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Intervention de Jean Mallot

Réunion du 20 juillet 2010 à 15h00
Commission des affaires sociales

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaJean Mallot :

Par ailleurs, si nous ne pouvons pas examiner les amendements dès cet après-midi, c'est aussi parce qu'il faut attendre les amendements de la Commission des finances saisie pour avis.

Je regrette que l'UMP s'emploie à chercher l'incident à tout bout de champ, car le débat que nous menons est riche et intéressant, et aussi important pour la vie politique de notre pays que pour celle de nos concitoyens. Tenir cette réunion de travail législatif à huis clos est d'ailleurs sans doute anticonstitutionnel. L'article 33 de la Constitution dispose, en effet, que les séances de l'Assemblée nationale sont publiques. Or, depuis la révision constitutionnelle d'août 2008, l'on discute dans l'hémicycle des textes élaborés en commission. Par conséquent, le travail législatif s'effectue désormais aussi en commission, laquelle devrait donc être publique. Je ne serais pas surpris que le Conseil constitutionnel déclare bientôt de tels procédés inconstitutionnels, à propos par exemple d'une partie de texte qui aurait été adoptée par amendement dans une commission à huis clos et qui n'aurait pas été rediscutée dans l'hémicycle. Le temps nous le dira.

Je voudrais revenir enfin sur la campagne de publicité qu'a évoquée Marisol Touraine. Celle-ci a coûté entre 7 et 8 millions d'euros, même si les estimations varient. Son contenu ne s'appuie ni sur l'avant-projet de loi dont nous avons débattu ni sur le présent projet, mais sur les travaux préparatoires qui les ont précédés, avant que la discussion publique ait lieu, que le droit d'amendement s'exerce et qu'on puisse présenter un texte résultant du vote du Parlement. Il s'agit donc d'un acte de mépris à l'égard de celui-ci.

Pour appuyer mon argumentation, je reviendrai sur les trois périodes qui se sont succédé depuis 2007.

De lois de financement de la sécurité sociale en lois de financement de la sécurité sociale, nous avons d'abord vu le Gouvernement repousser les échéances et rejeter nos amendements, alors même que nous formulions des propositions de nature à résoudre les problèmes de déficit de la Sécurité sociale en général et des régimes de retraite en particulier. J'en présenterai quatre illustrations.

Selon l'article 12 de la loi du 21 août 2003, les partenaires sociaux devaient se concerter pour prendre en compte la pénibilité du travail dans les régimes de retraite. En cas d'échec de ces négociations, le Gouvernement devait soumettre des propositions au Parlement – la différence d'espérance de vie entre un ouvrier et un cadre supérieur est de sept ans, et c'est donc, et à juste titre, une question très importante pour nos concitoyens. La notion de pénibilité est à peu près la seule qui soit indiscutable pour opérer une discrimination relative à l'âge du départ en retraite. Les partenaires sociaux ont longuement discuté et se sont accordés sur la définition des trois critères de pénibilité qui ont été rappelés et sur lesquels nous présenterons des amendements. Mais ils n'ont pas abouti sur les conclusions à en tirer pour leur application. Le MEDEF aurait voulu une application individualisée, « sur mesure », les syndicats de salariés demandant de leur côté, et avec raison, que les critères de pénibilité permettent un départ en retraite plus précoce. Les représentants du patronat suggéraient que les personnes ayant occupé des emplois pénibles soient, en fin de carrière, employées à temps partiel – comme si l'on mourait à temps partiel ! La négociation sociale n'ayant donc pas abouti, le Gouvernement n'a pas, pour autant, pris ses responsabilités en proposant un mécanisme de prise en compte de la pénibilité dans les régimes de retraite.

Le débat sur l'âge légal de départ en retraite, pour sa part, se poursuit depuis 2007. Le 22 janvier 2007, le futur président Sarkozy déclarait au journal Le Monde que devait demeurer le droit à la retraite à 60 ans. Le 27 mai 2008, sur RTL, en réaction à une proposition de Mme Laurence Parisot d'élever l'âge de la retraite à 63,5 ans, il considérait que, n'ayant pas pris un tel engagement devant les Français, il n'avait pas mandat pour le faire. Je ne m'étendrai pas davantage sur ses propos... Lors de la discussion du projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2009, à laquelle participaient notre Rapporteur, Denis Jacquat, et M. Xavier Bertrand, alors ministre du travail, le premier indiquait qu'avant de reculer l'âge de la retraite, encore fallait-il que les Français pussent travailler au moins jusqu'à 60 ans. Pourquoi a-t-il changé d'avis ?

Lors de la discussion du projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2009, M. Xavier Bertrand, répondant aux deux amendements défendus par Yves Bur et par Dominique Tian, qui proposaient de relever progressivement l'âge légal de départ en retraite, faisait valoir que repousser celui-ci sans changer les comportements en matière d'emploi des seniors, afin de faire coïncider l'âge légal et l'âge réel de départ en retraite, diminuerait mathématiquement le montant des pensions. « Êtes-vous prêt à l'assumer ? » demandait-il alors à Yves Bur qui, bien sûr, retira son amendement.

