Le débat d'orientation des finances publiques revêt cette année une solennité particulière : d'une part, il se conclura par un vote, en vertu du nouvel article 50-1 de la Constitution ; d'autre part, il intervient alors que nos finances publiques et sociales, traversent une grave crise – nous avons tous à l'esprit le rapport de la Cour des comptes sur la situation et les perspectives des finances publiques que le Premier président de la Cour nous a présenté mercredi dernier.
Deux semaines plus tôt, la Commission des comptes de la sécurité sociale avait annoncé que les déficits constatés en 2009 et attendus pour 2010 étaient moins élevés que ce que ce qui avait été prévu dans la loi de financement de sécurité sociale pour 2010, en raison principalement d'une évolution plus favorable que prévu de la masse salariale. Ces déficits n'en atteignent pas moins des ordres de grandeur inconnus jusqu'alors : sur dix euros de prestations versés en 2010, près d'un euro sera financé ultérieurement : il nous appartient de dire s'il le sera par nous-mêmes, par nos enfants ou par nos petits-enfants. Le secrétaire général de la Commission des comptes a raison de dire qu'on ne peut plus parler de déficits conjoncturels : quand un niveau de 30 milliards d'euros par an se maintient durant plusieurs exercices, le phénomène devient structurel. Or, malgré la crise, les dépenses semblent progresser comme si de rien n'était : en dépit de la quasi-stagnation des recettes, le volume des prestations du régime général devrait connaître encore une hausse globale de 3,2 % en 2010. Les comptes sociaux subissent donc l'évolution en ciseaux des recettes et des dépenses.
Conséquence inévitable, le besoin de financement de l'Agence centrale des organismes de sécurité sociale (ACOSS), qui atteignait 24 milliards d'euros en 2009, avoisinerait 55 milliards d'euros en 2010. S'y ajoute la dette non encore remboursée par la Caisse d'amortissement de la dette sociale (CADES), qui s'élevait à 96,5 milliards d'euros fin 2009. En outre, la loi de financement de la sécurité sociale pour 2010 évalue le déficit cumulé de l'ensemble des régimes de sécurité sociale pour la période 2011-2013 à plus de 100 milliards d'euros. Autrement dit, l'ensemble de la dette sociale pourrait dépasser 250 milliards d'euros fin 2013.
Combien de temps allons-nous continuer à financer des dépenses courantes par la dette ? La question se pose avec d'autant plus d'acuité qu'il faut tenir compte de deux éléments, sur lesquels nous n'avons pas prise.
D'une part, nous bénéficions actuellement de taux d'intérêt exceptionnellement bas : le jour où les taux repartiront à la hausse, l'effet s'en fera durement sentir, étant donné les volumes de dette à financer. Souvenons-nous qu'avant la dernière reprise de dette par la CADES, les frais financiers annuels de l'ACOSS dépassaient 1 milliard d'euros, alors qu'ils ont été réduits à environ 100 millions d'euros en 2009 et 200 millions d'euros en 2010.
D'autre part, ainsi que le fait observer la Cour des comptes, la divergence avec nos partenaires, particulièrement l'Allemagne mais aussi l'Italie, se creuse dangereusement depuis 2006 en matière de déficits publics. Cette situation aura inéluctablement pour conséquence une croissance des différentiels de taux d'intérêt, traduisant la moindre confiance de nos créanciers. De fait, alors que le spread entre la France et l'Allemagne était très réduit jusqu'à l'année dernière encore, où il avoisinait vingt points de base, il s'est accru très rapidement au cours des derniers mois, atteignant cinquante points de base au début du mois sur les emprunts à dix ans. Cela nous conduit à payer environ cinq milliards d'euros de plus en intérêts.
Il n'est donc plus temps de dire « Encore une minute, monsieur le bourreau ». Plus la décision tarde, plus son coût devient élevé. La Cour des comptes donne un exemple édifiant à cet égard : même en usant de solutions radicales, limitées dans le temps mais à effet rapide, à savoir la limitation à 2 % de la progression annuelle de l'ONDAM et le gel des prestations vieillesse et famille, le déficit dépasserait 26 milliards d'euros en 2011 et avoisinerait encore 17 milliards d'euros en 2013. L'heure n'est donc plus aux demi-mesures, mais à la mobilisation générale contre les déficits, si nous voulons conserver notre crédibilité par rapport à nos partenaires.
Dans quel contexte économique allons-nous devoir procéder à ce redressement ?
