Monsieur le président, madame la secrétaire d'État, mesdames, messieurs, réunir les différences dans une même volonté de construire est, depuis l'origine, l'essence même du projet européen. Dès le traité de Rome, le principe d'égalité et de non-discrimination a été posé comme un principe fondamental de l'ordre juridique européen. Parce que l'Union européenne se veut « unie dans la diversité », elle doit se montrer à l'avant-garde de la lutte contre les discriminations. De fait, c'est la législation européenne qui incite les États à engager des politiques audacieuses et ambitieuses pour favoriser l'égalité de traitement et l'égalité des chances, notamment dans le domaine du travail et de l'emploi. Le texte qu'il nous est proposé d'examiner aujourd'hui, et qui vise à compléter la transposition de diverses directives communautaires relatives à l'égalité de traitement, nous rappelle cette exigence.
D'emblée, il y a de quoi être surpris de devoir étudier à nouveau des textes qui ont déjà fait l'objet de transpositions. La Commission européenne a estimé que, sur plusieurs points que je ne détaillerai pas car ils sont précisés dans l'exposé des motifs du projet de loi, le législateur français n'avait pas procédé à une transposition complète. C'est donc avec la perspective de voir des sanctions s'appliquer que nous entamons notre travail de modification de la législation.
De telles circonstances appellent de la part du groupe Nouveau Centre une remarque d'ordre général : notre administration doit mettre un soin particulier à transposer en droit français les directives européennes, s'agissant des délais comme du fond. Notre pays a certes amélioré sa position au cours de ces dernières années. Le rapport 2006 de la Délégation de l'Assemblée pour l'Union européenne a souligné les efforts effectués pour rattraper notre retard, efforts qui ne plaçaient toutefois la France qu'au dix-septième rang sur les vingt-cinq pays alors membres de l'Union.
« La permanence du perfectionnisme juridique de notre administration » étant l'une des raisons invoquées pour expliquer notre piètre performance, il est paradoxal de devoir réexaminer des textes déjà transposés, même si figurent également dans ce projet de loi des dispositions nouvelles ! Nous ne pouvons que souhaiter une adaptation de notre droit plus conforme à l'esprit de la législation européenne, ce qui éviterait de revenir sur des textes alors que l'agenda parlementaire est d'ores et déjà bien chargé. Cela étant dit, je n'ignore pas, madame la secrétaire d'État, que vous n'êtes évidemment en rien responsable de cette situation !
Concernant le texte lui-même, le groupe Nouveau Centre présentera deux amendements.
À l'article 2, nous vous proposerons d'harmoniser les motifs de discrimination évoqués, d'une part, dans le champ du travail et de l'emploi, et, d'autre part, dans les domaines les plus variés de la vie quotidienne comme la santé, l'accès à la protection sociale, l'éducation ou le logement, où ils sont paradoxalement moins nombreux. Ce décalage surprenant ne nous semble pas correspondre à la réalité vécue par nos concitoyens. Le handicap ou l'orientation sexuelle peuvent être des facteurs discriminants aussi bien pour l'accès à certains biens ou services que pour l'accès à l'emploi et le déroulement de carrière. Il nous a donc semblé nécessaire de prendre en compte, dans les différents domaines de la vie courante, des motifs plus variés de discriminations.
L'article 4 concerne le renversement des règles de charge de la preuve au profit des personnes qui engagent une action en justice pour faire reconnaître une discrimination. Nous avons, sur ce point, souhaité répondre aux inquiétudes d'associations qui craignent que la rédaction actuelle de l'article ne rende plus difficile l'exposé des faits commis à l'encontre de la personne qui estime être discriminée. Nous aurons l'occasion d'y revenir.
