Pas plus que mon collègue Alain Vidalies, je ne me faisais d'illusion à la veille de ce débat. Le Président de la République a très clairement expliqué voilà quelques jours que, constituant un élément essentiel du quinquennat, la réforme proposée n'était pas à débattre, et – cela nous a été confirmé aujourd'hui – qu'elle ne pouvait être révisée qu'à la marge, durant l'été, sur le point particulier de la pénibilité.
Les déclarations du président du groupe UMP ne sont pas non plus pour nous surprendre. Les critiques envers le président de notre groupe pour sa participation au débat de la Commission des affaires sociales sont pour moi incompréhensibles. Il me paraît plus judicieux pour un président de groupe de venir écouter les débats, comme l'a fait Jean-Marc Ayrault que de se répandre dans la presse. Même si la messe est dite, j'aurais préféré que les médias, plutôt que d'avoir communication de nos propos, les entendent en direct en lieu et place de déclarations faites par des parlementaires, qui n'auront participé que furtivement, voire pas du tout, à la discussion en commission.
Ne nous voilons pas la face et ne trompons pas nos électeurs. L'exercice que nous accomplissons ici est un exercice obligé, incontournable, rendu obligatoire par les institutions de la Ve République. Pour autant, nous le savons très bien, le Parlement n'est aujourd'hui qu'un petit appendice du pouvoir exécutif. Vous le constaterez encore demain, la presse évoquera bien plus largement les événements, positifs ou négatifs, qui se déroulent au sein de ce dernier que le débat qu'aura tenu la Commission des affaires sociales. Qu'on le regrette ou non, c'est ainsi, et je crois, monsieur le ministre, que vous le constatez tous les jours.
Ce n'est cependant pas là un motif pour nous taire. Les médias, je crois, seraient mieux mobilisés s'ils entendaient un vrai débat en direct. Nos propos en seraient du reste sans doute modifiés : nous devrions nous garder des provocations. Peut-être même les idées des uns et des autres pourraient-elles progresser à cette occasion : c'est au moyen du débat et non pas de discours unilatéraux que s'avance le progrès !
Nous sommes tous conscients des conséquences qu'entraîne le vieillissement de la population : parmi elles figurent des modifications sensibles de notre manière de vivre à la fois le temps actif et le temps du repos.
Le projet a néanmoins le mérite de mettre en évidence nos divergences fondamentales sur les modes de financement. Il est exemplaire de l'action menée depuis plusieurs années. Dominique Tian l'a souligné, il ne prévoit aucune taxation pour les capitaux et reporte l'intégralité de la charge sur les salariés et les travailleurs. Faut-il rappeler que le début du quinquennat a été marqué par la loi dite « TEPA », qui a instauré le bouclier fiscal et la défiscalisation des heures supplémentaires, comme s'il s'agissait de donner plus à ceux qui ont déjà beaucoup et de prendre à ceux qui ont peu ?
Alors que le projet socialiste prévoit une taxation des capitaux de 19 milliards d'euros, le projet de loi la limite, malheureusement, à 1,7 milliard d'euros, montant auquel s'ajoute une taxation de 2 milliards d'euros sur les entreprises. C'est bien peu pour le projet phare du quinquennat !
Le Fonds de réserve pour les retraites, cette construction si dénigrée, si maudite, qualifiée de rocambolesque, est aussi devenue l'une des pierres de la réforme proposée ! Sans l'action du Gouvernement Jospin et les 34,5 milliards d'euros du fonds – dont la dotation, je le rappelle, devait atteindre 150 milliards d'euros en 2020 –, le Gouvernement ne pourrait pas proposer aujourd'hui de réforme des retraites. La disparition des réserves du fonds va rendre aussi sans doute toute nouvelle réforme impossible. Comment allez-vous procéder en 2018 ? Comme l'a dit Alain Vidalies, vous utilisez déjà une réforme structurelle – réalisée par le Gouvernement Jospin – pour pallier un élément conjoncturel, dû à la crise économique ! Vous vous en servez pour créer un déséquilibre considérable entre le capital et le travail. Et, bien sûr, vous ne prévoyez aucune mesure pour sa reconstitution.
Le projet socialiste, au contraire, prévoit cette reconstitution, par le moyen d'un impôt sur les sociétés. Ainsi, après avoir pris nos responsabilités dans le passé, nous les prenons de nouveau, contrairement à vous, pour l'avenir.
Je pourrais développer encore la question des déséquilibres entre les financements que vous prévoyez et ceux que nous envisageons. Je voudrais cependant aborder la pénibilité. Le rapport entre vos prévisions du nombre de personnes qui pourront être concernées par le dispositif – 10 000 – et le total des salariés – 25 millions – est proprement provocateur. Comment pouvez imaginer faire de la prise en compte de la pénibilité un symbole de votre réforme tout en limitant à 10 000 le nombre de bénéficiaires du dispositif ? Je le dis comme député d'une terre de sidérurgie, l'addition des salariés concernés des seules régions Lorraine et Nord-Pas-de-Calais suffirait largement à remplir ce quota ! Faut-il qualifier cette disposition de mirage ou d'alibi ? Le projet socialiste n'est pas une simple réforme comptable. La prise en compte de la pénibilité en fait partie, là où vous ne voyez qu'un modeste appendice à la notion d'invalidité.
Vous évoquez aussi des transferts de l'Unedic vers la CNAV comme sources de financement possible pour les retraites. Mais, messieurs les ministres, sur quels éléments pouvez-vous vous fonder pour considérer que les 40 % de personnes entre 48 et 65 ans qui, aujourd'hui, ne travaillent pas travailleront demain ? Comme l'a indiqué Christophe Sirugue, rien dans l'étude d'impact ne concerne l'amélioration des conditions de travail ni la prise en compte des troubles musculo-squelettiques et les problèmes psychosociaux dans le travail.
Il m'aurait aussi paru nécessaire, monsieur le président, que nombre d'amendements que nous avons déposés puissent être examinés au fond, et non pas écartés au préalable. À cet égard, une comparaison en pourcentage et par groupe des amendements refusés n'est pas pertinente : le rejet de nos amendements interdit tout simplement le débat. Or, du fait des changements de procédure induits par la réforme de la Constitution, l'Assemblée nationale va travailler en séance plénière sur le texte adopté en commission et non sur celui du Gouvernement. Autrement dit, les points sur lesquels portaient nos amendements ne pourront pas être traités en séance publique comme ils auraient dû l'être ici.