L'hypothèse de croissance retenue par le Gouvernement pour 2010, à savoir 1,4 %, se situe dans la fourchette des principaux instituts de conjoncture français et étrangers. En revanche, les prévisions de croissance de ces instituts pour 2011 sont entre 0,4 et 1,3 point en dessous des 2,5 % escomptés par le Gouvernement.
Plus encore que la croissance, l'élément-clé du financement des régimes sociaux est l'évolution de la masse salariale. En 2009, pour la première fois depuis la Seconde Guerre mondiale, elle avait reculé – de 1,3 %. Pour 2010, le rapport de la Commission des comptes de la sécurité sociale retient l'hypothèse d'une progression de 0,3 %, tandis que l'ACOSS, dans ses dernières publications, table sur une augmentation de 0,5 %. Ces 1,6 à 1,8 point de masse salariale supplémentaire par rapport à 2009 entraînent mécaniquement des recettes supplémentaires comprises entre 3,2 et 3,6 milliards d'euros. Mais, si la progression de la masse salariale s'était maintenue en 2009 et en 2010 au niveau de 2008, le régime général aurait encaissé respectivement 10 milliards et 7 milliards d'euros supplémentaires.
Il est encore trop tôt pour faire des prévisions précises pour 2011. Cependant, on peut d'ores et déjà relever que l'OCDE ne prévoit qu'un léger recul du chômage, qui resterait à un niveau supérieur à celui de 2009. Il est en outre peu probable, dans un contexte de sortie de crise, que les salaires augmentent rapidement. Si l'on table sur une progression de 1,5 à 1,7 % de la masse salariale, on arrive à près de 6 milliards d'euros de recettes supplémentaires par rapport au creux de 2009, mais à un manque à gagner de plus de 4 milliards d'euros par rapport à la tendance de 2008.
Il n'est pas possible de se contenter de ce lent retour à la normale. Si la France veut respecter son programme de stabilité et assainir ses finances sociales, elle doit revenir à un déficit de 3 % à l'horizon 2013 : cela signifie que les régimes sociaux doivent passer de 30 à 10 milliards de déficit, soit un effort 20 milliards d'euros. Il faudra donc à la fois trouver de nouvelles recettes et aller plus loin dans la maîtrise des dépenses.
La première piste consiste à revoir les exonérations de cotisations sociales.
S'agissant des allégements généraux, le Gouvernement a annoncé, dans le cadre de la réforme des retraites, l'annualisation du calcul, actuellement générateur d'effets d'aubaine, voire d'abus. Mesure d'équité, l'annualisation permet en outre de réduire de 2 milliards d'euros le coût de ces allégements – qui est d'environ 27 milliards d'euros cette année. C'était l'une des propositions de la mission d'information commune présidée par notre collègue Gérard Bapt et dont j'étais le rapporteur.
Il est possible d'aller encore plus loin, en forfaitisant le plafond de ces allégements – autre proposition de cette mission –, l'idée étant que si le plafond était exprimé en euros, les allégements seraient progressivement érodés par l'inflation. Il faut être conscient, en effet, que l'évolution du SMIC pèse de manière très significative sur le coût des allégements généraux : à barème constant, une augmentation de 1 % du SMIC accroît mécaniquement leur coût d'environ 600 millions d'euros. Avec une inflation évaluée par l'OCDE à 1,7 % en 2010, le gain engrangé dès 2011, si le plafond de sortie des allégements généraux demeurait inchangé en euros, serait donc de l'ordre de 1 milliard d'euros.
Quant aux exonérations ciblées bénéficiant à certains secteurs économiques ou à certains territoires, elles doivent, comme les niches fiscales, faire l'objet d'un « rabotage » de 10 %, qui rapporterait donc environ 300 millions d'euros. La remise en question de ces mesures, entamée par la loi de financement pour 2008, avec la modification du régime des organismes d'intérêt général en zones de revitalisation rurale (ZRR), doit être activement poursuivie. Dans le cadre de la loi de programmation des finances publiques, le Gouvernement s'était engagé à évaluer l'ensemble de ces dispositifs avant juin 2011. J'attends avec un grand intérêt les résultats de ce travail, que j'espère voir aboutir avant cette échéance un peu lointaine.
En ce qui concerne les niches sociales, la réforme des retraites présentée par le Gouvernement comporte des mesures visant à davantage faire contribuer les stock-options et les retraites chapeaux. Mais là aussi, il est possible d'aller plus loin.