Notre groupe veut par ailleurs profiter de l'examen de ce texte pour lever certaines craintes exprimées par le monde associatif ou syndical concernant en particulier la loi du 5 mars 2007 instituant le droit au logement opposable. L'article 35 de cette loi permettrait au bailleur de demander au candidat à la location d'un logement adapté communication de son dossier médical personnel, préalablement à l'établissement du contrat de location. Indépendamment des questions relatives à l'entrée en vigueur du dossier médical personnel, qui ne relèvent pas de notre propos ici, cette disposition ne paraît guère compatible avec la confidentialité qui s'attache à ce document. Nous souhaitons connaître l'avis du Gouvernement sur ce point.
De la même manière, nous voudrions entendre le Gouvernement sur la question, récemment évoquée dans la presse, de la réduction du délai de prescription des procédures civiles. Une proposition de loi sénatoriale ramène ce délai de trente ans à cinq ans, y compris pour les actions engagées par les salariés devant les prud'hommes. Une telle disposition pourrait avoir un impact sur les poursuites pour faits de discrimination, notamment lorsqu'il est nécessaire de réunir, sur une longue période, les pièces nécessaires pour présenter les faits. Nous souhaitons que le Gouvernement lève les inquiétudes sur ce point.
L'examen de ce texte est également l'occasion de l'interroger sur les actions qu'il compte mener contre les discriminations notamment à l'embauche et dans l'emploi. Il est impératif de briser le plafond de verre qui prive, souvent durablement, certains de nos concitoyens de l'accès à l'emploi en raison de critères qui n'ont rien à voir avec leur qualification, leurs compétences ou leur expérience. L'état des lieux ne peut que nous convaincre du travail qui reste à réaliser pour assurer à tous l'égalité de traitement jusque dans les procédures de recrutement et le déroulement de la carrière professionnelle.
Le rapport 2006 de la Haute autorité de lutte contre les discriminations et pour l'égalité est riche d'enseignements. Sur un peu plus de 4 000 réclamations, près de 43 % touchaient au domaine de l'emploi. Si 35 % des réclamations concernaient des discriminations liées à l'origine, plus de 18 % étaient liées à la santé et au handicap, et plus de 6 % à l'âge.
J'ajoute que la question de l'égalité de traitement dans le déroulement de la carrière est tout aussi prégnante que l'accès à l'emploi, même si elle est moins mise en avant. Toujours d'après les chiffres de la HALDE en 2006, les réclamations concernant le déroulement de la carrière dans le secteur privé comme le secteur public représentaient, respectivement, près de 18 % et de 13 % des dossiers.
Ces chiffres nous font mesurer à quel point les mentalités doivent encore évoluer. Or, pour porter ses fruits, la lutte contre les préjugés, contre les représentations, demande beaucoup de temps. Raison de plus pour ne pas en perdre davantage ! C'est pourquoi le groupe Nouveau Centre veut accentuer les politiques de lutte contre les discriminations à l'embauche et dans l'emploi.
Sous la précédente législature, j'ai personnellement beaucoup insisté pour que l'anonymat des curriculum vitae soit une obligation inscrite dans la loi. Il ne s'agit évidemment pas du seul et unique moyen de combattre les discriminations à l'embauche. Mais le CV anonyme peut constituer un outil intéressant pour faire reculer l'inégalité de traitement des candidats à un poste, s'il s'accompagne de tout un dispositif visant à faire prendre conscience des pratiques discriminatoires, et à les faire reculer.
L'obligation légale d'« anonymiser » les curriculum vitae, devenue réalité avec l'article 24 de la loi pour l'égalité des chances en 2006, est cependant restée lettre morte, faute de décret d'application. En décembre dernier, le président de la HALDE lui-même a regretté cet état de fait. Quel avenir le Gouvernement entend-il donc réserver au CV anonyme ?
Par ailleurs, au mois de novembre dernier, les syndicats qui ont signé l'accord national interprofessionnel sur la diversité dans l'entreprise en octobre 2006 ont demandé à le voir réellement entrer dans les faits, et étendu. Qu'en est-il aujourd'hui de son application ?
