Même s'il y a peu de femmes intégralement voilées dans le département des Ardennes, je me sens particulièrement concernée par ce problème car à plusieurs reprises, en tant que sage-femme, j'ai été témoin des difficultés rencontrées par certaines femmes pour accéder aux soins ou simplement mener une vie normale. Au cours de mes voyages, en Égypte ou en Syrie, par exemple, j'ai pu constater la progression du voile intégral et ses conséquences pour l'autonomie des femmes.
Lorsque André Gerin, en juin dernier, a demandé la constitution d'une commission d'enquête sur ce sujet, je m'y suis tout de suite associée, même si cette initiative émanait d'un autre groupe politique car il s'agit d'un sujet qui nous concerne tous. La mission d'information qui a travaillé tout au long de l'année 2009, a permis de dresser un état des lieux de la situation et à l'issue de ces travaux, je suis convaincue que la République Française doit se mobiliser pour mettre un terme à ces comportements.
La Délégation aux droits des femmes a souhaité être saisie du projet de loi sur l'interdiction de la dissimulation du visage dans l'espace public.
Ce rapport de la Délégation aux droits des femmes a pour objectif de présenter les conséquences de la dissimulation du visage dans l'espace public pour le droit des femmes et d'en analyser les conséquences qui remettent en cause leur autonomie et leur libre arbitre.
Un long travail a déjà été mené par la mission parlementaire présidée par André Gerin et dont le rapporteur a été Éric Raoult. Nous avons auditionné de multiples spécialistes de l'Islam, des représentants d'associations qui oeuvrent pour les droits des femmes et des associations d'élus locaux. Toutes les personnes entendues ont condamné cette pratique et un consensus s'est dégagé pour dire qu'il est indispensable de mettre un point d'arrêt à une pratique qui remet en cause nos valeurs républicaines.
Il ne faut pas oublier qu'il s'agit là de la partie émergée de l'iceberg. De multiples tentatives sont lancées pour remettre en cause la neutralité de l'espace public. Des mouvements sectaires essaient ainsi d'affaiblir la laïcité et portent atteinte au principe d'égalité entre hommes et femmes. Ces comportements posent des problèmes pratiques comme par exemple l'accès aux soins ou aux services publics.
L'obligation de dissimuler son visage dans l'espace public remet en cause la mixité dans la cité. Je voudrais rappeler que la question de la permission ou non de la mixité entre hommes et femmes en Islam est loin de faire l'unanimité entre les savants et juristes musulmans. Les profondes divergences qui existent à ce sujet résultent, principalement de l'interprétation différente qui est faite des textes de références.
Ainsi, certains accordent priorité aux textes qui font allusion au fait qu'à l'époque du Prophète les femmes prenaient part à l'activité sociale ainsi qu'à la vie religieuse de la Cité : elles allaient prier à la mosquée où il n'y avait pas de séparation entre les rangées d'hommes et de femmes, et assistaient aux discours du Prophète. Pour ce qui est des versets qui imposent une dissimulation totale du corps et de la personne ou une séparation par rideau entre les femmes et les hommes, ils considèrent que cela ne s'applique qu'aux épouses du Prophète. Lorsque la mission d'information a auditionné une femme entièrement voilée, celle-ci a insisté sur son désir de suivre le mode de vie des épouses du Prophète.
D'autres affirment au contraire que la mixité entre hommes et femmes, même en public, n'est permise que dans les cas de besoin et de nécessité : le Prophète a clairement exprimé dans les Hadith l'interdiction pour un homme de s'isoler avec une femme étrangère et il a ordonné aux hommes et aux femmes de ne pas se mêler lorsqu'ils circulent dans la rue.
Tolérer que des femmes circulent dans l'espace public le visage masqué, serait accepter une remise en cause intolérable de nos valeurs démocratiques et républicaines. Le voile intégral porte atteinte de manière évidente à la liberté des femmes, et il concerne aussi les hommes, en leur imposant une vie sociale sans mixité.
Ces femmes perdant ainsi toute identité et spécificité personnelles sont finalement réduites à l'état d'objet, alors que rien ne saurait justifier ce déni de droit dans l'espace public et de refus de la citoyenneté.
