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Intervention de Yves Girouard

Réunion du 1er avril 2010 à 10h00
Mission d’évaluation et de contrôle de la commission des finances

Yves Girouard, président fondateur du Cercle Magellan :

Le Cercle Magellan a créé un conseil de la Mobilité internationale, qui est un organe de liaison entre les entreprises et toutes les institutions concernées par le sujet, et où sont régulièrement évoqués les problèmes de scolarité à l'étranger.

Quels retours avons-nous de la part de nos 160 entreprises adhérentes – pour l'essentiel des grands groupes mais aussi des entreprises plus petites mais très internationalisées –, s'agissant de l'enseignement français à l'étranger ? La scolarisation de leurs enfants est l'une des préoccupations majeures des expatriés, très attachés au système éducatif français – c'est même souvent la condition de leur accord pour une expatriation. La qualité de cet enseignement est un atout essentiel pour le développement des intérêts économiques internationaux de la France. Un million et demi de Français, soit seulement 3 % de la population française totale, vivent aujourd'hui à l'étranger, – contre 7 à 8 % de la population allemande, 10 % de la population italienne ou japonaise et 12 % de la population américaine. Cette différence pèse nécessairement sur nos exportations. Pour renforcer notre présence à l'étranger, notamment en expatriant des familles, l'enseignement français à l'étranger est un élément déterminant.

La nature de l'expatriation a évolué. Par le passé, il n'était pas rare que des expatriés demeurent vingt ou trente ans dans un même pays, finissant par s'assimiler à la population locale et être perçus davantage comme des locaux que comme des Français. Aujourd'hui, la durée moyenne d'expatriation dans un pays donné n'est plus que de trois à cinq ans. D'où une plus grande mobilité des cadres qui exigent que leurs enfants puissent être scolarisés facilement dans les endroits où ils sont envoyés et assurer ainsi une continuité dans la scolarisation.

Les besoins aussi ont changé. Si les sièges sociaux sont encore le plus souvent situés dans les capitales ou les grandes villes, les entreprises, notamment industrielles, travaillent sur des chantiers, créent des usines dans des endroits où il n'y a pas d'école. La carte des besoins scolaires hors de France évolue donc très vite.

Les aspirations des expatriés sont également différentes. Il y a encore une quinzaine d'années, dans un couple, c'était le mari qui s'expatriait, sa femme le suivant. Aujourd'hui, l'expatriation est un véritable projet familial auquel le conjoint et les enfants sont étroitement associés. De plus en plus souvent, les conjoints travaillent et souhaitent continuer de le faire. Ce sont d'ailleurs parfois les femmes qui s'expatrient et leurs maris qui les suivent. La scolarisation des enfants est un des éléments clés pris en compte dans le choix de l'expatriation. D'une manière générale, les familles recherchent dans cette expérience une opportunité d'ouverture à l'international, notamment pour leurs enfants, avec l'approche de nouveaux pays et de nouvelles cultures, et le plus souvent l'apprentissage de l'anglais.

Quels problèmes nous signale-t-on ? La réduction du nombre d'enseignants détachés de l'Éducation nationale, qui a pour corollaire des recrutements plus nombreux d'enseignants locaux, est une source d'inquiétude majeure quant à la qualité de l'enseignement – des témoignages concrets nous sont rapportés en ce sens. Les familles nous font également part de difficultés d'homologation, notamment pour de petites écoles hors des grandes villes. Je pense notamment à Bangalore où de nombreuses entreprises d'informatique se sont implantées il y a quelques années avant qu'il n'y ait d'infrastructure française de scolarisation. Les familles se demandent également si leurs enfants pourront sans difficulté réintégrer le système scolaire français à leur retour en France : elles souhaitent notamment être sûres de l'équivalence des diplômes. Elles regrettent un apprentissage insuffisant de l'anglais à l'étranger, le manque de sections internationales avec trop peu de préparations au baccalauréat international. Elles déplorent enfin une certaine inadéquation du déploiement du réseau d'établissements avec les besoins.

