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Intervention de Yves Cochet

Réunion du 29 juin 2010 à 21h45
Modernisation de l'agriculture et de la pêche — Discussion générale

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaYves Cochet :

Alors qu'un tracteur peut labourer huit hectares par jour, deux chevaux ne labourent à peine qu'un hectare. Or, si l'on n'y prend garde, la déplétion de pétrole et les prix élevés du fioul deviendront une question cruciale dans le secteur agricole.

Puisque l'agriculture s'est « artificialisée », j'aurais aimé que le texte inclue sa dépendance extrême en énergies fossiles, directe quant au machinisme agricole et indirecte à travers la consommation croissante d'intrants. En effet, si 10 % de l'énergie consommée en France l'est par l'industrie agroalimentaire et 5 % par l'agriculture, 53 % de l'énergie fossile – pétrole ou gaz – utilisée pour l'agriculture sert à la synthèse des engrais. La synthèse d'une unité d'azote nécessite approximativement un kilo d'équivalent pétrole et la part du coût de l'énergie dans le prix final de l'engrais est de 17 %. La moyenne des dépenses pour les mises en terre des surfaces labourées est de 100 à 150 litres de fioul par hectare pour le maïs et plus de 100 litres pour le blé.

Ces chiffres n'auraient pas autant d'importance si le pétrole était une ressource inépuisable. Malheureusement – ou heureusement, d'une certaine manière – il s'agit d'une ressource non renouvelable. Il existe donc un risque – il s'agit même, dans une certaine mesure, d'une réalité – de décroissance de la production mondiale de pétrole. Par conséquent, nous aurions dû débattre de la question d'une économie agricole inféodée à celle du pétrole. Or on ne trouve pas trace d'un seul mot sur ce modèle agricole pourtant lié de manière cruciale aux énergies fossiles.

Cinquièmement, il faudrait adapter l'agriculture au changement climatique. Même si peu d'études comparatives existent, on sait que l'agriculture intensive émet bien plus de gaz à effet de serre que l'agriculture biologique. En effet, le système agrobiologique interdit l'utilisation d'engrais chimiques azotés, recycle les matières organiques naturelles, valorise les déjections animales par compostage et l'implantation d'engrais verts. Au sein de l'agriculture intensive, la filière de l'élevage hors sol émet beaucoup de gaz à effet de serre à cause du volume de déjections animales – je reviendrai, à l'occasion de l'examen de l'amendement de notre collègue Le Fur, sur les émissions de méthane ou de protoxyde d'azote – et à cause de la production d'aliments d'élevage, très coûteuse en énergie.

Parmi les autres sources d'émissions de gaz à effet de serre émis par l'agriculture, on peut citer les épandages d'engrais azotés et les processus de dégradation dans le sol, le tassement des sols lié au calendrier de travaux chargés et à l'utilisation d'engins agricoles de plus en plus lourds, les productions animales en général, les élevages des ruminants, l'utilisation de l'énergie en agriculture : carburant, chauffage des bâtiments d'élevage…

En somme, l'agriculture dépend fortement des énergies fossiles, donc émet une quantité importante de gaz à effet de serre.

La première solution pour diminuer les émissions de GES consisterait – et nous avons tenté de le faire avec plusieurs de nos collègues – à réduire la consommation de viande, de lait et de produits laitiers puisque leur production provoque d'importantes émissions de GES. Une autre solution serait de développer une véritable agriculture durable et paysanne, biologique, en mettant en place des pratiques agricoles qui réduisent les émissions de GES et permettent un gain financier et environnemental global, en particulier par la qualité de l'eau, la biodiversité, et en minimisant au mieux l'impact sur la productivité. C'est ce que nous proposons dans plusieurs de nos amendements.

Sixième oubli : il faudrait assurer le développement de l'agriculture biologique en l'insérant dans le programme national pour l'alimentation ; mais vous avez passé sous silence la question de l'agrobiologie. Nous pensons que, loin d'être un retour au passé, elle se situe au coeur de la modernité agronomique actuelle. Ainsi, les recherches se développent afin de définir les espèces, végétales et animales, les mieux adaptées aux modes de production biologique, afin d'améliorer les cycles de rotation, de maîtriser le désherbage ou d'apporter des alternatives aux produits de lutte antiparasitaire. Ces pratiques représentent pour les producteurs la recherche d'un mieux, y compris au point de vue sanitaire car les pratiques agricoles productivistes représentent parfois des dangers pour la santé des agriculteurs eux-mêmes. L'agrobiologie est pour eux l'occasion de revaloriser leur métier et de se réapproprier des savoir-faire, de produire du sens. Enfin, elle permet de préserver l'autonomie des producteurs par rapport aux firmes agroalimentaires.

