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Intervention de Rolande Ruellan

Réunion du 1er juillet 2010 à 9h00
Mission d’évaluation et de contrôle des lois de financement de la sécurité sociale

Rolande Ruellan, présidente de la sixième chambre de la Cour des comptes :

La branche Famille a tendance à traiter les indus frauduleux comme les autres indus. De ce fait, il n'y a pas de réelle différence de procédure, même si en principe le délai de prescription n'est pas le même dans les deux cas.

Dans la branche Maladie, le fait que les frontières ne soient pas nettes entre fraude, abus et faute s'explique sans doute par le fait que face aux caisses, il y a non seulement les assurés, mais aussi les professionnels de santé. Il n'est pas toujours facile d'apprécier le comportement des uns et des autres et de savoir s'il est frauduleux ou si l'on a « optimisé » les imprécisions ou les failles de la réglementation.

Dans la branche Famille, et le rapport en donne de nombreux exemples, le principe était de considérer les bénéficiaires comme insoupçonnables. Il fallait que la qualification pénale puisse être établie pour que l'on admette qu'il y avait fraude. Les choses sont en train d'évoluer ; la Caisse nationale des allocations familiales rappelle aujourd'hui que ce critère pénal n'est pas le bon.

On nous a dit, et nous y avons été sensibles, que la réglementation, par sa complexité et ses caractéristiques, prêtait à la fraude, ou en tout cas rendait le contrôle difficile. On pense bien sûr à la condition d' « isolement » sur laquelle repose le bénéfice de certaines prestations familiales. Pose également problème le fait que les conditions de ressources soient définies différemment d'une prestation à l'autre, ce qui ne simplifie ni la compréhension des assurés ni les contrôles des organismes. Sans doute y a-t-il là un peu de nettoyage à faire.

Bref, il faudrait aussi que l'on arrive à une définition plus opérationnelle de la fraude, dans laquelle l'ensemble des caisses se retrouverait plus aisément.

Enfin, nous avons cherché à savoir comment ce qui se faisait au niveau national se traduisait au niveau des caisses locales.

À cet égard, nous avons constaté que les caisses nationales ont encore un rôle de coordination et d'impulsion insuffisant, malgré tous les outils qui sont maintenant en place. Elles restent dans l'idée qu'elles ne doivent pas attenter à l'autonomie de gestion des organismes de leur réseau. Or le fait de récupérer l'information au niveau national, de la traiter, de faire redescendre ensuite les bonnes pratiques, d'évaluer et de comparer les performances des caisses locales pourrait avoir un effet d'aiguillon. En ce domaine, les caisses nationales sont encore trop timides. Le rapport donne un exemple d'absence d'exploitation et de diffusion de bonnes pratiques : l'affaire du Subutex, à Toulouse, où la caisse a décidé, pour éviter le trafic, qu'elle ne rembourserait ce produit que s'il était, pour une même personne, prescrit par le même médecin et délivré dans la même pharmacie. Pourquoi n'a-t-on pas assuré la diffusion de cette bonne pratique dans l'ensemble du réseau, alors que son effet a été notable ? L'accompagnement des caisses locales, donc, est encore insuffisant.

Les actions de prévention sont certainement, elles aussi, insuffisantes, notamment au niveau de la communication.

C'est d'abord le cas dans la communication interne. Les agents sont considérés, par définition, comme insoupçonnables ; or on a vu, dans la branche Vieillesse, que le désir de partir très vite à la retraite avait pu être plus fort que la déontologie. La communication interne existe néanmoins, et quelques efforts sont faits – même si ce n'est pas toujours facile : il faut essayer d'éviter qu'une personne liquide sa propre retraite ou celle de son conjoint, mais on ne connaît pas toujours les liens de parenté ou d'amitié qui peuvent exister.

Quant à la communication externe, à destination du public, elle est diverse. La publicité d'une condamnation est une peine supplémentaire qui doit être prononcée par le juge – les caisses ne peuvent pas décider d'elles-mêmes de publier dans les journaux le nom des fraudeurs. En revanche, elles pourraient afficher dans les locaux des caisses, dans un but préventif, une liste anonyme des sanctions infligées. Cela commence à se faire, mais il faudrait développer cette pratique.

Nous nous sommes penchés aussi sur la question des dénonciations et de l'exploitation des signalements. Dans les pays anglo-saxons, la dénonciation est encouragée et parfois même rémunérée, mais en France, on n'aime pas la délation, surtout s'il s'agit d'une dénonciation anonyme. Tout dépend, en fait, de la culture de l'équipe de direction ou des agents. La situation commence à progresser, mais globalement ces dénonciations devraient être mieux exploitées.

Nous avons par ailleurs regretté qu'il n'existe pas de fichier des fraudes constatées. Nous donnons dans le rapport des exemples, certes anciens et un peu caricaturaux, mais parlants : une personne peut avoir à un endroit un comportement réellement frauduleux, éventuellement passible de condamnation pénale, puis changer de région et recommencer… Sans doute les caisses nationales n'ont-elles pas le droit de constituer ce genre de fichiers, mais il faudrait examiner les moyens de réunir de telles données.

Nous appelons par ailleurs l'attention sur le fait qu'une chose est de détecter une fraude, mais qu'une autre est de la poursuivre. Les poursuites peuvent demander des compétences juridiques et des capacités proches de celles d'un juge d'instruction ; bien souvent, les petits organismes ne savent pas comment procéder sans risquer d'être contestés devant le tribunal.

S'agissant des sanctions, les caisses ont parfois tendance à considérer que récupérer les indus suffit. Or si l'on s'en contente, la fraude ne coûtera rien de plus à celui qui l'a commise que s'il n'avait pas cherché à frauder. Les sanctions que la loi a permis de prononcer sont encore très peu utilisées par les caisses, et c'est dommage. Pour beaucoup de fraudes, les sanctions administratives sont beaucoup plus rapides et mieux adaptées que les sanctions pénales.

En conclusion, notre constat est, comme je le disais, en demi-teinte : il y a des progrès, notamment au niveau national, dans la prise de conscience et dans les outils, mais l'appropriation de ces derniers est un peu lente. Elle progresse néanmoins, et les caisses communiquent sur la fraude plus qu'on aurait pu l'imaginer il y a quelques années ; il faut espérer qu'elles ne se contenteront pas de le faire sur les fraudes détectées, mais qu'elles iront plus loin dans l'évaluation, la sanction et la prévention de la fraude. Mais la prévention ne dépend pas que d'elles : il faut aussi que les textes ne soient pas des « pièges à fraudes ».

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