Puisque votre étude d'impact, monsieur le ministre, indique que « les mesures adoptées ne remettent pas en cause le pouvoir d'achat des retraités, actuels et futurs, et que l'équilibre financier ne se fera pas à travers une diminution du montant des pensions », l'UMP devra expliquer pourquoi elle a changé d'avis.

On évoque par ailleurs les déficits des régimes de retraite, notamment du régime général, mais où se situe la surprise ? Dans la loi de financement pour 2010, que vous avez votée, le déficit dépasse les 30 milliards d'euros chaque année, dont 12 à 16 milliards pour la vieillesse. Vous n'avez même pas, contrairement aux années précédentes, indiqué qu'on essaierait de s'orienter à terme vers l'équilibre.

Il est souvent dit, à tort que, les socialistes n'ont pas, durant la législature, formulé de propositions pour améliorer la situation des retraités de ce pays. Or, à titre d'exemple, une proposition de loi relative à l'extension du régime de retraite complémentaire obligatoire aux conjoints et aides familiaux de l'agriculture fut discutée et rejetée le 26 janvier dernier au scrutin public par la majorité UMP.

Dans une deuxième période – après le report des échéances de lois de financement de la sécurité sociale en lois de financement de la sécurité sociale –, le Gouvernement a manipulé l'opinion en instrumentalisant le COR. On a demandé à celui-ci de procéder à des simulations à l'horizon 2050. Il a alors dépeint une situation catastrophique montrant que les mesures d'âge ne suffiraient pas, même si le problème est démographique. Cela m'a rappelé le rapport du Club de Rome qui, en 1972, annonçait la fin du monde. Car, lorsqu'on prolonge les courbes, on aboutit forcément à une catastrophe.

Le COR estimait le besoin financier des régimes de retraite à 45 milliards d'euros pour 2025. Nous ne pouvions donc échapper à la remise en cause de la retraite à 60 ans. Cela relève d'une méthode de communication bien connue, que le directeur du Service d'information du Gouvernement applique régulièrement, comme il l'a fait pour la grippe A, et qui consiste à maximiser la crise pour mieux piloter ensuite les choses en manipulant tout le monde.

L'exposé des motifs du projet de loi indique, ce qui est exact, que depuis 1982, l'espérance de vie a augmenté de 6,3 ans. À cette époque, la durée de cotisation était de 150 trimestres, elle est aujourd'hui de 162. Or 12 trimestres équivalent à 3 ans, soit près de la moitié de l'augmentation de l'espérance de vie. Une partie du problème démographique a donc déjà été résolue.

Vous nous parlez de l'espérance de vie à la naissance et à 60 ans, mais vous ne nous parlez jamais de l'espérance de vie en bonne santé. Elle de 61,3 ans pour un homme et de 62,4 ans pour une femme. Cela signifie que lorsque l'âge légal de la retraite sera porté à 62 ans, la moitié de la population partira en retraite malade !

Avec la troisième période, le masque tombe. Après avoir évoqué les échéances de 2025 et de 2050, le Gouvernement présente un projet de loi dont l'échéance se situe en 2018. Depuis des années, il a laissé filer les déficits, quand il ne les a pas creusés lui-même. Sous la pression des marchés financiers, il estime maintenant qu'il faut redresser la barre. Il n'a pas supprimé l'impôt de solidarité sur la fortune (ISF), il l'a seulement contourné par le bouclier fiscal, dont nous mesurons chaque jour la véritable nature. Il n'a pas aboli les 35 heures, il s'est contenté de les amodier, notamment par des mécanismes d'heures supplémentaires défiscalisées. Mais, comme il lui faut donner des gages au MEDEF et aux marchés financiers, il va défaire la retraite à 60 ans.

Pour combler le déficit à court terme, le Gouvernement choisit de mettre la main sur le Fonds de réserve pour les retraites à hauteur de 34 milliards d'euros. Il s'agit là d'un détournement, qui nous démunit devant la bosse démographique de 2020. Or, nous avions formulé des propositions afin d'abonder ce fonds, en prélevant quinze points supplémentaires sur l'impôt sur les sociétés versé par les banques.

Pour autant, le plan du Gouvernement n'est pas financé. Il manque encore 15,6 milliards d'euros par an.

Pour dégager des recettes, le Gouvernement utilise la technique du pâté d'alouette – double en l'occurrence – et de cheval. Afin de compenser les besoins financiers des régimes de retraite, il déplace les bornes d'âge et va chercher quelques ressources du côté des revenus du capital. Mais, 90 % de la charge pèsera sur le cheval, c'est-à-dire sur les travailleurs salariés et non salariés ; les 10 % restant pèseront sur l'alouette, c'est-à-dire sur les revenus du capital – au sein desquels on retrouve un autre pâté d'alouette, avec une augmentation, de 40 à 41 %, de la tranche supérieure de l'impôt sur le revenu, ce qui rapportera moins de 300 millions d'euros. Et pour accroître encore les ressources, le Gouvernement propose de modifier le mode de calcul des exonérations de cotisations sociales sur les bas salaires sur une base annuelle et non pas mensuelle, ce qui produira environ 2 milliards d'euros. Or, nous avions proposé cette mesure l'an dernier par un amendement n° 251 au projet de loi de financement de la sécurité sociale que vous avez rejeté ! Il s'agissait de faire respecter le dispositif d'exonération selon son principe de départ et que les entreprises ont contourné dans la pratique. Cette disposition devait rapporter 2 à 3 milliards d'euros.

