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Intervention de éric Querenet de Breville

Réunion du 5 mars 2009 à 10h00
Mission d’évaluation et de contrôle de la commission des finances

éric Querenet de Breville, sous-directeur à la direction du Budget :

La budgétisation et le financement des opérations militaires extérieures, les « Opex », sont un exercice difficile, qui s'apparente à un exercice de tir sur une cible mobile, se déformant dans le temps, dont la position nous est notifiée par le ministère de la Défense sans qu'on puisse la vérifier, et, enfin, dont la taille est approximative, puisqu'il s'agit d'une dépense évaluative.

Pour tirer sur cette cible, nous arrivons de loin, puisque jusqu'en 2005, il n'y avait quasiment aucune budgétisation des Opex en loi de finances initiale. Le progrès a été tardif, mais rapide car aujourd'hui, cette budgétisation initiale atteint 60 % du surcoût net des Opex, exclusion faite – parce qu'on raisonne uniquement sur la mission Défense – des contributions du ministère des Affaires étrangères aux opérations de maintien de la paix sous mandat des Nations Unies. Si l'on retenait une approche interministérielle, et compte tenu des « rebasages » qui ont été opérés par amendement à la loi de finances pour 2008 et, à hauteur de 50 millions d'euros, par celle pour 2009, on arriverait à un niveau de budgétisation de l'ordre de 73 %.

Si la cible est mobile, c'est d'abord parce que le coût des Opex a augmenté de plus de 50 % ces dernières années. C'est ensuite parce que, alors que nous avions d'abord fixé pour objectif d'atteindre un niveau de budgétisation avoisinant 80 % de la dépense moyenne des trois dernières années, on raisonne aujourd'hui par rapport aux dernières dépenses connues.

La cible se déforme : comme le montre, dans le document que je vous ai communiqué, le graphique de la page trois, le ratio entre les surcoûts déclarés et les effectifs en Opex augmente très fortement depuis 2006. Les dépenses du titre 2 – dépenses de personnel –, qui représentaient 60 % des surcoûts il y a trois ans, n'en constituent plus que 40 % ; à l'inverse, on constate une forte augmentation des dépenses de fonctionnement ainsi que des nation born costs, appels de fonds réalisés dans le cadre de l'OTAN et de l'Union européenne.

Le problème de la position de la cible, enfin, est celui de la « traçabilité » de la facture. Nous sommes les notaires de ce qui nous est présenté par le ministère de la Défense, sans pièces justificatives, lors des décrets d'avance ; concernant l'exécution, le contrôleur budgétaire et comptable ministériel de la Défense n'est pas en mesure de « tracer » les dépenses autres que les dépenses de personnel – indemnité de sujétion pour service à l'étranger (ISSE). Le reste n'est ni « traçable » ni « auditable ». Les dépenses d'Opex ne relèvent pas du circuit budgétaire et comptable prévu par la loi organique relative aux lois de finances, la LOLF, mais de procédures dérogatoires ; nous nous employons, avec le ministère de la Défense, à les réformer.

Plus généralement, pour faire progresser cette situation, plusieurs pistes doivent être explorées.

La première, c'est de mieux connaître la position de la cible. À cet égard, le tableau de la page 7 retrace les causes du manque de transparence et de fiabilité des surcoûts qui nous sont présentés. La facture, en totalité, est déclarative et non « auditable ».

Les dépenses correspondant au versement de l'ISSE, tout d'abord, sont « traçables », mais elles ne sont pas « auditables » : n'ayant pas accès au fichier de paye, nous ne pouvons pas vérifier les « dates de valeur », c'est-à-dire l'adéquation des versements avec les dates d'arrivée en théâtre d'opération et de retour en métropole ; nous faisons confiance au ministère de la Défense pour respecter les montants unitaires de primes tels qu'ils sont prévus par les textes réglementaires, mais le contrôle ne nous est pas possible.

Les dépenses imputées sur le BOP (budget opérationnel de programme) Opex et l'action 6 (Surcoûts liés aux opérations extérieures) du programme 178 Préparation et emploi des forces, ensuite, sont partiellement « traçables », mais on ne sait pas toujours s'il s'agit de « coûts » ou de « surcoûts » : s'il est clair que les dépenses de transports viennent en sus de ce qui serait dépensé en métropole, pour d'autres types de dépenses de fonctionnement il ne nous est pas possible, sans connaître les conventions précises utilisées par l'état-major des armées, de savoir si l'on est en présence d'un surcoût – d'un coût marginal –, ou d'un coût qui existerait même sans Opex.

