Bravo pour votre vivacité et l'acuité de vos questions, monsieur le rapporteur spécial. Je répondrai un peu dans le désordre.
Les états généraux, qui devraient effectivement se tenir au début de l'année prochaine, seront très utiles pour répondre à votre question majeure, relative au débat entre la gratuité et le système de bourses qui prévalait naguère. Pour changer le cours des choses, une opinion générale doit se dégager – je serai plus précis dans un instant. Avec une expérience d'un an seulement, je ne puis m'opposer à une telle mesure.
Lorsque je me rends dans un pays, outre l'ambassade, bien sûr, et parfois la résidence, je visite systématiquement tous les établissements culturels. C'est une joie de voir comment fonctionnent les lycées, mais aussi les centres culturels. Je sais qu'il existe de mauvais exemples, que des dérapages se produisent dans tous les domaines ; hier, on m'a parlé de la situation terrible au Caire et de la réunion syndicale qui y a été tenue. Néanmoins, dans 95 ou 98 % des cas, c'est un bonheur de visiter ces établissements, de constater le dévouement du personnel et surtout l'ambiance qui y règne.
Revenons, si vous le voulez bien, sur la question de la gratuité, qui me préoccupe beaucoup. Il me faudrait recueillir une opinion générale pour m'aider à convaincre que ce n'est pas forcément la bonne direction.
La différence entre 170 et 300 millions correspond au surcroît à débourser non pas dans l'état actuel des effectifs mais si nous pouvions ouvrir les établissements à tous les élèves désireux de s'inscrire. C'est capital pour l'influence de la France ! Un rapport de Nicolas Tenzer – un document caché, si l'on en croit un certain hebdomadaire, et pourtant je l'ai lu – affirme que l'influence passe aussi par l'enseignement du français à l'étranger, parfois peut-être plus encore que par la diplomatie.
Le lycée de Moscou, par exemple, n'accueille pas un seul élève russe. Ce n'est pas bien car, en théorie, nous devrions offrir – ou plutôt ouvrir, car nous ne l'offrons pas – l'enseignement du français à des élèves locaux, à moins que je n'y comprenne pas grand-chose.
J'ai eu le bonheur, avant-hier, de rouvrir l'établissement scolaire Blaise-Pascal d'Abidjan, qui avait été pillé pièce par pièce, fenêtre par fenêtre, poignée de porte par poignée de porte et brûlé. La restauration a été financée par le privé, par les parents d'élèves, car nous n'avions pas d'argent pour assumer ces grosses dépenses. Cet endroit formidable accueillera 900 élèves dans un premier temps puis très vite 1 200 ou du moins plus de 1 000. Tout a été refait ; les terrains de sports sont formidables, comme le reste. J'espère pouvoir l'inaugurer, à partir de septembre, mais, avec la présidence française, ce sera difficile. En tout cas, nous l'avons ouvert, l'architecture est belle, le lieu est superbe. Pardonnez-moi, je ne veux pas faire de bla-bla, mais il faut absolument y garantir la sécurité. Un lycée est un établissement ouvert ; il est impossible d'y organiser la sécurité comme dans une ambassade ou une résidence. Dans tous ces établissements, c'est d'ailleurs le ministère des affaires étrangères qui paie la sécurité. En l'occurrence, à Abidjan, pour des raisons de sécurité, les Français ont déménagé afin de passer la lagune et de vivre de l'autre côté du pont ; ils n'habitent donc plus autour du lycée, ce qui requiert l'organisation de transports par bus, certes, mais aussi par bateau, pour faire face à d'éventuels événements graves qui occasionneraient le blocage du pont. Nous devons donc supporter des dépenses imprévues, ce qui est toujours très difficile.
