Monsieur le président, madame la secrétaire d'État, chers collègues, je souhaite souligner à mon tour l'importance de ce texte : il ne s'agit pas simplement de réaliser un travail technique, mais d'introduire dans la législation française une définition des discriminations, qu'elles soient directes ou indirectes.
Il est vrai que, pour que nous puissions débattre de ce texte, il aura fallu que la Commission européenne fasse preuve d'une grande persévérance (Sourires) : deux mises en demeure et un avis motivé, avec menace de sanction immédiate, ce n'est pas rien ! Cela révèle les difficultés rencontrées côté français pour transposer ces directives.
Pourquoi une telle résistance ? À l'évidence, contrairement à ce que vous venez de dire, madame la secrétaire d'État, le problème n'est pas technique. Il ne s'agit pas d'un simple retard, puisqu'une partie des dispositions en cause avait déjà été transposée par la France. Il y a bel et bien eu une controverse juridique avec la Commission. Les trois lettres que celle-ci a adressées au Gouvernement sont très claires à ce sujet, et je regrette qu'elles ne figurent pas dans le rapport, non plus que les réponses des administrations françaises.
S'il y a eu controverse, c'est d'abord en raison de la difficulté d'intégrer les questions de discrimination dans notre droit, qui reste essentiellement individuel et fondé sur l'intention – d'où notre difficulté à introduire, par exemple, la notion de discrimination systémique. Plus largement, notre conception universaliste de l'égalité s'appuie sur un individu abstrait, détaché de ses racines et de ce qui fait son identité. Manifestement, ces divergences théoriques ont joué un rôle important.
Mais il existe aussi une autre résistance, plus prosaïque, mais très forte, liée au fait qu'une partie des milieux patronaux s'inquiète des conséquences que pourrait avoir l'introduction de telles mesures dans notre législation. J'en veux pour preuve la proposition de loi déposée au Sénat, déjà évoquée, qui vise à limiter les délais de prescription en matière de discrimination. Personne ne me fera croire qu'elle est arrivée spontanément sur le bureau du Sénat… Elle est assurément le résultat d'un travail effectué en amont – en soi tout à fait légitime, du reste – en vue de limiter les éventuels effets des dispositions législatives en matière de discrimination.
Au-delà de l'adoption récente de cette proposition, à laquelle nous nous opposerions très fortement si d'aventure elle venait en lecture devant notre assemblée, un autre fait témoigne de cette résistance : le décret relatif au curriculum vitae anonyme – M. Vercamer l'a rappelé – n'a toujours pas été publié alors que la disposition législative qui, sur les plans juridique et réglementaire, ne présente aucune difficulté particulière, a été votée en 2006 ! Comment le comprendre ? Il me semble que c'est, là aussi, le résultat de réticences, voire de résistances parfois très vives.
Cela est inquiétant parce que la situation de la France en matière de discrimination n'est pas satisfaisante : les quelques rares études qui portent sur les discriminations à l'embauche sont proprement accablantes, notamment en termes de critères « ethniques » ou « raciaux » – entre guillemets. L'étude du Bureau international du travail, citée par Mme Vasseur dans son rapport, montre que 11 % seulement des nombreuses entreprises testées ont des procédures à l'embauche qui ne peuvent être qualifiées de discriminatoires. Autrement dit, près de 90 % des entreprises françaises ont des procédures susceptibles d'être considérées comme discriminatoires ! La situation est donc extrêmement préoccupante. Elle a, du reste, été récemment dénoncée par M. Louis Schweitzer, lorsqu'il a présenté une autre étude, celle du cabinet Vigeo, qui révèle le caractère massif des discriminations en France. Aussi M. Schweitzer a-t-il tiré la sonnette d'alarme. Il est donc nécessaire de se saisir à bras-le-corps de ce problème et de le résoudre.
C'est dans ce contexte que vous nous présentez ce projet de transposition de directives européennes. Je tiens tout d'abord à saluer le travail très important réalisé sur le sujet depuis une dizaine d'années sur le plan européen, le traité d'Amsterdam ayant donné à l'Europe un véritable élan et de réelles capacités d'intervention dans ce domaine. La Commission et les institutions européennes ont ainsi effectué un énorme travail qui permet de disposer désormais d'un cadre juridique conséquent ; à charge pour nous de le transposer en droit français.
Cette transposition, positive dans la mesure où elle permettra l'introduction de nouvelles notions dans notre législation, notamment celles de discrimination directe et indirecte, demeure toutefois très imparfaite. Elle est en effet confuse sur le plan juridique par le fait que, non seulement elle ne prévoit aucune harmonisation entre les différentes notions, mais sa rédaction manque de clarté par rapport aux textes européens : nous aurions aimé une rédaction plus précise et surtout plus proche des directives européennes. Qui plus est, elle n'est pas complète, notamment pour ce qui est de la possibilité pour les associations d'ester en justice et donc de se porter partie civile en cas de discrimination – oubli d'autant plus incompréhensible que cette disposition fait partie des cinq priorités figurant dans l'injonction de la Commission européenne au Gouvernement français. Par ailleurs, la Commission précise que le délai de cinq années pour ester en justice n'est pas satisfaisant. Je suis, là aussi, surpris de constater que le projet de loi ne reprenne pas cette recommandation, pourtant explicite, de la Commission. Il nous faudra donc travailler de nouveau sur la question.
Nous avons devant nous quelques heures pour améliorer le texte. Tel est l'état d'esprit dans lequel nous abordons ces débats, en vue d'aboutir à une transposition beaucoup plus satisfaisante. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, radical, citoyen et divers gauche.)