Je crois que, en ce qui concerne la Turquie et le parti actuellement au pouvoir, on n'a pas encore pris la mesure du changement par rapport aux vieilles élites kémalistes. Il s'agit d'un parti qui représente la grande bourgeoisie anatolienne, conservatrice, bigote, si l'on peut employer ici ce terme, et très industrieuse. Les questions d'Islam, de radicalisme sont à examiner dans ce contexte. Il y a aussi une nette évolution en ce qui concerne les femmes. Il y a deux ans, la Cour suprême devait faire échec au dépôt d'un projet de loi sur l'adultère féminin. En deux ans, au cours de nos deux visites successives, nous avons vu une nette évolution, depuis un point de départ proche de la caricature.
Sur la question kurde dont le gouvernement a fait une de ses priorités depuis 2009, on constate également des évolutions : il y a désormais une télévision publique en langue kurde, qui est par ailleurs enseignée dans un département de langue orientale de l'université. Le projet d'« ouverture démocratique » est certes loin d'avoir abouti mais il y a une volonté réelle de progresser sur ce thème. J'invite d'ailleurs à faire le parallèle avec la Syrie où la situation des kurdes est moins favorable. Pour M. Boucheron, je précise qu'un Ocalan a été condamné à mort et qu'il est en prison. Face au regain de violence actuel, les responsables turcs souhaitent relancer le processus démocratique en direction des Kurdes. Sur le respect des minorités, les choses doivent être nuancées. Les minorités religieuses en Turquie ne sont pas aidées et l'absence de reconnaissance de leur personnalité juridique leur pose problème. Lors d'un déplacement il y a deux ans, on a ainsi pu voir ce qu'il en était des minorités chrétiennes, qui ne peuvent pas avoir les moyens d'entretenir leurs monuments, qu'on empêche de former de jeunes générations capables de prendre la relève. Les minorités musulmanes ne sont guère mieux traitées malgré les discours d'ouverture et de tolérance. Elles sont ainsi fortement incitées à adopter des pratiques proches de celles de la majorité. Il y a donc encore beaucoup de progrès à faire, sans parler de la question chypriote.
Sur la question de l'adhésion à l'Union européenne, il y a deux ans, je vous aurais répondu non. Aujourd'hui, je dirais qu'il ne faut pas insulter l'avenir. Le monde va vite. La planète traverse une crise financière et morale. Il faut continuer le processus de négociation et lorsque le problème se posera, on s'apercevra qu'ils sont fortement tournés vers nous. Cela étant, pourquoi tout le monde pousse-t-il à cette adhésion ? Les Palestiniens que nous avons rencontrés comme l'a rappelé Mme Aurillac considèrent que si la Turquie était membre de l'Union européenne, elle se mêlerait moins des affaires du Proche-Orient tandis que l'Union européenne pourrait s'y impliquer davantage. Il faut souligner en même temps le poids de l'Egypte dans la région.
Enfin, concernant l'Arménie et l'Azerbaïdjan, j'ai une sensation d'enlisement. Cependant, la Turquie est assez pragmatique : quand le moment sera venu, ils seront capables d'avancer.
Puis la commission autorise la publication du rapport d'information.