Nous avons déjà discuté des contributions internationales, qui ne sont jamais mentionnées et représentent un poids très lourd mais nous honorent. Consacrer 300 millions par an à la lutte contre le sida, c'est bien ; il est impossible de revenir en arrière car cela priverait des malades de leurs traitements. Les opérations de maintien de la paix ne sont pas non plus financées mais, avec Éric Woerth, nous avons à peu près apuré la situation : les 120 millions de l'année dernière ont été payés et il manquera à nouveau 100 millions. Nous savons approximativement ce que nous coûtera la Tchad car il s'agit d'une opération européenne, mais nous ignorons combien coûtera le Darfour. Il est un peu ennuyeux, bien sûr, d'assurer le financement des opérations de maintien de la paix avec un an de retard mais nous ne pouvons pas savoir à l'avance en quoi elles consisteront.
S'agissant du compte d'affectation spéciale immobilier, j'ai été heureux de signer avec Éric Woerth une lettre afin que soit mise sur pied au plus vite une mission de préfiguration d'un opérateur immobilier public. Il sera bien entendu complètement contrôlé par le public mais travaillera en partenariat avec le privé car nous ne pouvons demander à tous les ambassadeurs d'être des spécialistes de l'immobilier du pays où ils se trouvent. La situation est très différente en Côte-d'Ivoire, au Japon ou au Kazakhstan ; il faut que nous puissions nous appuyer partout sur des professionnels ayant une connaissance précise du marché immobilier local et des prix pratiqués. J'espère donc que cet opérateur immobilier public sera créé.
L'AEFE est un établissement public administratif sous tutelle exclusive du ministère des affaires étrangères et européennes. Je nomme son directeur – je viens du reste de nommer ambassadrice la personne actuellement en place et je lui adresse mes félicitations car, comme vous pouvez le constater, elle n'est pas encore partie, mais cela ne va pas tarder… Le directeur préside le conseil d'administration de l'Agence et assure son financement. La DGCID verse la subvention et la DFAE prend en charge les bourses scolaires des élèves sur le programme 151 – j'y reviendrai. De notre point de vue, pour l'heure, il faut privilégier le maintien de cette double tutelle.
Je ne souhaite pas que le système de bourses change complètement, mais il vacille : la gratuité a été instaurée pour les élèves de terminale, et sera en principe étendue à ceux de première à partir de septembre – elle l'est même déjà dans l'hémisphère sud – avant de l'être à ceux de seconde. Une aide à la structure ne suffirait pas, je vous le dis tout net, car il faut assurer la mise à disposition du personnel d'encadrement expatrié, le cofinancement du personnel enseignant résident et l'investissement immobilier. Or 80 % des dépenses sont consacrées au personnel et les moyens alloués à l'immobilier comme à la sécurité s'avèrent insuffisants. Nous dépensons le plus possible pour la sécurité de ces établissements mais nous ne pouvons pas la garantir complètement et c'est choquant. Bien sûr, tout le personnel français est répertorié à l'ambassade et des systèmes de prévention, d'alerte et d'évacuation sont opérationnels – le danger n'est au demeurant pas identique dans tous les pays. Des aides financières à la personne sont proposées pour l'écolage, sous forme de gratuité aujourd'hui et auparavant sous forme de bourses. Peut-être ce système était-il très injuste – encore faudrait-il expliquer pourquoi – et mérite-t-il d'être mieux équilibré mais il fonctionnait bien et permettait aux étudiants locaux de s'inscrire. Je prends beaucoup de précautions car je connais la position du Président de la République mais il est très difficile de faire payer les étudiants locaux quand les Français bénéficient de la gratuité. De surcroît, un tiers des élèves étaient inscrits par l'employeur et un quart bénéficiaient d'une bourse, ce qui représente des proportions très élevées. Le lycée Istiqlal de Kaboul, que vous avez visité – Dieu ou plutôt Allah sait si je le connais –, a formé tous les cadres, plus ou moins bien inspirés, des gouvernements afghans successifs depuis vingt ou trente ans. Comment assurer complètement la sécurité de cet établissement ? La sécurité de l'hôpital français de Kaboul, qui fonctionne merveilleusement et que vous avez aussi certainement visité, est assurée exclusivement par les Afghans ; peut-être est-ce la solution.