La troisième et dernière catégorie de surcoûts Opex déclarés par la Défense regroupe des charges calculées, non imputées sur l'action 6 du programme 178, notamment les charges de maintien en condition opérationnelle ; on nous dit que ces dernières augmentent fortement du fait des Opex, mais nous ne connaissons pas les conventions retenues à ce sujet par le ministère de la Défense.

Afin de savoir exactement ce qui est dépensé sur place par les trésoriers des armées, nous avons proposé au ministère de la Défense de créer, dans le cadre des fonds d'avances pour les Opex, une réserve centrale unique. Aujourd'hui, en effet, le trésorier accompagnant les troupes informe le comptable du Trésor public dont il dépend territorialement en métropole – lequel, au demeurant, ne reçoit pas de pièces justificatives. Plutôt, donc, qu'une multitude de comptables du Trésor ayant un simple pouvoir d'évocation, il faudrait un comptable assignataire unique, couvrant la dépense consolidée, et qui pourrait être soit le contrôleur budgétaire et comptable actuel du ministère de la Défense, soit le trésorier payeur général de l'Essonne qui, par tradition, est le trésorier payeur des armées. Il serait bon de convaincre de l'intérêt de cette solution l'état-major des armées, qui a exprimé certaines réticences.

D'autre part, il a été décidé fin 2008 de créer un groupe de travail interministériel sur les Opex, afin de réformer l'instruction de 1984 et de nous permettre de connaître les conventions de calcul des charges indirectes imputées aux Opex. Il devait se calquer sur le groupe de réflexion que présidait M. Jean-Claude Mallet pour l'élaboration du Livre blanc, en réunissant le ministère du Budget, la direction des affaires financières du ministère de la Défense et l'état-major des armées. Malgré nos demandes, il n'est toujours pas constitué, le ministère de la Défense souhaitant préalablement harmoniser les conventions de calcul entre les armées et assurer leur validation par l'état-major. Pour notre part, nous souhaitons qu'il puisse se réunir au plus vite.

La deuxième piste, sur laquelle je n'ai pas à m'étendre puisqu'il s'agit de considérations stratégiques, c'est la revue des Opex selon un bilan coûts-avantages. La page 11 du document que je vous ai donné montre la très forte concentration des opérations : EUFOR Tchad, l'opération Épervier au Tchad et l'Afghanistan représentent 55 % des surcoûts ; à l'inverse, une vingtaine d'opérations ne pèsent que pour 10 % – et leur coût décroît.

La troisième piste concerne les mécanismes de financement et de remboursement. Selon que l'on est sous mandat de l'ONU, de l'OTAN ou de l'Union européenne, ce ne sont pas les mêmes. Il est clair que le système européen ATHENA n'est pas satisfaisant, le périmètre des dépenses financées en commun, selon les clés de contribution des États membres, étant très restreint. La France, qui participe très largement à l'opération EUFOR Tchad, se voit ainsi facturer des dépenses au prorata de ses troupes, sans pouvoir se faire rembourser. Il en va différemment dans le système de l'ONU, même si, comparé aux coûts réels, le forfait peut paraître un peu faible pour les pays développés, et au contraire trop élevé pour d'autres.

Il est évidemment difficile de réformer le système ATHENA, puisque cela ne peut se faire qu'à l'unanimité. La France peut néanmoins se décider à mettre le sujet sur la table, ou alors tirer les conséquences du système quant à sa participation aux opérations. Nous sommes dans une situation inverse dans le cadre de l'OTAN : nous participons très peu aux opérations, hormis en Afghanistan, et par rapport à l'ensemble de ces opérations, notre contribution financière est inférieure aux quelque 12 % qui nous sont demandés au titre de la contribution aux coûts communs ; notre intérêt serait donc de diminuer la contribution aux coûts communs. Le mieux me paraît donc être de s'en tenir à la situation actuelle en ce qui concerne l'OTAN, et de tenter de faire évoluer le système ATHENA, qui n'est pas cohérent.

La première piste, consistant à tracer et auditer la dépense, vérifier la facture présentée et assurer la transparence des conventions de calcul, est la plus prometteuse à court terme.

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