C'est pour tenter de remédier à cette injustice que nous examinons aujourd'hui ce texte, qui s'inscrit dans la même lignée que la loi de 1997 sur l'élimination des armes antipersonnel, adaptant la convention d'Ottawa. Son adoption apportera une pierre nouvelle à l'édifice juridique devant permettre de prémunir les civils des souffrances de la guerre. Nous devons nous féliciter de cette avancée. Sur quelque banc que nous siégions dans cet hémicycle, nous nous apprêtons à défendrons les principes visant à interdire ces armes perfides que sont les bombes à sous munitions.
Je ne veux pas parler ici des questions entourant l'existence même des conflits, mais des règles qui tentent de discipliner les hommes dans leurs actes guerriers. Je fais bien sûr référence au droit international humanitaire. Lorsqu'on évoque ce droit, on pense en premier lieu à la bataille de Solférino et à la décision d'Henri Dunant de créer la Croix-Rouge pour porter assistance aux blessés des champs de bataille, Mais l'enjeu contemporain est au premier chef la protection des principales victimes des conflits : les civils, qui représentent 90 % des blessés ou des tués.
Des règles existent pour protéger ces populations, leurs origines sont très anciennes. Les premières traces de l'élaboration d'un droit dans la guerre sont présentes dans l'antiquité. Deux siècles avant notre ère, en Inde, les lois de Manou interdisaient déjà l'utilisation des armes « perfides », et préconisaient une distinction entre les objectifs civils et militaires. Malgré cela, des siècles plus tard, nos civilisations tentent toujours de rendre la guerre moins inhumaine. Pour preuve, nous pouvons évoquer la Guerre de Cent ans. À cette occasion, comme le montre Fernand Braudel dans L'identité de la France, quinze siècles après les lois de Manou, la population française a été divisée par deux à l'issue d'un conflit qui a ramené le royaume à sa démographie du IXe siècle. La démonstration est claire, ce sont les populations civiles qui payent le plus lourd tribut des combats.
Aujourd'hui, les bombes à sous-munitions contribuent aussi aux dommages indirects qui peuvent miner la reconstruction et le développement d'une région. Elles retardent le retour à la paix. En ratifiant la convention d'Oslo, les signataires affichent d'abord leur désir de protéger les populations civiles des atrocités de la guerre. Selon l'organisation non gouvernementale Handicap international, 98 % des victimes des bombes à sous-munitions sont des civils, et 27 à 47 % d'entre elles sont des enfants. Suivant l'état des munitions utilisées, 5 à 40 % n'explosent pas à l'impact, se transformant, de fait, en mines antipersonnel. Ces armes ne font donc pas de différence entre les combattants et les populations civiles. Elles ont un caractère « non-discriminant ». Chaque jour, en Irak, au Liban, au Kosovo ou bien en Afghanistan, dans les pays dont les sols sont contaminés, des civils risquent leur vie. 60 % des accidents liés aux bombes à sous-munitions ont lieu lors des activités liées à la subsistance des populations. Les gestes du quotidien les mettent en danger car chaque pas peut s'avérer mortel. Lors de la guerre qui a opposé Israël et le Hezbollah, en 2006, dans le Sud-Liban, l'ONU a estimé qu'un million de bombes avaient été larguées sur cette région.