Monsieur le président, mesdames et messieurs les députés, c'est bien volontiers qu'au lendemain du débat d'orientation sur les finances publiques, je viens devant votre commission. Vous comprendrez aisément qu'il m'était impossible de le faire plus tôt.
Le premier élément qui justifie l'effort demandé à la défense est la dégradation de nos comptes publics ; je tiens à rappeler qu'une hausse des taux d'intérêt d'emprunt de la France de 1 % représenterait à terme 14 milliards d'euros de charge de dette supplémentaire, soit la quasi-totalité du budget d'équipement des armées. Nous ne pouvons donc pas nous permettre de voir notre situation financière trop se dégrader. Même s'il fallait que les missions fixées par le Livre blanc soient maintenues, les armées ne pouvaient être exonérées d'un effort. Ainsi que je l'indiquais en réponse à la question qui m'a été posée hier, à l'occasion de l'examen du projet de loi sur la reconversion des militaires, par le député-maire de Cherbourg ici présent, il n'y a pas d'opposition entre la réduction de la dette et la préservation de notre outil militaire. Dans les deux cas, il en va de la souveraineté et du rayonnement de notre pays : si une puissance militaire lui est indispensable, un endettement qui ne prenne pas un tour insupportable l'est aussi.
Vous savez aussi qu'interrogés dans le cadre de sondages, une majorité de Français citent le budget de la défense comme le premier sur lequel des économies doivent être recherchées. Quelle que soit l'approche géopolitique de chacun d'entre nous, nos compatriotes n'auraient pas compris que le ministère de la défense, et lui seul, soit dispensé de l'effort en cours. Agir de la sorte n'aurait pas été rendre service aux armées.
Cet effort survient du reste après trois années exceptionnelles. Alors que pendant la loi de programmation militaire 2002-2007, 15 milliards d'euros en moyenne étaient consacrés chaque année à l'équipement des forces, en 2009 et 2010 les montants ont respectivement atteint 18 et 17 milliards d'euros, traduisant un effort largement supérieur à l'inflation.
Dans tous les pays de l'Union européenne, la défense contribue fortement à la baisse des dépenses publiques : l'Allemagne et le Royaume-Uni se sont ainsi engagés dans des révisions drastiques. Celle de l'Allemagne sera d'au moins 20% et selon mon homologue Liam Fox, que j'ai rencontré il y a dix jours, la révision britannique sera sans doute du même ordre. Autrement dit, dans les États européens confrontés à des problématiques d'endettement, le budget de la défense est beaucoup plus touché par les réductions de crédits qu'il ne l'est en France, cette remarque valant même pour le Royaume-Uni qui a pourtant l'ambition de rester une puissance militaire globale.
S'il n'était donc pas envisageable que le ministère de la défense soit dispensé d'effort, celui-ci devait préserver les grands équilibres de la loi de programmation militaire.
Je rappelle qu'aux termes de celle-ci, le budget de la défense devait passer de 30,1 milliards d'euros en 2010 à 32,7 milliards en 2013, après des augmentations successives de 500 millions de 2010 à 2011, de 1,2 milliard de 2011 à 2012 et de 1 milliard de 2012 à 2013. Ces montants, qui correspondaient à la trajectoire financière du Livre blanc, étaient totalement incompatibles avec le cadrage des dépenses de l'État défini par le Premier ministre le 11 mai dernier pour la période 2011-2013, c'est-à-dire la stabilisation non pas en volume mais en valeur des crédits de l'ensemble des ministères.
Ce cadrage est cohérent avec le programme de stabilité notifié par la France à l'Union européenne. Son application mécanique à la défense aurait dû entraîner une baisse cumulée de nos crédits de 4,8 milliards d'euros nets sur ces trois ans par rapport à la loi de programmation militaire, induisant une révision de nos objectifs et partant du format des armées.
Cela aurait été possible mais se serait traduit par un renoncement déchirant de nos ambitions. C'est le message que j'ai adressé au Président de la République et au Premier ministre et c'est dans ce contexte que nous avons engagé les discussions.
L'arbitrage finalement rendu est favorable à la défense. Je crois qu'il nous faut être responsables et ne pas demander un régime trop exceptionnel : n'oublions que chaque minoration de l'effort demandé à la défense se fait au détriment d'un autre ministère. Dès lors que nous avons indiqué à l'Union européenne que le budget de l'État serait maintenu en valeur sur trois ans, lorsque ce n'est pas le cas pour une mission, cela entraîne des efforts supplémentaires pour les autres.
Pour rigoureux qu'il soit, l'arbitrage rendu comporte une autre dérogation : il se traduira par une progression de 350 millions d'euros de 2011 à 2012, suivie d'une nouvelle progression de 500 millions de 2012 à 2013. Le budget de la défense sera ainsi de 30,15 milliards d'euros en 2011, de 30,5 milliards en 2012 et de 31 milliards en 2013, soit une progression de 3 % en valeur.