Que souhaitons-nous ? Que le réseau d'enseignement français à l'étranger non seulement perdure mais se développe. Certaines familles d'expatriés scolarisent leurs enfants dans des établissements anglo-saxons, cela reste marginal mais l'amorce de ce mouvement est un signal. Les entreprises financent largement l'enseignement français à l'étranger par la prise en charge des frais de scolarité, la création d'écoles d'entreprise, notamment hors des villes, ou bien encore par le biais de la Mission laïque française qui ouvre des écoles là où l'AEFE n'est pas présente. Beaucoup d'entreprises, au travers de leurs filiales locales, participent au financement de projets concrets – extension de bâtiments, acquisition de matériels pédagogiques… Il est difficile d'évaluer le montant total de ces financements indirects, l'ensemble n'étant pas consolidé au niveau des comptes des groupes.

Le désengagement progressif de l'État en matière d'enseignement français à l'étranger, que l'on ne peut que constater, préoccupe les entreprises qui se développent à l'international. Ce désengagement prend plusieurs formes. Tout d'abord, la diminution du nombre d'enseignants détachés à l'étranger ; en deuxième lieu, l'accroissement des charges de personnels pour les principaux acteurs, induit par le décret du 19 décembre 2007 ayant transféré à l'AEFE la charge du financement de la part patronale des cotisations de pensions des personnels détachés, dont l'Agence était auparavant exonérée, et imposé à la Mission laïque française de supporter cette charge sans compensation de l'État. Il a fallu trouver des moyens supplémentaires, d'où une augmentation des frais d'écolage pour les entreprises ; ensuite, le manque d'entretien des locaux de nombre d'établissements de par le monde, dont de nombreux témoignages attestent de la vétusté ; enfin, les difficultés d'homologation de certaines écoles, notamment celles accompagnant des projets spécifiques d'entreprise. S'il y a moins d'établissements français à l'étranger, les familles se tourneront vers l'enseignement anglo-saxon, où les enfants poursuivront ensuite toute leur scolarité. Les élites étrangères risquent aussi de déserter notre système d'enseignement du fait de l'augmentation des frais d'écolage – on l'a d'ores et déjà constaté. Or, une telle évolution serait préjudiciable à nos entreprises et à notre économie, les personnes formées dans notre système d'enseignement ayant logiquement tendance, plus tard, à se tourner davantage vers la France et ses entreprises. Notre pays pourrait ainsi à terme perdre des parts de marché. Pour conclure, les entreprises ont du mal à discerner la cohérence de la politique menée. Elles comprennent notamment difficilement qu'après l'annonce de la prise en charge des frais d'écolage, le décret du 19 décembre 2007 ait de facto augmenté les coûts. En dix ans, la part de financement supporté par les familles, rapportée à celle de l'État, est passée de 40 à 61 %.

J'en viens à nos « recommandations ». Nous souhaiterions une plus grande mutualisation des moyens, avec par exemple des écoles partagées avec d'autres pays européens, des campus européens et le développement de partenariats avec des écoles locales – le groupe Michelin a ainsi développé en Thaïlande une section française au sein d'une école américaine où les cours de mathématiques et de français sont dispensés en langue française. Nous souhaiterions également plus de souplesse, afin que le réseau d'enseignement français à l'étranger puisse répondre rapidement à un accroissement d'activité dans un lieu donné – comme il l'aurait fallu il y a quelques années à Bangalore – ou pour faire face à la saturation aujourd'hui avérée de plusieurs écoles françaises à l'étranger comme à Shanghai, Pékin, Moscou ou Londres. Enfin, nous estimons indispensable que la France dispose des moyens de continuer d'exercer son influence : 60 % du financement de l'AEFE provient des étrangers scolarisés dans les écoles françaises. Or, l'augmentation des frais d'écolage pour les nationaux – corollaire, pour partie, de la « gratuité » au profit des Français –, risque de les faire se tourner vers d'autres systèmes d'enseignement, mettant à terme en péril tout l'enseignement français à l'étranger, lequel ne pourrait pas vivre sans leur concours.

En conclusion, le réseau de l'AEFE est unique au monde. Il faut le conserver, le valoriser et le faire évoluer, avec une volonté politique forte d'en soutenir les établissements et d'accompagner les entreprises françaises, grands groupes ou PME, qui se développent à l'international. Le Cercle Magellan est prêt à accompagner, comme il le fait depuis dix ans, tous les acteurs concernés.

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