Monsieur le président, madame la secrétaire d'État, mes chers collègues, je viens de lire dans un quotidien – Le Figaro, pour ne pas le nommer – une interview du président de notre assemblée, M. Accoyer, qui appelle à ne pas « légiférer dans la précipitation »… Je trouve cela cocasse, dans la mesure où c'est précisément ce que nous faisons depuis le début de cette législature ! Et c'est ce que nous faisons encore avec ce texte, qui est discuté rapidement, en urgence, au lendemain d'élections municipales, sans qu'il y ait, cela a été beaucoup dit, de véritable concertation avec les associations, en particulier les syndicats. C'est dommage.
C'est dommage parce que ce texte est bâclé. Le sujet aurait mérité mieux. J'espère que le Gouvernement saura, à l'avenir, entendre la demande du président de l'Assemblée nationale.
Si j'en crois votre exposé des motifs, madame la secrétaire d'État, les procédures engagées contre nous par la Commission européenne seraient la seule raison pour laquelle nous discutons aujourd'hui de ce texte.
Mais ce projet de loi va au-delà des exigences légitimes formulées par la Commission en matière de lutte contre les discriminations. Il transpose un certain nombre de limitations nouvelles au principe d'égalité de traitement, notamment dans ses articles 2 et 8. Cette pratique législative vous est pourtant explicitement interdite par les directives elles-mêmes, dont la mise en oeuvre ne peut « en aucun cas constituer un motif d'abaissement du niveau de protection contre la discrimination déjà accordé par les États membres ». Je crains donc que vous ne soyez tentée de faire porter à l'Europe un chapeau que vous refuseriez d'assumer.
Je ne vais pas revenir sur ce qui a été dit quant à la situation des femmes dans notre pays. Marie-George Buffet et Marie-Jo Zimmermann l'ont très bien fait avant moi. Je me bornerai à évoquer deux points qui me paraissent importants dans ce texte.
Notre droit du travail limite strictement les dérogations au principe d'égalité en matière d'embauche. Il est plus protecteur que les normes minimales que vous retenez de ces directives. Le sexe est aujourd'hui le seul critère pouvant constituer la condition déterminante d'un emploi, et ce uniquement pour les professions artistiques, les mannequins et les modèles. Cette liste exhaustive a fait l'objet, faut-il le rappeler, d'un accord entre les partenaires sociaux suite à la loi Roudy de 1983 relative à l'égalité professionnelle.
Mais en inscrivant dans notre code pénal, comme vous le faites dans votre article 8, que des différenciations fondées sur le sexe, l'âge ou l'apparence physique seraient dorénavant admissibles en matière d'embauche si ce motif est une exigence professionnelle essentielle et déterminante, vous élargissez potentiellement cette liste à l'ensemble des emplois, au gré de l'évolution de la jurisprudence.
Dans notre pays, seulement 2 % des professions sont exercées à parité entre les hommes et les femmes. Les deux tiers du personnel enseignant, par exemple, sont des femmes alors que les trois quarts des artisans sont des hommes. Et si les ouvriers de l'automobile sont presque exclusivement des hommes, ceux du textile sont pratiquement toujours des femmes. Comment reconnaître ce qui relève des stéréotypes sexuels que nous devons combattre, et ce qui relèverait de « qualités intrinsèquement féminines ou masculines », qui constitueraient « l'essence » d'une profession ?
C'est ce débat éminemment politique que votre projet de loi choisit de renvoyer à nos tribunaux. Avec un vrai risque : celui de voir les employeurs se prévaloir de ce déterminisme statistique pour justifier, par exemple, que leur secrétaire de direction ne saurait être un homme, tandis que les chauffeurs de poids lourds ne pourraient de toute évidence pas être des femmes.
Peut-être l'importance de la génétique comme explication du monde aux yeux du Président de la République a-t-elle inspiré votre rédaction, et peut-être devrions-nous finalement admettre cette « réalité de bon sens » selon laquelle les hommes sont bons en maths et les femmes en lettres... Mais si nous constatons effectivement un écart dans les résultats scolaires des garçons et des filles en France, je veux vous rappeler que cet écart est moins grand dans un certain nombre d'autres pays. C'est dire que, plus que le sexe lui-même, c'est la culture qui détermine les stéréotypes sexuels. Et c'est dire le rôle primordial que doit jouer le système scolaire dans la déconstruction de ces stéréotypes.
Notre code de l'éducation ne dit d'ailleurs pas autre chose, en établissant que « les écoles, les collèges et les lycées contribuent à favoriser la mixité et l'égalité entre les hommes et les femmes, notamment en matière d'orientation », ce qui, vous en conviendrez, paraît difficilement compatible avec la ségrégation sexuelle à l'école, permise par l'article 2 de votre projet de loi.
C'est là encore un vrai débat de société que je ne peux pas accepter, que nous ne pouvons pas accepter de voir tranché par une phrase lapidaire au détour d'une loi qui ne traite d'ailleurs pas de ce sujet. Jamais la Commission européenne ne vous a demandé de transposer cette disposition qui, de toute évidence, s'adresse aux États où la mixité scolaire n'est pas devenue la norme.
Je crains que la faille béante que vous ouvrez ici soit bien davantage exploitée par les communautaristes, les intégristes et les réactionnaires les plus misogynes, que pour poursuivre de réels objectifs pédagogiques.
Le refus de toute discrimination n'est ni de droite ni de gauche. Il est une exigence républicaine, que les socialistes seront heureux de soutenir lorsqu'il s'agit de corriger les erreurs et les oublis du passé. Mais dans son état actuel, que je mettrai sur le compte de votre précipitation, votre projet de loi est un texte de régression, qui porte de rudes coups à l'égalité des chances et à l'égalité entre les sexes.
C'est pourquoi je vous remercie, monsieur le président, madame la secrétaire d'État, mes chers collègues, de bien vouloir apprécier nos amendements pour ce qu'ils sont : une volonté de respecter tant l'esprit de notre tradition législative que celui du droit européen, pour parvenir sur ce sujet au nécessaire consensus républicain. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, radical, citoyen et divers gauche et du groupe de la Gauche démocrate et républicaine.)