Par ailleurs et malgré les interrogations des membres de cette commission, il me faut rappeler que les recettes exceptionnelles restent une ressource à venir. Si nous n'avons pas pu les réaliser jusqu'à présent, leur insuffisance a été intégralement compensée en exécution par des crédits supplémentaires pour ne pas déséquilibrer le budget de la défense.
De plus, pour la première fois, le surcoût des opérations extérieures a été financé en intégralité par des abondements externes de crédits. Cela marque une rupture avec le régime précédent où chaque année, leur financement aboutissait à une diminution des crédits d'équipement d'au moins 500 millions d'euros.
Dans une situation économique très difficile, les années 2008 à 2010 ont fait remonter le budget d'équipement de la défense, en euros constants, au niveau qu'il atteignait en 1992, au lendemain de la chute du mur de Berlin. Je crois que les militaires ne sont pas près d'oublier ces années ! Les arbitrages rendus par l'exécutif, soutenu par le Parlement, sont uniques en Europe : aucun autre ministre de la défense européen ne peut se targuer d'un budget de ce niveau.
Nous avons réévalué les recettes exceptionnelles de 2,3 milliards d'euros par rapport à ce que prévoyait la LPM pour les années 2011 à 2013.
En effet, M. Jean-Ludovic Silicani, le président de l'autorité de régulation des communications électroniques et des postes (ARCEP), que j'invite les rapporteurs budgétaires à rencontrer, nous a indiqué que l'estimation initiale des ventes de fréquences était inférieure aux perspectives actuelles.
Nous prévoyons aussi des recettes exceptionnelles au titre des cessions d'actifs immobiliers pour un montant de l'ordre de 900 millions d'euros sur la période triennale, sur la base de la valeur domaniale estimée par France Domaine.
Je souhaiterais évoquer maintenant l'impact de cet arbitrage sur le plan d'économies que nous préparons.
En 2009, nous avons renégocié la plupart des grands programmes d'armement : les frégates européennes multimissions (FREEM), le véhicule blindé de combat d'infanterie (VBCI), les sous-marins nucléaires d'attaque Barracuda, l'équipement individuel pour fantassins FELIN… Engager un rééchelonnement des calendriers aurait été très difficile et coûteux. Par ailleurs, il aurait induit un accroissement du prix unitaire des matériels décidé par les industriels ; la Cour des comptes nous a d'ailleurs souvent fait des observations sur ce point.
Aujourd'hui, la situation des industriels est relativement confortable : ils ont bénéficié d'excellentes années d'application de la loi de programmation militaire. Par ailleurs, le montant des exportations en 2007 était de 5,7 milliards d'euros. Grâce aux efforts de tous, il est passé à plus de 8 milliards d'euros cette année : l'industrie de défense a donc bénéficié de 2,3 milliards d'euros supplémentaires de commandes, sachant que nous comptabilisons les exportations non pas à la signature du contrat mais au paiement du premier acompte, c'est-à-dire au moment où l'exécution du contrat est certaine.
Quelles sont les conséquences de l'effort qui nous est réclamé sur les capacités et l'activité des forces ?
Il nous obligera d'abord à accroître nos économies de fonctionnement, pour atteindre une réduction de 10 % environ des coûts en 2013 par rapport à 2011. Cela dit, nous profitons des mesures de massification des achats déjà engagées : la simple réorganisation du système et le regroupement des acheteurs ont entraîné par exemple 9 millions d'euros d'économies par an sur les achats de téléphonie fixe et mobile et 4 millions d'euros par an sur les achats de mobilier de bureau. Pour la seule année 2010, le regroupement des achats a permis d'économiser plus de 30 millions d'euros. Nous continuons ce regroupement, et nous espérons en tirer 290 millions d'euros d'économies sur la période 2011-2013. Nous allons aussi renégocier la convention passée avec la SNCF relative au remboursement des avantages tarifaires accordés aux militaires sur la base des préconisations d'un récent rapport du contrôle général des armées.
Il nous faudra aussi réduire les flux consacrés à l'entretien immobilier.
L'évolution des cours du pétrole et de la parité entre l'euro et le dollar pourra avoir des conséquences sur l'activité des forces : lorsque l'euro baisse, le coût du pétrole se renchérit.
Nous serons aussi dans l'obligation de décaler le lancement de programmes non encore contractualisés, comme la rénovation des Mirage 2000 D, le système SCCOA 4, certaines composantes du programme de modernisation de l'armée de terre Scorpion, les avions ravitailleurs MRTT ou encore l'achat d'avions Falcon 2000 pour le Gouvernement. Les cibles d'achat de certains équipements d'accompagnement seront également réduites.
Cette politique ne sera cependant pas systématique. Des programmes d'une haute importance stratégique, comme le programme d'observation spatiale MUSIS, ne seront pas retardés, sauf remise en cause de leurs engagements par nos partenaires étrangers.
Ces mesures vous seront présentées en détail lors de la discussion budgétaire.