Il faut, en outre, être clair sur le fait que ces femmes soient, ou non volontaires, pour dissimuler leur visage ne constitue pas le coeur du problème. Cette pratique marque, en effet, en elle-même, l'infériorisation de la femme et remet en cause les règles du vivre-ensemble. En outre, elle est en réalité la manifestation la plus visible d'un mouvement plus profond qui souhaite annexer l'espace public pour défendre des valeurs patriarcales et prétendument religieuses. Il s'agit au bout du compte de remettre en cause l'égalité des hommes et des femmes et la neutralité de la République. Cette pratique dénie aux femmes toute liberté car elle leur rend impossible l'accès au travail, mais aussi, d'autres aspects de la vie sociale tels qu'une pratique sportive, l'égal accès aux soins et à la contraception. André Gerin a témoigné à plusieurs reprises de sa prise de conscience en voyant progressivement le phénomène s'amplifier, au point de toucher aussi des mineures contraintes de porter le voile intégral.
Plus d'une année s'est écoulée depuis la création par la Conférence des Présidents de l'Assemblée nationale de cette mission. Depuis, un vaste débat républicain s'est engagé qui s'est conclu, sur le plan des principes, par le vote, à l'unanimité, d'une résolution le 11 mai dernier. Le projet de loi qui a été déposé par le Gouvernement constitue donc la dernière étape de ces travaux.
Ceux-ci ont mis en évidence un certain nombre de points. La quantification est évidemment extrêmement délicate même si l'étude menée par le ministère de l'Intérieur à la fin de l'année 2009 a permis de montrer la forte croissance de cette pratique : alors que le port du voile intégral était inexistant en France au début des années 2000, il y aurait actuellement en France 1 900 femmes portant le voile intégral. Je ne sais pas très bien selon quelle méthode statistique cette évaluation a été faite surtout que les premières estimations donnaient un chiffre beaucoup plus faible.
Si le port du voile intégral touche l'ensemble des régions de métropole, il se concentre dans quelques régions : l'Île-de-France, qui regroupe la moitié des cas recensés en France, Rhône-Alpes (160 cas) et Provence-Alpes-Côte d'Azur (une centaine de cas). Par ailleurs, sur les 1 900 femmes portant le voile intégral, 270 vivent à la Réunion et 20 à Mayotte.
L'étude a, par ailleurs, permis de dresser un portrait sociologique des personnes qui portent le voile intégral. Ce sont en très grande majorité des femmes jeunes, dans la mesure où la moitié d'entre elles a moins de 30 ans et 90 % a moins de 40 ans. 1 % d'entre elles sont des mineures, certaines ayant moins de 10 ans. Elles sont pour les deux tiers d'entre elles de nationalité française. Enfin, un quart des femmes intégralement voilées seraient nées dans une famille de culture, de tradition, ou de religion non musulmane et se seraient, par la suite, converties à l'islam. D'après tous les témoignages, les femmes converties sont les plus déterminées et adoptent des comportements extrémistes.
Au travers des divers apports au débat, dont la presse s'est largement fait l'écho, s'est progressivement ancrée l'idée selon laquelle la dissimulation permanente du visage dans l'espace public constituait l'antithèse des valeurs républicaines et qu'il était nécessaire d'empêcher ces pratiques, voire de les interdire le plus généralement possible.
Un consensus existe pour recourir à la loi dans le but d'endiguer ce phénomène. Il est en effet apparu lors des travaux de la mission d'information que la loi était l'outil normatif adapté pour interdire la dissimulation du visage, que cette interdiction soit générale ou limitée à certains lieux, l'article 34 de la Constitution attribuant compétence au législateur pour fixer les règles concernant « les garanties fondamentales accordées aux citoyens pour l'exercice des libertés publiques ».
Des divergences sont cependant apparues sur la marge d'appréciation dont disposait le législateur pour interdire cette pratique, fondant, pour les uns, la possibilité d'une interdiction dans l'ensemble de l'espace public et, pour les autres, la nécessité de la limiter aux services publics et à d'autres lieux en fonction des risques d'atteinte à l'ordre public. Le présent projet de loi a pris parti pour la première option et je soutiens cette option. Lorsque des principes constitutionnels sont en jeu, on ne comprendrait pas un excès de prudence c'est pourquoi il faut une interdiction générale dans l'espace public. De plus, Il sera plus facile de faire respecter une interdiction générale.
