Le Parlement est d'autant plus légitime à se saisir de ce dossier que les hasards de mes recherches – si vous me permettez cet aparté – m'ont fait découvrir qu'un député de Nancy a visité, en 1913, tous les établissements français entre Alexandrie et Constantinople : il s'agit de Maurice Barrès, qui a publié le récit de ce voyage sous le titre Une Enquête aux pays du Levant.
La mission que j'ai pour ma part conduite – sans avoir pu suivre les traces de Maurice Barrès !– dans le cadre de la révision générale des politiques publiques –‘RGPP'– n'est pas un exercice classique de l'inspection générale des finances. Ce n'est pas un audit. Il en découle trois caractéristiques particulières. La première est que le rapport que nous avons adressé à nos commanditaires n'est pas signé par l'ensemble des membres de la mission. La deuxième est que, n'étant pas maître du jeu, j'ai moins de liberté pour faire des préconisations et me bornerai donc à des constats. La troisième, enfin, est que, contrairement aux personnes que vous avez déjà entendues, je ne suis pas partie prenante à la vie de l'Agence pour l'enseignement français à l'étranger – l'AEFE – et à la problématique de cet enseignement. Je ne suis qu'un « travailleur occasionnel » sur le sujet. Mais, avec les deux membres de l'inspection du Quai d'Orsay et le membre de l'inspection de l'Éducation nationale qui composaient avec moi et trois inspecteurs des finances la mission, nous y avons, je crois, consacré le temps qu'il fallait.
Nous avons commencé par procéder à des entretiens en juillet, avant d'effectuer des visites au Brésil, en Chine, au Maroc et aux États-Unis, et poser des questions sur un certain nombre de dossiers. Nos pré-conclusions étaient prêtes en novembre et, après un ajustement final, nous attendons maintenant que les comités de suivi soumettent mes constats et mes propositions à un groupe représentatif des autorités gouvernementales.
Je me permets de préciser que la mission ne portait pas sur l'enseignement français à l'étranger, mais seulement sur l'opérateur AEFE. À cet égard, notre premier constat est que les missions de l'Agence sont d'une grande complexité.
L'AEFE, établissement public, est à la tête d'un réseau intégré de 77 établissements scolaires en gestion directe – les EGD – auxquels la Cour des comptes interdit de reconnaître une autonomie financière. Il est l'employeur direct de 6 422 agents titulaires du ministère de l'Éducation nationale – MEN – en service à l'étranger, répartis dans les 77 EGD et dans 166 établissements conventionnés – EC – qui forment le réseau AEFE. Il ne couvre cependant pas l'ensemble des personnels de l'Éducation nationale enseignant à l'étranger puisqu'il existe également des enseignants « détachés directs », dont personne ne connaît le nombre faute de statistiques centralisées, et qui travaillent dans les réseaux homologués ou dans le cadre d'autres arrangements de coopération éducative.
Le code de l'éducation charge l'AEFE de la double mission – complémentaire – de fournir aux Français de l'étranger le service public français de l'éducation scolaire et d'offrir aux familles étrangères un accès au système d'éducation scolaire français et au rayonnement dont il s'accompagne. S'y ajoutent une mission de coopération éducative avec les autorités des pays étrangers et, surtout, une double mission de soutien aux familles, par la modération des frais d'enseignement, d'une part, et par l'octroi de bourses aux enfants français, d'autre part – ce qui est un intéressant exercice d'équilibre à étudier.
L'établissement public AEFE est également prestataire de missions complémentaires qui lui sont confiées par le ministère des Affaires étrangères et européennes – MAEE –, comme le programme de consolidation du français langue maternelle – FLAM –, ou par le ministère de l'Éducation nationale, comme l'instruction des demandes d'homologation ou la mise en oeuvre de certaines compétences d'inspection, qui pourraient être exercées directement par les académies ou par le ministère.
L'AEFE ne couvre pas tout le champ de la politique d'enseignement français à l'étranger. Cette politique est d'abord définie par le MAEE, qui assure une tutelle permanente de l'Agence. Le dispositif français d'enseignement à l'étranger inclut ensuite, hors AEFE, 208 établissements homologués, dont 87 établissements relevant du réseau de la Mission laïque française, dont la position par rapport au dispositif est un peu ambiguë. L'AEFE, enfin, n'est en charge ni de l'enseignement linguistique, ni de l'accès à l'enseignement supérieur en France.
L'Agence se situe ainsi de manière ambiguë par rapport à la définition d'un opérateur. À l'échelon politique, elle apparaît comme un service du ministère des Affaires étrangères alors qu'à l'échelon technique, elle a un rôle de gestion d'établissements et de personnels.
Ses moyens constituent un enjeu significatif. Son « budget » pèse fortement sur les moyens du MAEE puisqu'il représente 70 % du programme 185 Rayonnement culturel et scientifique et 30 % du programme 151 Français à l'étranger et affaires consulaires – ce qui, selon moi, pose un problème, notamment pour le programme 185. De plus, l'évolution des crédits de l'AEFE est préoccupante, avec une progression de 50 % de la subvention de l'État entre 2005 et 2009, due à l'apparition de charges nouvelles.
Les ressources publiques ainsi consacrées couvrent, mais très inégalement selon les statuts et les situations locales, 30 % du coût global du dispositif, le reste étant essentiellement à la charge des familles – nous n'avons pas détecté d'autres sources significatives de financement.
Enfin, des risques budgétaires non négligeables existent du fait à la fois d'une demande dynamique, d'un engagement de soutien public renforcé pour les familles françaises, et d'un état de l'immobilier – que nous n'avons pas audité – jugé généralement comme nécessitant un effort particulier.