Ainsi, il ne fait pas de doute qu'un réexamen des taux réduits de cotisations, des cotisations forfaitaires, des assiettes forfaitaires, des assiettes ad hoc, des déductions forfaitaires spécifiques pour frais professionnels et autres prélèvements dérogatoires bénéficiant à diverses professions ou catégories de revenus ferait apparaître d'importants gisements de ressources – le retour au droit commun des cotisations et prélèvements pouvant être, à chaque fois, étalé sur une période de trois ans. La loi de financement pour 2010 a d'ailleurs marqué le début d'un aménagement de ces dispositions, tant à l'initiative du Gouvernement qu'à celle du Parlement : je pense notamment à la suppression du seuil annuel de cession de valeurs mobilières et droits sociaux pour la soumission des plus-values aux prélèvements sociaux.
Le taux du forfait social a été porté de 2 à 4 % cette année, mais des montants importants demeurent exclus de son assiette. C'est notamment le cas des contributions au financement de prestations complémentaires de prévoyance, soit une assiette évaluée à 13,5 milliards d'euros pour 2010 : leur assujettissement au forfait social de 4 % rapporterait 540 millions d'euros. C'est également le cas des indemnités de licenciement, dont certaines atteignent des montants qui justifieraient leur inclusion dans le forfait social, ou même leur assujettissement pur et simple aux cotisations et contributions sociales de droit commun, par la voie d'une remise en cause des plafonds d'exonération, actuellement très élevés. Il n'est pas juste que ces sommes échappent à toute participation au financement de la sécurité sociale. Les montants versés aux salariés licenciés sont très disparates : environ 90 % des indemnités de licenciement sont inférieures au plafond annuel de la sécurité sociale, mais 0,6 % des salariés touchent des indemnités supérieures à six fois ce plafond. On pourrait envisager un assujettissement aux prélèvements sociaux de droit commun pour les indemnités supérieures à une certaine somme, par exemple 50 000 euros, tandis que celles supérieures à 25 000 euros seraient soumises au forfait social de 4 % ; les indemnités de licenciement les plus faibles seraient donc, bien sûr, exonérées. Il serait, en outre, souhaitable de distinguer, au sein des indemnités de licenciement, celles qui sont versées dans le cadre de la procédure de rupture conventionnelle – dont l'utilisation progresse très rapidement –, qui pourraient être soumises au droit commun des cotisations et contributions.
Dans la partie de son rapport de 2007 consacrée à l'assiette des prélèvements sociaux, la Cour des comptes avait également mis en lumière le fait que les cotisations des employeurs publics dérogent au droit commun du régime général. Au moment où nous nous engageons, dans le cadre de la réforme des retraites, dans la voie d'un juste alignement des cotisations salariales des secteurs public et privé à la branche vieillesse, il serait cohérent d'emprunter cette même voie pour la branche maladie. La Cour évalue à 2,5 points l'insuffisance du taux de cotisation maladie à la charge des employeurs publics. Quant à l'assiette, elle est minorée par l'absence de prise en compte des primes, qui représentent en moyenne 20 % environ des rémunérations soumises à cotisations. Les recettes supplémentaires possibles pour l'assurance maladie peuvent être estimées à 3 milliards d'euros au titre de l'alignement des taux et à 600 millions d'euros au titre de l'harmonisation de l'assiette.
Parallèlement à la recherche de nouvelles ressources, une action sur les dépenses est indispensable. Ne voulant pas anticiper ici sur nos débats sur la réforme des retraites, je me concentrerai sur les branches maladie et famille.
En ce qui concerne la branche maladie, je me félicite que le Gouvernement semble ne plus admettre que le respect de l'ONDAM, en exécution, intègre la marge constatée par le comité d'alerte. Ainsi cette année, alors que le comité d'alerte avait estimé le dépassement prévisible de l'ONDAM à 600 millions d'euros, ce qui ne contraignait pas les pouvoirs publics à intervenir, le Gouvernement a néanmoins annoncé immédiatement des mesures de redressement des comptes.
Je pense qu'il faut mettre en place un plan pluriannuel de trois à cinq ans, visant à les redresser à hauteur de 4 milliards d'euros par an et à parvenir à l'équilibre en fin de période. Plusieurs mesures pourraient y contribuer.
Dans le secteur de la médecine de ville, il faut aller plus loin dans la voie ouverte avec succès par le contrat d'amélioration des pratiques individuelles (CAPI) : l'étape suivante pourrait consister à lier l'évolution des honoraires des médecins au niveau et à la qualité des prescriptions.
S'agissant des établissements de santé, il est essentiel d'avancer dans la maîtrise des coûts. Je m'interroge notamment, m'appuyant sur les excellents travaux de la Mission d'évaluation et de contrôle de la sécurité sociale (MECSS), sur l'étendue du patrimoine immobilier de ces établissements.