Je voudrais dire enfin quelques mots pour présenter le projet de loi. Pour une analyse juridique plus précise je vous renvoie au rapport de M. Jean-Paul Garraud qui est le rapporteur pour ce projet de loi au nom de la commission des Lois.
Une interdiction générale de dissimuler son visage dans l'espace public ne peut reposer que sur un fondement juridique unique : la notion d'ordre public. En effet, le rapport de la mission d'information, l'étude du Conseil d'État et les constitutionnalistes ont pointé les risques qu'il y aurait à tenter de trouver un autre fondement à cette interdiction. Ni le principe de laïcité, ni celui d'égalité entre les sexes ni celui de protection de la dignité de la personne humaine ne peuvent, en l'état actuel de la jurisprudence du Conseil constitutionnel et de la Cour européenne des Droits de l'Homme (CEDH) servir de base solide à une interdiction générale. En particulier, la violation de la dignité de ces femmes paraissait être le fondement le plus approprié pour justifier l'interdiction mais ce principe ne serait pas opérationnel notamment auprès de la Cour Européenne des Droits de l'Homme qui considère que cette notion est beaucoup trop subjective.
L'ordre public est d'abord et avant tout matériel. L'ordre public a également une dimension immatérielle qui peut être analysée, comme « un socle minimal d'exigences réciproques et de garanties essentielles de la vie en société, qui […] sont à ce point fondamentales qu'elles conditionnent l'exercice des autres libertés, et qu'elles imposent d'écarter, si nécessaire, les effets de certains actes guidés par la volonté individuelle ».
Ces exigences fondamentales du contrat social implicites et permanentes, pourraient impliquer, dans notre République, que, dès lors que l'individu est dans un lieu public au sens large, c'est-à-dire dans lequel il est susceptible de croiser autrui de manière fortuite, il ne peut ni renier son appartenance à la société, ni se la voir déniée, en dissimulant son visage au regard d'autrui au point d'empêcher toute reconnaissance.
Le fait de dissimuler son visage est donc vécu, à l'instar de l'exhibition sexuelle, comme « manifestant une certaine violence symbolique », pour reprendre les termes du philosophe Abdenour Bidar.
L'article 1er du projet de loi énonce donc l'interdiction de principe de porter, dans l'espace public, « une tenue destinée à dissimuler son visage ». Sa violation serait passible d'une contravention de deuxième classe, conformément à l'article 3.
L'expression de « dissimulation du visage » présente l'avantage de ne viser expressément aucune pratique ou coutume religieuse et de ne pas focaliser la définition de l'infraction sur les femmes contrevenantes, ce qui risquerait de constituer une rupture du principe d'égalité.
L'étude d'impact précise que les lieux ouverts au public doivent être compris comme des lieux qui accueillent du public et qui recouvre les lieux « dont plusieurs personnes, étrangères les unes aux autres, ne peuvent revendiquer l'exclusivité de la fréquentation.
Le projet de loi prévoit des exceptions à l'interdiction de dissimuler son visage qui ne fondent la possibilité de se dissimuler le visage uniquement avec une tenue adaptée à la teneur de l'exception.
L'exemple le plus connu est certainement celui du port du casque par les conducteurs et les passagers de deux roues, qui est imposé par l'article R. 431-1 du code de la route
Dans certaines circonstances, la dissimulation du visage se justifie par la volonté de préserver l'anonymat de la personne comme par exemple pour les témoins dans certains procès pénaux.
La troisième catégorie d'exceptions regroupe les motifs d'ordre médical et professionnel.
De nombreuses tenues dissimulant le visage sont justifiées par des motifs professionnels. Certaines d'entre elles le sont en vertu d'une loi ou d'un règlement et rentrent également, de ce fait, dans le cadre de la première exception. C'est le cas notamment pour les travaux de soudage, de rivetage et de sablage de désamiantage ou encore pour les personnels médicaux.
