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Intervention de Yves Aubin de la Messuzière

Réunion du 18 février 2010 à 9h30
Mission d’évaluation et de contrôle de la commission des finances

Yves Aubin de la Messuzière, président de la Mission laïque française :

En tant que président de la Commission sur l'avenir de l'enseignement français à l'étranger, j'ai fait part cet automne à la commission des Affaires étrangères de l'Assemblée nationale de ma préoccupation quant à l'évolution du réseau d'enseignement français à l'étranger. À l'unanimité de ses membres, cette commission, mise en place par le ministre des Affaires étrangères conformément à la lettre de mission du Président de la République, a formulé des recommandations qui ont été discutées lors des États généraux de l'enseignement français à l'étranger et diffusées auprès des différents postes diplomatiques. À cette occasion, cette très vive préoccupation quant à l'avenir de l'enseignement français à l'étranger s'est révélée très largement partagée.

Mon sentiment est que nous sommes loin de pouvoir envisager un développement de cet enseignement : ce serait déjà très bien de maintenir le périmètre existant, en particulier celui de l'AEFE, à l'horizon 2020. Ne nous cachons pas derrière notre petit doigt : c'est la conséquence de la décision de l'État de prendre en charge les frais de scolarité des élèves français des établissements d'enseignement français à l'étranger. Cette mesure de gratuité des frais de scolarité a bousculé le modèle économique de l'enseignement français à l'étranger. Présentée comme égalitaire, elle est en réalité inéquitable.

On annonce maintenant que son application ferait l'objet d'un moratoire et que son extension éventuelle au premier cycle secondaire devra être précédée d'une étude d'impact. Cela signifie que le même établissement pourrait être soumis à deux régimes différents, avec un premier cycle payant et un deuxième cycle gratuit pour les ressortissants français, alors que l'enseignement de premier cycle est obligatoire !

La prise en charge a en outre déclenché un processus d'éviction des élèves étrangers qui, s'il n'a encore rien de dramatique, ne peut que s'intensifier du fait de l'effet d'aubaine pour les ressortissants français, en particulier les binationaux. Qui plus est, la participation financière des familles étrangères, « variable d'ajustement » à la disposition des établissements pour assurer leur équilibre budgétaire, sera accrue.

En ce qui concerne plus spécifiquement la Mission laïque française, celle-ci présente, pour la première fois, un document d'orientation stratégique 2010-2012, conformément à l'engagement que j'avais pris avant mon élection à la tête de la Mission. Au cours des cinq dernières années, grâce au dynamisme de mon prédécesseur M. Jean-Pierre Bayle, ancien sénateur des Français de l'étranger et président de chambre à la Cour des comptes, la MLF a plus que doublé ses effectifs scolaires et s'est lancée dans de nouveaux métiers. Il y a une demande très forte d'éducation « à la française » à l'étranger, surtout sur le pourtour méditerranéen, lieu de naissance de la Mission laïque il y a un siècle. Je rappelle que, dès l'origine, la Mission avait comme objectif la diffusion de l'enseignement laïque auprès des nationaux étrangers, qui représentent environ 80 % de nos effectifs scolaires.

Ce document d'orientation stratégique est une feuille de route, déclinant cinq chantiers et quinze programmes d'action. Comme l'AEFE, la MLF est actuellement confrontée à quatre défis : 1°) une compétition mondiale accrue en matière d'éducation, qui en fait un marché convoité ; 2°) la réticence croissante de certains pays à voir se développer sur leur sol un enseignement international concurrent de leur propre système d'éducation – c'est le cas du Maroc, où nous comptons six établissements rassemblant 6 000 élèves, mais où son développement devra emprunter d'autres voies, notamment celle de partenariats avec des établissements d'excellence marocains – ; 3°) l'insuffisante reconnaissance des certifications françaises ; 4°) enfin le poids grandissant des contributions imposées par les pouvoirs publics aux établissements conventionnés ou homologués, qui risque de fragiliser le réseau de la MLF.

Le document d'orientation stratégique vise à affirmer l'identité et la spécificité de la MLF, tout en la posant très clairement comme une composante du réseau d'enseignement français à l'étranger. La Mission reconnaît au ministère des Affaires étrangères, notamment à la direction générale de la mondialisation, sous l'autorité du secrétaire général du Quai d'Orsay, et aux ambassadeurs français, le rôle de pilotes stratégiques de l'enseignement français dans le monde. Les ambassadeurs devraient s'intéresser davantage à cet enjeu considérable, puisqu'il s'agit non seulement de la continuité du service public d'éducation envers nos ressortissants, mais également de l'influence et du rayonnement de la France.

Association à but non lucratif, reconnue d'utilité publique depuis 1906, la MLF, qui gère 20 % des effectifs scolaires, est un acteur du réseau de l'enseignement français à l'étranger, à côté de l'AEFE, l'opérateur principal. La MLF est aussi un partenaire du ministère des Affaires étrangères, ainsi que d'autres institutions, privées ou publiques, à l'étranger. Elle peut même être opérateur dans certains dossiers. Ainsi M. Bernard Kouchner nous a confié récemment la réhabilitation de deux grands lycées à Kaboul. Nous venons également d'ouvrir deux écoles au Kurdistan d'Irak. Par ailleurs, depuis une vingtaine d'années, nous gérons presque toutes les écoles d'entreprise, qui sont au nombre de 33, à la satisfaction de celles-ci. On voit que la MLF assume des missions de service public dans le cadre du rayonnement recherché par la diplomatie d'influence

À côté des établissements qu'elle gère directement, la MLF agit, notamment aux États-Unis, avec des établissements affiliés ou associés, dont nous organisons ou assurons le projet pédagogique. Par ailleurs, nous sommes de plus en plus appelés à développer des activités d'ingénierie éducative et de partenariat avec des établissements nationaux. Ce domaine de la coopération éducative est, à mon avis, appelé à connaître le plus grand développement dans les quinze à vingt années à venir. C'est ce que demandent des pays comme le Maroc ou le Liban.

