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Intervention de Alain Vidalies

Réunion du 20 juillet 2010 à 15h00
Commission des affaires sociales

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaAlain Vidalies :

Comment s'étonner que nos débats se déroulent de la sorte alors que le huis clos était une erreur manifeste ? Si, au contraire, la transparence avait été de rigueur, chacun aurait défendu son point de vue sans se livrer à une bataille de communiqués ! Par ailleurs, un tel procédé n'est-il pas contradictoire avec la réforme constitutionnelle du travail en commission ? Je rappelle à ce propos que la discussion en séance publique ayant lieu à partir du texte issu de nos travaux, certaines de ses dispositions pourront être considérées comme définitives. Comme pour le patinage artistique, j'ai donc le sentiment que nous en sommes aujourd'hui aux figures imposées – qui ne sont jamais télévisées –, les figures libres venant dans un second temps. Parce que ce n'est pas ainsi que le travail en commission sera réhabilité je vous invite, monsieur le président, à ouvrir nos prochains débats à la presse et à faire en sorte qu'ils soient retransmis par LCP-AN.

En outre, venant ce matin de ma lointaine province, une intervention de Jean-François Copé m'a littéralement sidéré : le président du groupe UMP à l'Assemblée nationale a considéré que notre discussion vise simplement à « prendre la température ». Je vous avoue que, si je n'avais pas dû respecter les consignes du président du groupe socialiste, j'aurais succombé à la tentation de faire demi-tour. « Prendre la température », est-ce une formule convenable alors que MM. Woerth et Tron sont parmi nous et que nous sommes nombreux à nous être réunis ? Au final, notre travail est donc doublement dévalorisé, et par une telle déclaration et par une telle méthode.

Si cette discussion est importante en ce qu'elle concerne l'ensemble des Français, ces derniers n'ont pas moins une approche différente de la question des retraites en raison de leurs intérêts propres – lesquels sont fonction, par exemple, de leur parcours professionnel ou de leur patrimoine. La retraite n'est, en effet, pas la même pour un salarié qui ne dispose que d'elle pour vivre et pour celui qui peut compléter ses revenus par la location d'un appartement ou d'une maison. De la même manière, l'espérance de vie n'est pas la même pour un ouvrier ou un cadre, non plus d'ailleurs que la perception qu'il peut avoir de son travail ou les conditions de ce dernier. Comment donc trouver une solution commune ? C'est ici que se situe le choix politique. J'insiste : parce que la retraite est le seul patrimoine de ceux qui n'en ont pas, c'est à eux qu'il convient d'abord de penser.

De surcroît, si les approches peuvent différer en ce qui concerne l'âge de départ à la retraite, pourquoi proposer une réforme offrant plus de souplesse à ceux dont les difficultés sont les moindres ? Ainsi, les cadres en bénéficieront-ils quand les ouvriers se verront opposer plus de contraintes, et c'est précisément en cela que votre réforme est injuste.

Par ailleurs, cette dernière n'est que la réforme de votre réforme de 2003 et, là, vous aurez des comptes à rendre ! Ce sera d'ailleurs pour vous un exercice redoutable lorsque nous nous livrerons, en séance publique, à certaines comparaisons. En 2003, vous prétendiez également répondre aux problèmes posés par la situation démographique de notre pays à partir des rapports du COR, le Premier ministre d'alors, M. Jean-Pierre Raffarin, son ministre des affaires sociales, M. François Fillon, et le rapporteur, M. Xavier Bertrand, arguant d'un déficit de 43 milliards d'euros à l'horizon de 2020 – d'où l'allongement de la durée des cotisations et, l'économie française se portant nécessairement de mieux en mieux selon eux, le transfert d'une partie des cotisations chômage sur l'assurance vieillesse, lequel aurait permis d'atteindre l'équilibre tant attendu.

Monsieur le ministre du travail, vous avez l'habitude d'utiliser cette formule étonnante, « les déficits ont gagné dix ans »,... qui vous évite de reconnaître que la situation s'est aggravée, puisque les déficits prévisibles pour 2020 sont constatés en 2010.

La question démographique a été posée en 2003 : or, comme il y a peu de chances que des salariés soient arrivés à la retraite en 2010 sans que leur existence ait été connue en 2003, ce n'est pas le paramètre démographique qui a changé depuis cette date, mais bien celui du niveau d'emploi, en raison de la crise. Nous pouvons tous partager ce constat en dépit de la divergence de nos analyses. On ne saurait donc reprendre aujourd'hui des arguments démographiques pour justifier une réforme qui, en réalité, présente la facture de la crise aux salariés français qui en ont déjà payé très largement le prix.

Cette intuition est confortée par la double communication du Gouvernement : Mme Christine Lagarde et vous-même vous êtes répartis les rôles. D'un côté, vous expliquez aux Français que la réforme est un passage obligé pour sauver le système par répartition tandis que, de l'autre, Mme Christine Lagarde informe les marchés financiers que la réforme se fonde sur les paramètres cumulés les plus durs d'Europe, que ce soit en termes d'âge de départ à la retraite ou de nombre d'annuités nécessaires pour bénéficier du taux plein. Mme Christine Lagarde a même déclaré aux marchés que la France irait plus vite en la matière que l'Allemagne – nous y reviendrons en séance publique. Vous ne faites pas une réforme pour les Français, mais pour les marchés financiers.

