Madame la Présidente, je vous remercie pour votre invitation à m'exprimer devant votre Commission et je suis particulièrement heureuse de saluer parmi vous mes prédécesseurs Jean-François Lamour et Marie-George Buffet.
Il y a tout juste une semaine, j'étais de retour d'Afrique du Sud, après la débâcle de notre équipe de football. Vous avez rapidement souhaité vous saisir de cette question, dans le cadre de votre travail de parlementaires et de cette Commission permanente. Je m'en réjouis car je considère que c'est un sujet sur lequel nos concitoyens ont le droit de connaître la vérité. Je suis donc très heureuse de m'expliquer devant vous sur ce qui s'est passé, puisque c'est le rôle et l'honneur de la représentation nationale d'étudier ce qui interroge et interpelle nos concitoyens. En l'occurrence, c'est le cas ; pour en juger, il suffit de voir l'affluence des parlementaires et de la presse à cette audition.
Je me suis rendue en Afrique du Sud en qualité de ministre chargée des sports, pour soutenir l'équipe qui portait les couleurs de notre pays – et j'ai souhaité le faire jusqu'au bout –, mais aussi en qualité de ministre chargée de la santé, car j'avais prévu de consacrer une partie importante de mon déplacement à la lutte contre le sida.
À la demande du Président de la République et en accord avec les joueurs, le sélectionneur et le président de la FFF, lorsque la situation s'est compliquée, j'ai prolongé mon séjour pour rappeler à chacun ses responsabilités et tenter de ramener le calme dans le groupe. Ne nous y trompons pas : il ne s'agissait pas de contester la défaite sportive, qui fait partie intégrante du sport et que chacun doit accepter ; il s'agissait de remédier à une situation qui a fait de la France la risée du monde entier, ce que nous ne pouvons accepter.
Cette situation a commencé le dimanche 20 juin après-midi. Après avoir accepté, dans un premier temps, l'exclusion de Nicolas Anelka, conséquence de ses propos injurieux à l'égard de Raymond Domenech, les joueurs ont pris la décision de bouder l'entraînement, sans mesurer les conséquences de leur acte. À partir de là, la machine s'est emballée, tout s'est précipité. J'ai alors rejoint Bloemfontein pour tenter de sauver ce qui pouvait l'être.
À ce moment, je le rappelle, certains médias soulevaient l'hypothèse, catastrophique si elle s'était réalisée, que l'équipe de France ne se présente pas sur le terrain pour affronter l'Afrique du Sud, pays hôte. Je suis intervenue à la demande de Nicolas Sarkozy pour éviter un tel drame et demander aux joueurs de se ressaisir. Une réunion entre le président de la Fédération, le sélectionneur, le capitaine de l'équipe de France et moi-même a eu lieu. Je souhaitais les entendre et essayer de comprendre comment ils en étaient arrivés là. Puis j'ai rencontré les joueurs pour leur dire des choses très dures mais nécessaires. Pour couper court aux polémiques, je vais vous lire les propos que je leur ai tenus :
« Je ne suis pas venue devant vous pour porter des jugements ni instruire des procès. Ce temps viendra plus tard, soyez-en convaincus. Une chose est certaine, vous avez perdu la bataille de la communication mais vous avez perdu beaucoup plus que cela : vous avez perdu l'estime de la classe politique, de la presse, y compris la presse mondiale, du monde du sport – pas un sportif ne s'est levé pour vous défendre –, des citoyens, des sponsors, des jeunes. C'est pour vous un désastre.
« Dans ce champ de ruines, je suis la seule à vous avoir soutenus et à vous soutenir. Je vous parle comme une mère. Je peux vous parler franchement, je ne vous ai jamais tiré dans le dos. La réalité de la situation, il faut l'affronter de face. Ce n'est pas seulement un mauvais moment à passer. Rien ne sera comme avant. Ce sont vos gosses, tous les gosses pour qui vous ne serez plus des héros. Ce sont les rêves de vos compagnes, de vos amis, de vos supporters, que vous avez brisés. Ce sera l'image de la France que vous avez ternie, comment voulez-vous que l'on se souvienne de vous ?
