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Intervention de Jean Dionis du Séjour

Réunion du 29 juin 2010 à 21h45
Modernisation de l'agriculture et de la pêche — Discussion générale

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaJean Dionis du Séjour :

Monsieur le président, monsieur le ministre, monsieur le président de la commission des affaires économiques, messieurs les rapporteurs, mes chers collègues, j'ai reçu une lettre forte, dont je tiens à vous lire quelques lignes :

« Jean, écoutez ce que vous dit un agriculteur de quatre-vingts ans, ayant commencé à travailler à treize ans, en 1943, avec les tickets de rationnement (j'ai vu ma mère pleurer de faim en cachette après nous avoir donné son pain).

« Je taillais dans un verger voisin à Port-Sainte-Marie, avec un ‘‘pépé'' de soixante-douze ans, du lever au coucher du soleil pour 60 centimes de franc la journée, une soupe chaude et un litre de vin que je ne buvais pas.

« J'ai pris ma retraite avec 232 trimestres validés (dont 82 de trop non utilisés). J'ai été salarié partiel jusqu'à l'âge de vingt-sept ans, avant de me lancer à corps perdu dans la révolution de la production de l'après-guerre, avec mes deux frères, Pierre et Guy.

« Après toutes les péripéties du métier, ses évolutions (du travail à la main, avec une vache, à l'informatique de ce jour), les révolutions de ces plus de soixante-cinq ans de progrès continus (progrès que l'on nous vole sans vergogne jusqu'aux bénéfices, jusqu'au crédit...), je crois avoir le droit de parler de ce qui se passe et de crier casse-cou devant les élucubrations actuelles.

« On fait aujourd'hui la plupart du temps l'inverse de cette politique de sagesse et de précaution. Les agriculteurs du monde entier abandonnent, écoeurés par les conditions de vie et de travail qui leur sont faites.

« Ils ne reviendront pas à la terre, leurs enfants s'en seront détournés, il n'y aura pas de génération spontanée...

« Par pure bêtise, irresponsabilité et incurie, on aura détruit l'élément le plus indispensable à la réalisation d'objectifs cruciaux permettant d'éviter de terribles crises alimentaires à l'humanité, peut-être dans un temps plus proche que l'on ne pense. »

Voilà donc un extrait de la lettre que m'a adressée Jacques Sanz, agriculteur du Lot-et-Garonne, il y a deux mois. Ancien président national du syndicat des kiwiculteurs, l'une des plus brillantes réussites professionnelles dans l'arboriculture de la vallée de la Garonne, il se demande, il me demande : qu'avons-nous fait de notre agriculture ? Qu'avons-nous fait à nos agriculteurs, pour qu'au soir de son existence Jacques Sanz jette un regard aussi amer sur ce qui a été la passion de sa vie ?

Au cours des auditions que j'ai organisées chez moi, en Lot-et-Garonne, et à Paris, de tels témoignages se sont multipliés, et ce désespoir n'est pas une illusion. Il est dû à la crise la plus sévère que notre agriculture ait connue depuis la deuxième guerre mondiale.

Cette crise a ébranlé toutes nos filières. L'an dernier, le prix de la tonne de blé est passé de 300 euros à 100 euros. L'an dernier, le prix de la tonne de lait est passé de plus de 400 euros à moins de 230 euros. L'an dernier, le revenu moyen des agriculteurs a baissé dans une proportion incroyable de 34 %, alors qu'il avait déjà baissé de 20 % en 2008. Aucun autre secteur de l'économie n'a été aussi durement touché.

Ce qui explique le désespoir paysan, c'est bien sûr ce terreau économique, mais c'est aussi l'absence injustifiable de reconnaissance par de nombreuses institutions qui leur sont hostiles.

Dans ce contexte, oser une loi de modernisation agricole était forcément dangereux et difficile. Monsieur le ministre, c'est votre honneur que d'avoir pris ce risque politique.

Chacun de nous aborde le projet de loi sur l'agriculture, plus que d'autres textes, en partant de son terroir et de son parcours personnel.

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