Parmi les domaines d'action librement définis par les partenaires sociaux dans le cadre de cet accord, figurent notamment la sensibilisation des salariés, via des démarches de communication régulières sur le sujet des discriminations à l'embauche et dans l'emploi, la désignation de correspondants « égalité des chances » dans les entreprises, la formation de l'encadrement ; l'égalité de traitement concernant l'accès à la formation professionnelle, l'expérimentation de l'anonymat des candidatures dans le cadre des recrutements. C'est d'ailleurs à cause de cette dernière possibilité d'expérimentation que le précédent gouvernement n'avait pas pris le décret d'application que j'évoquais à l'instant. Nous souhaiterions connaître où en est la mise en oeuvre de cet accord, et quelles dispositions le Gouvernement entend prendre pour inciter les entreprises à l'appliquer.
Contrairement à ce que nous pourrions croire parfois, des initiatives existent pour avancer sur le terrain de l'égalité des chances. Si elles concernent au premier chef l'embauche et l'emploi, elles s'étendent désormais à l'accès au logement, à l'éducation, et à certains services touristiques ou culturels. Je pense, sans prétendre le moins du monde être exhaustif, aux initiatives prises pour favoriser l'accès au logement de personnes déficientes intellectuelles, grâce aux concours de collectivités locales, pour former les personnels des bailleurs sociaux chargés de l'accueil des demandeurs de logements, afin de prévenir les comportements et attitudes susceptibles de constituer des discriminations, pour favoriser l'accès des enfants handicapés à l'éducation, aux loisirs, et aux vacances. Je pense également aux dispositifs d'alerte mis en oeuvre dans certains groupes pour permettre aux personnes qui s'estiment victimes de discriminations de mieux faire valoir leurs droits, aux guides du recrutement qui sont élaborés dans certaines entreprises, afin de rappeler le cadre légal et de mieux respecter la diversité lors des embauches, aux mesures enfin visant à mieux anticiper et à prendre en compte l'allongement des carrières dans les politiques internes de management des ressources humaines, afin de favoriser l'emploi des seniors.
Si ces innovations ne constituent jamais la réponse unique aux discriminations, elles n'en sont pas moins le signe qu'une prise de conscience a eu lieu ces dernières années : les acteurs du monde du travail – les organisations syndicales et patronales, mais aussi des intermédiaires de l'emploi tels que les organismes de placement – conviennent désormais que chacun doit jouer son rôle pour faire progresser l'égalité de traitement. Ces bonnes pratiques ne demandent qu'à être diffusées et expliquées afin d'être appliquées plus largement.
Les hasards du calendrier veulent qu'il y a quelques jours, ait été organisée aux Archives du monde du travail, à Roubaix, une rencontre devant permettre aux partenaires sociaux engagés dans la lutte contre les discriminations à l'embauche et dans l'emploi de faire le point sur leur action. Cette rencontre, à laquelle je n'ai pu participer mais dont je me suis procuré les conclusions, a aboutit au constat que de nouvelles formes de discriminations, liées à l'âge, à l'orientation sexuelle ou à l'état de santé, se développaient – ou, plus exactement, qu'elles devenaient de plus en plus importantes, les discriminations de ce type n'étant pas vraiment nouvelles. Il y a donc urgence à diffuser largement les mesures qui permettraient de les contenir.
Il semblerait qu'en la matière, la France entende jouer un rôle au niveau européen. Il y a deux mois, le ministre du travail, des relations sociales et de la solidarité a annoncé que le Gouvernement allait prendre des initiatives dans le cadre de la présidence française de l'Union européenne, qui débute en juillet. Quand on sait, comme je l'ai rappelé en préambule, que projet européen et promotion de l'égalité et de la diversité sont intimement liés, on mesure l'importance de cette annonce. Aussi le groupe Nouveau Centre souhaiterait-il avoir des précisions sur les initiatives envisagées.
Madame la secrétaire d'État, c'est avec la volonté d'enrichir le débat au-delà de la simple transposition de dispositions communautaires et de renforcer notre dispositif global de lutte contre les discriminations que le groupe Nouveau Centre votera en faveur de ce texte. (Applaudissements sur les bancs du groupe Nouveau Centre et du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)