« Demain, c'est le dernier match de cette phase mais c'est aussi peut-être votre dernier match de Coupe du monde. Cette Coupe du monde, vous en avez rêvé depuis que vous êtes gamins. Avant le match, réputé ingagnable, contre les All Blacks, Raphaël Ibanez, le capitaine de l'équipe de France, avait écrit une seule phrase sur le tableau : “Comment voulez-vous que l'on se souvienne de vous ?” Oui, comment voulez-vous que l'on se souvienne de vous ? Alors, battez-vous ! »
Qu'ai-je réellement vu en Afrique du Sud ? J'ai vu des joueurs qui fonctionnaient en autarcie, coupés de la Fédération et de leur équipe technique. J'ai vu un sélectionneur en difficulté, qui n'avait plus d'autorité sur ses troupes. J'ai vu des responsables fédéraux dépassés et désorientés par le cours des événements.
Mais la crise que nous avons connue en Afrique du Sud n'est pas la crise du football français, qui fonctionne bien, c'est la crise de l'équipe de France. Ne nous trompons pas de sujet, d'autant que certains pourraient vouloir profiter de cette crise pour remettre en cause l'équilibre entre football amateur et football professionnel. Or je trouve essentielle la pérennité de cet équilibre.
Pour tirer tous les enseignements de ce désastre et se pencher sur le fonctionnement de l'équipe de France, le Président de la République a souhaité que des états généraux du football soient organisés à l'automne. Les grandes institutions concernées seront représentées et ces états généraux se dérouleront sous l'impulsion d'un comité de pilotage, dont la composition est en cours d'élaboration. Il s'agit en effet de remettre de l'autorité et du liant entre tous les acteurs : les joueurs, le futur sélectionneur et la Fédération. C'est là que se situe le réel enjeu pour l'avenir.
Bien évidemment, le mode de gouvernance des grosses fédérations et de celles abritant un secteur professionnel structuré en ligue doit être étudié et sûrement repensé, mais ce travail incombera au comité de pilotage des états généraux.
Toutefois, je le dis avec force devant vous, la spécificité du modèle fédéral doit être préservée. Jean-François Lamour puis Bernard Laporte avaient imaginé des solutions. Aujourd'hui, nous devons, ensemble, trouver les réponses.
J'ai pris acte, hier, de la décision de Jean-Pierre Escalettes de renoncer à ses fonctions vendredi prochain. Les statuts de la FFF prévoyant cette situation, il n'y a aucune raison que s'ouvre une période de flottement. Les bénévoles, les dirigeants de clubs, les footballeurs licenciés et les partenaires économiques de la Fédération doivent être rassurés. À présent, la Fédération doit retrouver un fonctionnement conforme à ses statuts en se dotant de nouvelles instances, comme prévu. Dans l'immédiat, elle devrait élire un président par intérim, probablement le 2 juillet prochain, à l'occasion de la réunion du conseil fédéral. Ensuite, l'assemblée fédérale élira le nouveau président de la FFF, le 18 décembre prochain, à moins qu'une assemblée générale extraordinaire soit convoquée.
Je veux lever tout malentendu : en aucun cas – je souligne trois fois cette expression –, le politique ne saurait faire ingérence dans la gouvernance des instances sportives. Autant je m'attache à préserver la Fédération de toute forme d'ingérence, autant je resterai extrêmement attentive à ce qu'elle respecte scrupuleusement ses statuts dans la période actuelle, car nombre de décisions qui seront prises dans les prochaines semaines auront des conséquences juridiques sur les personnes ou les clubs concernés. Il importe donc que ces décisions soient prises par des instances régulièrement formées, conformément aux statuts de la Fédération.
Cet épisode datant d'une semaine seulement, je n'ai pas, à ce jour, tiré toutes les conclusions – le contraire serait préoccupant. Nous mènerons ce travail ensemble, chacun dans ses fonctions. Je serai attentive aux recommandations que vous pourrez formuler, dans le cadre d'un rapport qui, à n'en pas douter, nourrira la réflexion collective.
Du très regrettable parcours de l'équipe de France de football en Afrique du Sud doivent naître des solutions novatrices pour faire émerger une nouvelle gouvernance du football français, comme le souhaitent l'ensemble de ses acteurs. J'entends mener à bien ce chantier, dans l'intérêt du football, professionnel et amateur, pour continuer de faire rêver tous nos jeunes.