La situation du réseau des établissements d'enseignement français à l'étranger manque d'homogénéité. Non seulement les implantations sont héritées de l'histoire, mais les niveaux de soutien public sont très hétérogènes : il n'existe pas de curseur socio-économique permettant de moduler le tarif en fonction de la richesse du pays et du niveau de vie des familles. De même, l'existence de trois catégories d'établissements différentes atténue la capacité de maîtrise de l'AEFE.
Le processus de décision est également trop aléatoire, laissant trop de place à la mesure au cas par cas. Le conseil d'administration de l'Agence est en effet plus une instance de concertation que de décision. Il s'apparente à une assemblée générale chargée d'examiner les grandes questions. Mais des questions relevant de situations particulières sont aussi à son agenda. Quant à la tutelle du MAEE, elle est double puisqu'elle cumule les échelons locaux (ambassades et consulats) et centraux – ce qui rend les décisions, sinon incohérentes, du moins aléatoires. Enfin, le ministère de l'Éducation nationale est un partenaire peu engagé. Tout en ayant une très bonne relation technique avec l'AEFE – l'audition du doyen de l'inspection générale de l'Éducation nationale, M. François Perret, a dû vous en convaincre –, le MEN se tient prudemment à l'écart, l'architecture même de l'AEFE ne faisant de lui qu'un fournisseur de personnels.
Quelles sont nos conclusions, ou plutôt nos pistes de réflexion ?
Premièrement, il faut rechercher une plus grande homogénéité de fonctionnement et de tarification entre les deux familles du réseau AEFE : les établissements à gestion directe et les établissements conventionnés. Actuellement, les EGD sont sous-tarifés par rapport aux EC alors que des professeurs et encadrants titulaires de l'Éducation nationale sont présents dans les deux cas. Le budget d'un EGD doit être aussi complet que celui d'un EC et la responsabilisation de la communauté éducative – expression polie recouvrant les syndicats, les parents d'élèves et l'ambassade – doit être clairement recherchée. Les efforts de l'AEFE en la matière sur les six ou sept dernières années ont été importants ; elle a vraiment essayé de donner le maximum de visibilité et de compréhension au système en dépit de variations selon les situations géographiques.
Deuxièmement, il faut avoir le courage de poursuivre la recherche d'autofinancement, même si cela a une répercussion sur les bourses et sur la prise en charge des frais de scolarité. Cette démarche soulève deux questions : est-ce juste à l'égard des parents d'élèves du pays concerné ? La marge de compétitivité nous permet-elle d'augmenter les tarifs ?
À mon sens, la question de la compétitivité est une sorte d'épouvantail que l'on agite. Pour prendre une image, si les établissements français d'enseignement à l'étranger sont des voitures robustes, qui roulent très bien, la République française ne pourra jamais offrir des Rolls.
La première question est plus délicate. Le soutien public étant réservé aux familles françaises et aux binationaux – ce qui pose des problèmes dans certains pays –, un relèvement des tarifs constitue-t-il une injustice vis-à-vis des familles méritantes locales et a-t-il un effet d'éviction de celles-ci ? Nous n'excluons pas la possibilité d'octroyer des aides à des familles locales, mais la justice voudrait alors que l'on trouve un meilleur arbitrage entre ce qui est alloué aux familles françaises, dont certaines sont à l'abri du besoin et bénéficient de niveaux de bourses élevés, et ce qui pourrait être donné à des familles locales, appartenant souvent à la fonction publique, à l'enseignement et aux milieux académiques, qui ne bénéficient peut-être pas de nombreux avantages dans certains pays du tiers-monde.
Troisièmement, il importe de contenir les charges de personnels, puisqu'elles constituent l'essentiel des coûts. Il faut, à cet égard, distinguer le cas des expatriés et celui des résidents.
La balance entre expatriés et résidents dans la famille des titulaires me semble être aujourd'hui relativement consensuelle. Il est admis qu'il ne devrait plus y avoir d'expatriés enseignants que dans des fonctions débordant le cadre strict de leur enseignement. Je suis d'ailleurs sûr que, dans certains pays d'Afrique, des gens d'un très bon niveau académique seraient prêts, même en tant que recrutés locaux, à rejoindre notre système.
En revanche, autant le nouvel équilibre s'agissant des expatriés enseignants est plus ou moins accepté, autant les résidents font l'objet d'un véritable tabou, à savoir qu'un taux de 50 % d'enseignants titulaires serait nécessaire pour un établissement de qualité. Le drame est que ce critère ne se vérifie nulle part. Le nombre d'enseignants titulaires varie considérablement d'une zone géographique à l'autre. Or, personne n'observe de grandes différences de qualité d'un endroit à l'autre. C'est pourquoi j'ai quelque difficulté à ratifier la règle des 50 %. Mais il nous faut en l'occurrence marcher sur des oeufs, pour ne pas créer une confrontation brutale.
Lorsque j'ai constaté que l'une des zones géographiques où il y avait le plus de titulaires de l'Éducation nationale professeurs dans un établissement était l'Europe occidentale, j'ai d'abord, en bon inspecteur des finances, trouvé cela aberrant. Je me suis ensuite demandé pourquoi il en était ainsi. La réponse est que le statut des professeurs locaux ne leur permet pas d'être détachés dans nos établissements, ce qui montre qu'il ne sera pas facile de réduire le nombre de professeurs titulaires dans les établissements d'Europe, à moins de créer une troisième catégorie de personnels : les Français recrutés locaux, répondant évidemment aux critères académiques.
Il ne faut pas oublier que nous avons perdu du jour au lendemain, sans aucun remplacement, les quelque mille volontaires du service national qui étaient des gens de bonne formation – aussi bonne que celle des jeunes professeurs qu'on envoie dans les zones d'éducation prioritaire – et qui étaient disponibles pour quelques années dans le réseau.