C'est l'un des meilleurs exemples des différences entre l'approche réductionniste de l'agriculture productiviste et l'approche systémique ; entre deux modèles d'agriculture, le productiviste et le biologique. Dans la conception productiviste, le sol n'est considéré que comme une surface qu'on peut amender totalement et artificiellement par le haut. Certains sols sont tellement imparfaits qu'on les remplace parfois par de la laine de roche dans certaines serres. Ces méthodes affectent la qualité des sols : érosion hydrique, réduction de la porosité, acidification par des métaux. L'agriculture biologique, quant à elle, que vous occultez dans ce projet de loi, prend en compte, tout le système air-sol-plantes-eau-animaux.

Septièmement, il aurait fallu assurer un lien de proximité au sein des circuits courts pour permettre la souveraineté alimentaire ou, en tout cas, la tendance à la souveraineté alimentaire des régions. À vrai dire, je pense plus aux « circuits de proximité » qu'aux « circuits courts » car un contrat direct entre un agriculteur vénézuélien et un ensemble de consommateurs parisiens est un circuit court, mais ce n'est pas un circuit de proximité.

Tous les jours, la presse se fait l'écho du lancement de nouveaux circuits de proximité alimentaires : les marchés de producteurs, les magasins à la ferme, la livraison de paniers, les AMAP, c'est-à-dire les associations pour le maintien d'une agriculture paysanne. Rappelons que les AMAP ont pour but de permettre à des consommateurs d'acheter à un prix juste, et fixé à l'avance, des produits d'alimentation de qualité de leur choix, en étant informés de leur origine, et même de la façon dont ils ont été produits.

Nous participons ainsi activement à la sauvegarde et au développement de l'activité agricole locale. Dans le XIVe arrondissement de Paris, je suis membre de l'AMAP des Lapereaux des Thermopyles. Elle regroupe une quarantaine de familles. Les distributions de paniers ont lieu tous les jeudis soirs. Nous avons un contrat avec un agriculteur de la région de Meaux. Nous allons le voir régulièrement, d'ailleurs. Actuellement, nous allons cueillir des fraises, là-bas, des fraises ou des épinards. S'agissant des épinards, d'ailleurs, cela fait beaucoup de semaines qu'il y en a trop, mais c'est ainsi.

Depuis des années, la Commission de Bruxelles, relayée en France par les pouvoirs publics, de droite comme de gauche, pousse à la concentration pour contrebalancer la puissance de la filière de commercialisation. Or celle-ci s'est concentrée encore plus vite, alors que les producteurs sont confrontés au handicap de l'éclatement géographique. Ils ont eu aussi à faire face, sur les volets du coût de la main-d'oeuvre et de l'énergie, à la meilleure compétitivité d'autres producteurs, notamment extracommunautaires.

Au moment où l'on devrait réduire l'utilisation du pétrole, il est aberrant que des produits qu'on pourrait trouver sur place arrivent après avoir parcouru des milliers de kilomètres.

La disparition des terres agricoles en zones périurbaines est aussi un problème grave qui met en cause notre souveraineté alimentaire.

Huitièmement, il faut prendre en compte la détresse, et même la misère, économique, sociale et psychologique des paysans.

La première cause de la diminution de leur nombre est l'insuffisance de leurs revenus. En outre, ils sont considérés, du point de vue de la reconnaissance de leur métier, comme pas grand-chose. J'ose même le dire ici, ils sont considérés comme des ploucs, comme des gens qui n'ont pas de culture, qui ne sont pas ouverts. C'est tout à fait scandaleux. Il faut revaloriser l'image de la paysannerie en France, agir sur les revenus, sur les circuits de production, mais aussi sur la valorisation des paysans eux-mêmes. Le paysan doit être considéré comme le premier producteur, quel que soit le produit, et cela dans tous les pays, en France comme ailleurs. (Exclamations sur les bancs du groupe NC.)

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