Vous-même, monsieur Jacquat, dans votre rapport d'information sur le rendez-vous de 2008 sur les retraites, avez écrit qu'il ne convient pas de prévoir une modification de l'âge légal du départ à soixante ans, qui est « un acquis social majeur ». La remise en cause d'un « acquis social majeur » étant par définition un « recul social majeur », j'espère, monsieur le rapporteur, que, dans votre prochain rapport, vous reprendrez les termes de 2008 : chacun pourra ainsi constater que vous remettez en cause un « acquis social majeur ». Il est vrai que vous n'êtes pas le seul à avoir changé de position sur le sujet. Jean Mallot a rappelé les déclarations péremptoires du Président de la République : il n'avait pas été élu pour « cela ». De même, certains, qui sont intervenus, avaient déclaré en 2003 qu'il ne fallait pas modifier l'âge légal du départ à la retraite. Il leur appartient de justifier un revirement aussi complet.

Par ailleurs, monsieur le ministre, que deviendront les chômeurs ou tous ceux qui bénéficient du RSA et qui approchent les 60 ans ? Je suis très étonné que le projet de loi soit muet sur le sujet, compte tenu des déclarations que vous avez faites à la convention de l'UMP le 25 mai dernier : « Je veux dire en particulier aux salariés âgés qui sont actuellement au chômage que je proposerai dans le cadre de la réforme un dispositif permettant d'éviter que l'augmentation de la durée d'activité ne les conduise à rester plus longtemps au chômage et donc à y perdre financièrement ». Le projet de loi les oublie : il faut passer aux actes, monsieur le ministre, pour rassurer ces centaines de milliers de Français qui seront immédiatement frappés par la réforme des retraites. Toutefois, je tiens à le rappeler après Jean Mallot que l'étude d'impact ne répond pas aux questions sur l'évaluation de la réforme.

Je discerne un autre changement, plus grave encore, sur la question de la pénibilité. En effet, si la droite et la gauche ne partagent pas les mêmes approches notamment sur le financement des retraites, du fait qu'il s'agit d'une question non seulement technique mais également politique – les Français arbitreront le moment venu –, en revanche, nous aurions pu adopter une démarche commune sur la question de la pénibilité, puisque, à la suite de la réforme de 2003, les partenaires sociaux ont travaillé sur le sujet. En effet, si la négociation a échoué, elle a donné lieu à des propositions intéressantes, si bien que nous disposons aujourd'hui des études réalisées par les partenaires sociaux, de projets d'accord relativement élaborés et des travaux demandés par le COR sur plusieurs années, visant à dégager une définition précise de la pénibilité au travail au travers, notamment, de statistiques. Tout ce matériau pouvait aboutir à une volonté commune de traiter la question. Or, le projet de loi adopte une démarche inverse en se fondant sur la pénibilité constatée et non sur les risques subis avant que celle-ci ait été constatée, alors même que les représentants de l'UMP eux-mêmes comprennent que la simple exposition à des facteurs de risques, notamment cancérigènes, diminue l'espérance de vie des ouvriers de sept ans par rapport aux cadres.

Chacun sait ici que ce n'est pas au moment où l'ouvrier travaille qu'il subit les conséquences les plus graves de son exposition à de tels facteurs, mais après avoir travaillé. Est-on capable de mesurer ces risques ? Or, sur cette question également, monsieur le ministre, nous pouvons observer de votre part un changement complet par rapport à ce même discours à la convention de l'UMP, dans lequel vous déclariez que vous intégreriez dans la réforme la reconnaissance de la pénibilité, ajoutant : « Nous nous appuierons sur la définition des partenaires sociaux qui ont privilégié l'approche par les facteurs d'exposition, qui est la seule possible ». C'était, je le répète, le 10 mai dernier, et voici que le projet de loi prévoit exactement le contraire : une incapacité de 20 % avec une référence à la législation sur les accidents du travail et les maladies professionnelles, lesquelles impliquent des questions d'imputabilité et de procédure qui sont une horreur absolue. Comment avez-vous pu nous proposer un tel texte ? La question de la pénibilité aurait pu être au coeur d'un important débat républicain : vous le renvoyez à plus tard.

Monsieur le ministre, voici qu'au manque de transparence qui entoure nos travaux et à l'agression verbale de Jean-François Copé, ce matin, sur la qualité de ceux-ci, s'ajoute le fait qu'on ne retrouve pas dans le texte le contenu des déclarations que vous aviez effectuées à son sujet : pensez-vous que les parlementaires peuvent accepter de débattre dans de telles conditions ? Les discussions ont manifestement lieu ailleurs qu'ici. Les députés de l'UMP en sont-ils informés ? En tout cas, nous ne le sommes pas.

Cette réforme, qui est majeure pour les Français, est l'objet de deux visions très différentes. C'est pourquoi, elle sera le lieu d'une opposition frontale entre deux projets. Ce n'était pas une raison pour écarter toute transparence et refuser d'engager le débat sur des questions que nous aurions pu partager, comme la pénibilité.

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