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Intervention de Jean Gaubert

Réunion du 29 juin 2010 à 21h45
Modernisation de l'agriculture et de la pêche — Discussion générale

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaJean Gaubert :

Il est lié, ne l'oublions pas, à la main-d'oeuvre, sans doute mais un peu moins qu'on ne le dit. On a parlé d'une main-d'oeuvre à 6 ou à 12 euros de l'heure, mais cela ne concerne souvent que la main-d'oeuvre marginale, pour 30 ou 40 % maximum. C'est lourd mais il faut prendre garde à ne pas schématiser.

N'oublions pas l'élément lié aux effets de l'accord de Luxembourg avec la subsidiarité. Les Allemands ont choisi un autre mode de découplage qui a défavorisé les céréales, mais favorisé d'autres productions. La ferme allemande s'est réorganisée différemment. J'avais déjà dénoncé ce fait dès 2003, devant l'un de vos prédécesseurs, Hervé Gaymard. Les fruits de ce redécouplage différent sont venus fausser la concurrence, ce qui a beaucoup joué dans l'envahissement par les produits de maraîchages allemands des marchés alsaciens. À cette époque, il ne s'agissait pas des coûts de la main-d'oeuvre. Nous devons toujours avoir présente à l'esprit la règle : « À marché unique, règle unique ».

Nous pouvons aborder le sujet de l'Espagne, dont les pratiques environnementales sont contestables sur un certain nombre de sujets. Elles ont été déjà évoquées.

Les Pays-Bas et le Danemark ont des conceptions de l'agriculture totalement différentes des nôtres. Si l'on schématise, aux Pays-Bas, une ferme c'est un tuyau provenant du port de Rotterdam, un tuyau qui part à la laiterie et un autre qui va à la station de traitement du lisier et, au milieu, sont les vaches. Ce n'est en aucun cas notre conception. Nous devons comprendre qu'il convient de composer avec les uns et les autres. Obtenir des accords avec des pays dont les conceptions sont aussi différentes n'est pas simple ; nous le reconnaissions déjà lorsque nous étions dans la majorité.

Nous sommes dans une situation de crise, de réajustement. Nous avons moins de surproduction qu'à certaines époques ; ce sont les conséquences de la fin de la gestion de marchés. C'était la nouveauté de la décennie 1995-2005. Beaucoup ont cru, pas simplement à droite, qu'il suffisait de donner des primes à l'hectare pour que les choses se règlent. On a oublié que, pour maintenir le revenu des agriculteurs, le système le moins coûteux était le soutien des marchés. Nous devons avoir cette réflexion, car l'idée qui a traversé tous les groupes politiques, à divers moments, est aujourd'hui battue en brèche par la situation que connaissent nos agriculteurs. Si l'on devait soutenir le revenu au niveau où il était par l'intervention sur les marchés, il faudrait débourser plus d'argent qu'à cette époque-là.

On peut s'interroger : le système différent mis en place a-t-il apporté un avantage au consommateur ? En effet pendant toute cette période, il n'y a pas eu de baisse des prix agricoles à la consommation. Une idée a été avancée : il suffisait que les prix à la consommation baissent pour obtenir du pouvoir d'achat en France. C'était oublier l'organisation dans notre pays, comme dans d'autres. La GMS en tout état de cause a prouvé qu'elle n'était pas moteur dans la restitution du pouvoir d'achat, ni aux producteurs ni aux consommateurs. Pourtant, nous savons bien que les marges importantes ne se font pas dans la majorité des entreprises de transformation. Les IAA bretonnes affichent depuis quelques années seulement 0,5 % de marge nette. Ce n'est pas là que nous trouverons ce qui est nécessaire pour reconstituer le revenu des paysans.

Vous nous proposez la contractualisation. Je n'y suis pas complètement opposé. Je crois qu'il n'est pas idiot de considérer qu'il est normal que l'industriel ou la coopérative puisse connaître les quantités à mettre sur le marché ; de la même façon le producteur doit connaître les possibilités sur lesquelles il s'est engagé. Les aléas climatiques, sanitaires peuvent modifier considérablement les périodes et les quantités mises en vente.

Il faudra être très attentif à l'équilibre entre les producteurs et les industriels, les producteurs et leurs grosses coopératives parfois ; certains l'ont dit. Le texte y veille pour le moment, mais nous ne connaissons pas les dérives qui peuvent en résulter pour l'avenir. Il faut veiller à ce que cet équilibre soit rompu, mais non plus au détriment du producteur, car nous savons qu'un certain nombre d'industriels espèrent qu'ils pourront rapidement disposer des droits à produire pour les répartir parmi les agriculteurs les plus compétitifs et parfois les plus proches des circuits de collecte ; je pense au lait et à d'autres productions.

Il faut pouvoir préserver la liberté des producteurs. Des questions ne sont pas résolues et un certain nombre de producteurs sont inquiets. Cette contractualisation va-t-elle augmenter le prix payé aux producteurs ? Permettez-moi d'en douter, et je ne suis pas le seul dans ce cas. Cela peut jouer sur la fluidité des marchés. Ainsi nous avons connu, en Bretagne en particulier, l'expérience des groupements de producteurs, dans les années soixante-dix, quatre-vingts. Cependant je ne me souviens pas – j'étais paysan à l'époque – que cela ait eu une grosse influence sur le prix payé aux producteurs. Nous avions pourtant tous des contrats avec ces groupements. Pourquoi ? Parce que la loi du marché prévaut.

Si les industriels ou les coopératives devaient payer un produit plus cher sur le long terme, ils seraient rapidement concurrencés – sur la vente à la GMS, en particulier, en tous les cas aux distributeurs – par les pays de l'Union européenne dans la mesure où ils n'appliqueraient pas les mêmes règles. Cela nous renvoie à la situation européenne et aux négociations que vous évoquiez, monsieur le ministre. Vous auriez obtenu un accord avec les Allemands et nous n'avons pas de raison d'en douter car nous sommes conscients des efforts que vous avez consentis, mais nous savons aussi qu'il faudra convaincre les vingt-cinq autres.

À ma connaissance, il n'y a guère que la Hongrie qui semble être d'accord avec les positions françaises. Ce n'est pas le cas des autres pays, y compris l'autre grand pays agricole qu'est la Pologne dont la situation est particulière : d'un côté, une grande zone comprenant de très grandes exploitations et, de l'autre, une zone de petites exploitations vouées à une restructuration rapide car on a fait le pari que les enfants des agriculteurs ne reprendraient pas l'exploitation de leurs parents.

Quant à la régulation, elle a été enterrée entre 2003 et 2006. Certes, cela ne relève pas de votre responsabilité personnelle, mais de celle des ministres qui se sont succédé, mais, en tout état de cause, il est toujours difficile de revenir sur ce genre de mesure.

L'Europe veut-elle encore une agriculture fondée sur le modèle français ? Voilà la vraie question. Je parle à dessein de notre modèle car la France est le plus grand pays agricole du point de vue tant quantitatif que spatial. Nous ne pouvons pas avoir les mêmes attitudes que les Pays-Bas qui ont une conception très industrialisée de l'agriculture.

La contractualisation n'est pas la panacée et il faut s'interroger sur les écarts de compétitivité. Je ne reviendrai pas sur la comparaison avec l'Allemagne. Je commence à être un vieux paysan et j'ai toujours vu l'agriculture française vivre au rythme de peurs pas toujours justifiées : quand j'étais jeune, c'était les Anglais qui nous faisaient peur ; or il y a longtemps qu'ils ne sont plus sur le marché. Ensuite, ce fut le tour des Hollandais, des Danois, des Suédois…

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