En dernier lieu, il est nécessaire de ménager l'hypothèse des fêtes et manifestations artistiques et traditionnelles. Le cas des manifestations artistiques est également à considérer, dans la mesure où des acteurs de cinéma, de cirque ou de théâtre, dont le masque est l'un des emblèmes, peuvent avoir besoin de dissimuler leur visage.
La sanction de cette interdiction doit être suffisamment persuasive.
L'article 3 fait de la violation de l'interdiction une contravention de deuxième classe, punie d'une amende d'un montant maximal de 150 euros, à laquelle peut s'ajouter, ou se substituer, l'obligation d'effectuer un stage de citoyenneté.
La sanction retenue satisfait donc une double condition : elle est adaptée à la nature de l'infraction et elle est applicable, garantissant l'effectivité de l'interdiction.
La sanction proposée comporte, d'une part, un aspect répressif, à travers le paiement d'une amende, qui est dissuasif sans être disproportionné et, d'autre part, un versant pédagogique, avec l'obligation d'effectuer un stage de citoyenneté dont le contenu devra être précisé.
L'amende pourra être accompagnée ou être remplacée par l'obligation d'accomplir un stage de citoyenneté. Ce stage a pour objet de « rappeler les valeurs républicaines de tolérance et de respect de la dignité humaine sur lesquelles est fondée la société ».
Ce stage est généralement réalisé par des associations agréées par le ministère de la Justice, sous le contrôle du Procureur de la République ou du service pénitentiaire d'insertion et de probation. Son coût peut être mis à la charge du condamné et ne doit pas, en toute hypothèse, excéder 450 euros. Il ne peut pas être prononcé contre un prévenu qui le refuse.
Je tiens à souligner mon attachement à ce dispositif qui pourra dans certains cas constituer la seule sanction. Il est en effet primordial que les personnes contrevenantes aient l'opportunité de réfléchir au sens de leur comportement et puissent apprécier la portée des principes républicains de laïcité et d'égalité hommes femmes. Il faut cependant garder à l'esprit que de nombreuses femmes risquent de refuser de tels stages et qu'il ne sera pas facile de les faire réfléchir à leurs motivations profondes.
Pour lutter contre les pressions exercées sur ces femmes obligées de dissimuler leur visage, l'article 4 du projet de loi crée un délit d'instigation à la dissimulation du visage, puni d'un an d'emprisonnement et de 15 000 euros d'amende.
Cette disposition traduit, en droit, le cinquième point de la résolution sur l'attachement au respect des valeurs républicaines face au développement de pratiques radicales qui y portent atteinte, qui préconise que « tous les moyens utiles soient mis en oeuvre pour assurer la protection effective des femmes qui subissent des violences ou des pressions, et notamment sont contraintes de porter un voile intégral ».
Pour cela, il est nécessaire de créer un délit spécifique. En effet, les personnes dissimulant leur visage peuvent ne pas être sanctionnées, sur le fondement de l'article 3 du projet de loi, si elles apportent la preuve qu'elles dissimulent leur visage dans l'espace public, sous l'empire de la contrainte et dès lors ne sont pas pénalement responsables.
L'article 5 du projet de loi repousse l'entrée en vigueur des articles 1er à 3 à six mois après la publication de la loi. En revanche, il est prévu que les autres articles du projet de loi, et notamment l'article 4 portant sur l'instigation à dissimuler son visage, soient d'application immédiate.
Cette entrée en vigueur différée a pour but d'ouvrir une phase de concertation et de médiation avec les personnes qui dissimulent leur visage dans l'espace public. Cette période devrait permettre à tous les acteurs impliqués dans cette problématique de mettre en oeuvre les actions nécessaires pour expliquer les termes de la résolution parlementaire et de la loi et pour faire régresser cette pratique avant même l'entrée en vigueur de la loi.
Ce projet de loi parvient à un équilibre entre volonté de sanctionner clairement une pratique contraire aux valeurs républicaines et l'incitation à la médiation qui permettra aux personnes contrevenantes à réfléchir aux motivations profondes de leur comportement.