Au bout du compte, le projet de loi prétend traiter de l'alignement des régimes de retraite du secteur public et du secteur privé. En réalité, il aboutit à une baisse du pouvoir d'achat des fonctionnaires – nous le démontrerons. Nous sommes en face d'un projet tronqué, ce qui correspond d'ailleurs aux habitudes du Gouvernement. M. Xavier Bertrand ne nous avait-il pas ainsi parlé de « flexisécurité » ? Or, si les dispositions relatives à la flexibilité sont intervenues, celles sur la sécurité se font toujours attendre. De même, dans le présent projet de loi, la partie concernant les recettes est renvoyée à plus tard.

Nous avons donc compris la vraie nature du sarkozysme : il s'agissait de travailler plus pour gagner plus, nous découvrons aujourd'hui qu'il s'agit de travailler plus longtemps pour gagner moins. Nous aurions préféré nous en tenir au programme du Conseil national de la Résistance, qui entendait instituer « une retraite permettant aux vieux travailleurs de finir dignement leur vie. »

Pour conclure, je voudrais évoquer la question de l'étude d'impact. Tous les projets de loi doivent, en effet, être accompagnés d'un tel document. Mais celui que nous avons lu ne constitue pas véritablement une étude d'impact : ce n'est qu'un exposé des motifs un peu développé. Je voudrais donc poser quelques questions importantes au ministre.

Le COR a travaillé sur des hypothèses et fourni des simulations à l'horizon 2018, 2025 et 2050. Celles-ci se fondaient-elles sur les mesures déjà choisies par le Gouvernement ?

L'étude d'impact souffre d'un grave manque : la prise en compte de l'incidence de la réforme, notamment les mesures d'âge, sur les autres dispositifs sociaux et sur les autres régimes, comme celui de la Commission des accidents du travail et des maladies professionnelles (CATMP), sur le revenu de solidarité active (RSA) avec, en arrière-plan, la question du transfert de charge sur les collectivités locales, ainsi que sur les dispositifs d'allocation d'équivalents retraite.

Quelle sera l'incidence du report de l'âge de la retraite à 62 ans sur le taux de chômage ? Que vont devenir ces demandeurs d'emplois contraints d'attendre plus longtemps leur retraite ? Quel sera l'impact sur le chômage des jeunes ? Rien ne figure concernant ces questions.

Le Fonds de réserve pour les retraites, dilapidé par votre projet de loi, est géré à long terme depuis 1999 de façon à lisser la bosse démographique prévue pour 2020. Or, vous voulez le liquider à court terme : là encore, rien ne nous renseigne dans l'étude d'impact.

À la question majeure portant sur ce qui se passera après 2018, vous nous répondez : « on se reverra. »

L'étude d'impact mentionne, enfin, des consultations obligatoires, notamment celles des organismes de sécurité sociale, tels que la CNAV et la CNAMTS. Les votes y furent souvent très serrés – la Commission des accidents du travail et des maladies professionnelles (CATMP) s'est prononcée avec cinq voix pour et quatre voix contre ; la CNAV avec treize pour et douze contre ; la CNAMTS avec quinze pour et quatorze contre –, ce qui est lourd de signification quand on connaît la composition des conseils d'administration de ces organismes. En revanche, nous ignorons le contenu de leurs avis, qui auraient dû être joints à l'étude d'impact. Nous ne savons pas davantage si le Gouvernement les a, ou non, pris en considération. Nous désirerions donc maintenant en avoir connaissance. Ces avis ont-ils, le cas échéant, modifié le projet de loi ?

Selon l'étude d'impact, le conseil d'administration du Régime social des indépendants (RSI) a émis des observations. Lesquelles ? Le Conseil supérieur de la fonction publique hospitalière et le Conseil supérieur de la fonction publique territoriale se sont montrés majoritairement défavorables au projet. Nous ne disposons pas du texte de leur avis. Le Conseil d'orientation sur les conditions de travail et le Conseil supérieur de l'égalité professionnelle entre les hommes et les femmes ont également été saisis : nous ne connaissons ni leur vote ni leur avis.

L'étude d'impact évoque les conséquences de l'allongement des carrières sur la santé au travail mais uniquement dans le secteur public.

Je vous demande donc, monsieur le ministre, de compléter cette étude, dont l'insuffisance justifie que la Conférence des présidents n'inscrive pas ce projet de loi à l'ordre du jour.

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