La MLF a également vocation à intervenir en situation d'urgence ou de « post-crise », comme elle le fait en Afghanistan ou au Kurdistan irakien. C'est le cas aussi en Angola, où nous appuyons l'initiative de Total, qui va ouvrir dans ce pays quatre établissements dispensant aux élèves angolais un enseignement partiellement en français, dans le cadre d'une politique d'image de cette société.

Notre périmètre traditionnel couvre le pourtour méditerranéen, qui représente 60 % de nos activités. Nous comptons un réseau important en Espagne, et surtout au Maghreb et au Mashrek, qu'il faut consolider. Ce périmètre peut encore s'étendre, notamment dans le Golfe. Je viens d'inaugurer une toute petite école à Bethléem pour satisfaire la demande d'enseignement laïque de familles chrétiennes et musulmanes.

Nous comptons également répondre à la demande provenant de nouvelles « terres de mission » – laïque bien évidemment – en Asie, notamment en Chine, où l'apparition d'établissements privés suscite une demande d'enseignement français. C'est le cas aussi en Amérique du sud.

Notre modèle économique est celui de l'autofinancement. Le siège de la MLF ne compte que vingt-cinq personnes, nos activités étant caractérisées par la déconcentration et la décentralisation, sous l'égide de coordonnateurs en charge des réseaux les plus importants. Nous bénéficions cependant de l'aide du ministère des Affaires étrangères, qui prend en charge les salaires de 202 professeurs ou directeurs d'établissement, soit 10 % de notre personnel enseignant, généralement en poste dans notre périmètre traditionnel, comme au Liban, ou à Addis-Abeba.

L'AEFE souffre d'un déficit de financement lié à la mesure de prise en charge. La Commission sur l'avenir de l'enseignement français à l'étranger avait estimé son coût à 400 millions d'euros, mais il pourrait se révéler bien supérieur si la mesure était étendue à l'ensemble du cycle scolaire jusqu'à l'école maternelle. De ce fait, l'Agence, à la demande de sa tutelle, recherche de nouvelles sources de financement. Le conseil d'administration de l'Agence vient ainsi de demander aux établissements conventionnés de lui verser 6 % des recettes : 3 % au titre des investissements – alors que nous finançons nous-mêmes nos investissements – et 3 % pour les cotisations patronales de pension. Ces cotisations représentent une somme considérable, puisque la MLF devrait verser presque dix millions d'euros (et l'Agence 110 ou 115 millions d'euros), et ceci sans aucune compensation, alors que l'Agence sera largement compensée. Nous avons demandé que ce prélèvement, qui fragilise notre réseau, fasse l'objet d'un moratoire.

Pour leur part, les établissements homologués – c'est le cas des établissements américains – devraient s'acquitter de 2 % de leurs recettes au titre des services rendus par l'Agence, alors que l'homologation était gratuite jusque-là. Il est certes normal de payer un service, mais non pas de manière rétroactive ni, surtout, par une taxation assise sur le chiffre d'affaires. Pour certains établissements américains, ce prélèvement s'élèvera à 150 000 euros par an, alors qu'ils ne payaient rien jusqu'ici ! Vous pensez bien qu'ils sont vent debout contre cette mesure.

Ce prélèvement étant dépourvu de base légale, l'Agence devra signer des contrats de partenariat avec ces établissements. Puisque nous avons nous-mêmes passé avec eux des contrats de partenariat, ils auront donc deux partenaires et seront soumis à deux taxations différentes ! De telles mesures ne peuvent que susciter l'incompréhension, et si on veut nous les imposer, je proposerai au conseil d'administration de la MLF que nous nous retirions du réseau américain, alors même que c'était l'ambassadeur de l'époque, M. Jean-David Levitte, qui nous avait demandé de le prendre en charge.

L'erreur politique que constitue la mesure de gratuité est donc encore aggravée par des mesures de gestion qui fragilisent nos établissements. Nous discutons en ce moment avec le ministère des Affaires étrangères de la possibilité, soit de revenir sur cette mesure, soit de prévoir des compensations. J'ai ainsi proposé qu'en contrepartie d'un moratoire, la Mission laïque prenne progressivement en charge les salaires des professeurs mis à disposition.

Je voudrais terminer mon propos en réitérant l'expression de ma préoccupation pour l'avenir du réseau de l'AEFE. Le risque de devenir un réseau franco-français est bien réel, alors que la mixité culturelle était sa marque de fabrique. C'est la mission de rayonnement et d'influence de notre réseau d'enseignement à l'étranger qui est en danger, puisque la volonté politique d'assurer un service public d'éducation de qualité aux enfants de nos expatriés existera toujours.

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