La délégation nationale à la lutte contre la fraude, dont l'action se situe depuis sa création en avril 2008 dans le périmètre des finances publiques, est parvenue avec l'ensemble des personnes et des organismes confrontés à la question de la définition de la fraude elle-même – car la frontière entre la fraude, l'abus, la faute, l'erreur et l'omission n'est en effet pas facile à établir – à dégager trois grandes caractéristiques : c'est un acte intentionnel, commis au détriment des finances publiques et entraînant un préjudice. C'est d'ailleurs une même définition que la circulaire interministérielle du ministre de la justice et du ministre du budget du 6 mai 2009 a reprise : est considérée comme fraude « toute irrégularité, acte ou abstention ayant pour effet de causer un préjudice aux finances publiques, commis de manière intentionnelle ».
La délégation nationale à la lutte contre la fraude a pour objet de coordonner toutes les actions anti-fraude. Elle n'est pas une administration supplémentaire. Elle ne se substitue pas au travail effectué par les organismes anti-fraude dont certains, comme l'administration fiscale, ont jusqu'à quatre-vingt-trois années de contrôle derrière eux. Mais ce travail présentant la particularité d'être à la fois émietté et très cloisonné, elle a un rôle de coordination et de pilotage : elle incite les agents contrôleurs à se parler et à agir en commun, afin de mieux dépister la fraude.
Nous sommes une toute petite équipe, composée de douze cadres aux profils très variés. Quand on veut faire de la transversalité, il est indispensable d'avoir des personnes capables d'établir des ponts entre différentes structures, par exemple entre la Caisse nationale d'allocations familiales et la direction générale des finances publiques. Notre mission consiste à aider les organismes anti-fraude à identifier des chantiers sur lesquels ils peuvent conduire des actions communes.
Notre équipe comprend des informaticiens, un magistrat, deux agents des impôts, un agent de la direction générale du travail – le travail dissimulé, ou illégal, est, en effet, une source importante de fraude –, un auditeur, une juriste, Mme Armelle Beunardeau, et un commissaire divisionnaire de la police nationale, M. Geoffroy Fougeray, qui m'ont accompagné aujourd'hui.
Comme nous n'avons aucun rapport hiérarchique avec les administrations, cet ensemble très complémentaire de compétences est à même d'animer et de piloter leurs efforts et de faciliter leurs actions afin de faire avancer les dossiers de manière consensuelle.
La délégation nationale à la lutte contre la fraude a de nombreuses missions dont je n'énumérerai que les principales.
Nous sommes chargés d'évaluer quantitativement et qualitativement la réalité de la fraude. Comme il s'agit d'une économie souterraine, nous nous heurtons à des difficultés importantes pour la chiffrer. Pour établir une meilleure estimation de celle-ci, nous cherchons en permanence à améliorer un outil, que nous avons mis au point, de typologie des fraudes consistant, à partir de cas concrets, à proposer des dispositions juridiques et organisationnelles destinées à améliorer le système et, le cas échéant, à « boucher les trous dans la raquette ».
La formation des agents est une autre de nos priorités. Dans une démarche transverse comme la nôtre, le croisement des savoir-faire des différents spécialistes du contrôle est très important. Nous avons, d'entrée de jeu, lancé un ambitieux programme de formation inter-administrations, venant s'ajouter à celle dispensée dans chaque maison, portant notamment sur la fraude à l'identité et la fraude à la résidence, connues jusque-là uniquement de certains services, comme la police aux frontières.
Dans le cadre de notre rôle de coordination entre les services de l'État et entre les organismes de protection sociale, nous sommes chargés de stimuler les échanges d'informations. Cela passe par l'orientation et l'accompagnement des démarches de rapprochement de fichiers à l'intérieur d'un même organisme ou entre plusieurs structures. Un bon exemple est la suppression des déclarations de ressources pour les allocations familiales : non seulement cela a simplifié les démarches pour les assurés, mais encore cela a permis, grâce aux recoupements avec les fichiers de la direction générale des finances publiques, de mettre en évidence des fraudes aux allocations familiales.
Cela passe aussi par la transmission des informations – de ce que nous appelons, dans notre jargon, des signalements. L'exemple type est les procès-verbaux de travail illégal : ils doivent impérativement être transmis à l'URSSAF, remplis en bonne et due forme, par les forces de contrôle qui ont agi.
Un effort important est réalisé depuis deux ans – Mme Rolande Ruellan, présidente de la sixième chambre de la Cour des comptes, a dû évoquer ce point devant vous – pour introduire une dimension anti-fraude dans les conventions d'objectifs et de gestion : elles comportent non seulement des orientations sur les moyens à mettre en oeuvre par les caisses ou les branches, mais également des indicateurs pour évaluer la lutte contre la fraude dans ces organismes.
Les conventions d'objectifs et de gestion concernent tous les secteurs qui vous intéressent : branche Famille, branche Vieillesse, branche Maladie et Agence centrale des organismes de sécurité sociale. Trois conventions, qui venaient à échéance, ont été réactualisées et nous sommes en discussion avec la direction de la sécurité sociale et la Caisse nationale d'assurance maladie des travailleurs salariés pour la révision de la convention d'objectifs et de gestion de cette caisse.
Nous exerçons une veille juridique permanente. Nous suivons au plus près la mise en place et le développement des dispositions législatives réglementant la lutte contre la fraude. Cela nous oblige à des remises à jour constantes parce que la fraude évolue, ce qui nous conduit, chaque année, à demander l'adoption d'une ou deux dispositions lors de l'examen du projet de loi de financement de la sécurité sociale ou du projet de loi de finances rectificative.
Les comités locaux, qui ne s'appellent plus comités locaux de lutte contre la fraude (CLU) mais comités départementaux opérationnels anti-fraude (CODAF), et qui ont été pérennisés par un décret du mois de mars dernier, sont un élément clé du dispositif. Le réseau se met en place : soixante-deux comités sont déjà constitués ou en voie de l'être, trente-quatre sont en cours de lancement. Sous la double présidence du préfet et du procureur de la République, ils sont composés de représentants de différents services de l'État et organismes de protection sociale – dont Pôle emploi – et de membres des forces de police, de gendarmerie et de l'administration fiscale.
Leur rôle est très important. Constitués en réseau, ils sont chargés de détecter les problèmes, d'échanger sur les faits de fraude qui se présentent et de créer des groupes opérationnels pour les traiter. En d'autres termes, leur mission est de s'attaquer à la fraude directement à la racine.
Les résultats dont nous disposons sont ceux de la phase expérimentale. Le reporting sera mieux assuré à l'avenir. On a chiffré le montant du préjudice redressé ou évité grâce aux comités locaux à 150 millions d'euros à peu près sur l'ensemble de l'année 2009.
Se pose, à cet égard, la question du secret professionnel. Il faut s'assurer qu'il soit levé entre les personnes entre lesquelles il doit l'être, mais ni plus ni moins. Un article a été intégré à ce sujet dans le projet de loi d'orientation et de programmation pour la performance de la sécurité intérieure, dite LOPSI 2, à la fin de l'année dernière. Nous attendons que la procédure législative suive son cours. Une stabilisation en la matière est essentielle, de façon à fluidifier les échanges d'informations.