suis donc pour une union civile homosexuelle qui ne passe pas par le greffe du tribunal d'instance mais par la mairie – c'est logique –, et je vais ajouter ceci que je n'ai jamais encore dit : cette union civile à la mairie entraînera une égalité fiscale, sociale, patrimoniale totale avec les couples mariés, qui ira par exemple jusqu'au droit à la pension de réversion pour le conjoint homosexuel. » La prise en compte de notre amendement aurait permis de réaliser cette promesse.
Enfin, nos collègues de la majorité ont critiqué nos plaintes sur la tenue à huis clos de la présente réunion. Alors que notre président Jean-Marc Ayrault a demandé plusieurs fois en Conférence des présidents que le débat soit au moins retransmis sur La Chaîne parlementaire, vous nous dites, monsieur le président, qu'un compte rendu écrit impeccable sera très rapidement consultable sur Internet. Mais, suivre un débat sur LCP est pour beaucoup préférable à en lire le compte rendu sur Internet ! LCP, dont nous venons de fêter les dix ans d'existence, est tout de même habilitée à retransmettre des débats de commission !
Lorsque je siégeais en Conférence des présidents, j'ai souvent fait remarquer aux présidents de commissions que la diffusion sur LCP des débats, par exemple d'une mission d'information, avait de fortes conséquences sur le nombre de personnes qui s'y intéressaient. Nous le constatons sur le terrain. J'ai aussi insisté sur ce point lors des débats sur la réforme du Règlement. Vu l'inquiétude des Français, la retransmission de ce débat aurait permis plus de démocratie.
Quant aux propos tenus ce matin par Jean-François Copé, ils finiraient par nous faire douter de l'intérêt de débattre cet après-midi en compagnie de deux ministres. Il est regrettable que déposer des amendements en commission – voire même examiner un projet de loi en commission – puisse être considéré comme inutile !