Madame la secrétaire d'État, vous soumettez aujourd'hui au Parlement une loi de transposition de diverses dispositions européennes de lutte contre les discriminations. Je serais tentée de dire « enfin ! » La France a en effet fait l'objet de trois procédures d'action en manquement de la part de la Commission européenne.
Trois directives communautaires relatives à l'égalité de traitement ont été imparfaitement transposées au jour d'aujourd'hui : celle du 29 juin 2000 relative à la mise en oeuvre du principe de l'égalité de traitement entre hommes et femmes en ce qui concerne l'accès à l'emploi, à la formation et à la promotion professionnelles, et les conditions de travail.
Il manque donc actuellement dans le droit français la définition des discriminations directes et indirectes, du harcèlement moral et du harcèlement sexuel ; l'interdiction d'enjoindre à quelqu'un de pratiquer une discrimination, et des dispositions pour garantir les droits des victimes de discriminations, notamment contre la rétorsion, et pour asseoir l'aménagement de la charge de la preuve.
Comme il a été dit, deux actions pour manquement ont donné lieu à l'envoi d'une mise en demeure et la troisième à l'émission d'un avis motivé. Dans la mise en demeure adressée à la France le 21 mars 2007, la Commission estimait que le droit français n'interdit pas la discrimination fondée sur la religion, les convictions, le handicap ou même l'orientation sexuelle, en ce qui concerne les conditions d'accès aux activités non salariées et au travail.
Il s'agit aussi de commencer à transposer la directive du 13 décembre 2004 mettant en oeuvre du principe de l'égalité des chances et de l'égalité de traitement entre hommes et femmes en matière d'emploi et de travail.
C'est grâce à l'action de l'Union européenne et au fait que ce soit depuis la fin des années 90 une politique communautaire autonome que la France s'est attaquée à bras le corps à la lutte contre les discriminations. Le problème était resté longtemps occulté dans notre pays. Les principes républicains d'égalité et d'universalité se trouvaient ainsi détournés de leur véritable sens. La place prise dans le système juridique français par le droit pénal, qui donne la priorité à la dimension répressive, rendait difficile la mise en évidence de cas concrets de pratiques discriminatoires, gardées dans le silence et dont l'évocation publique était souvent taxée d'illégitimité.
Suite aux impulsions successives données par l'Union européenne, la France a commencé à partir de l'an 2000 à se départir de simples proclamations abstraites sur l'égalité de traitement pour adopter des outils législatifs d'actions concrètes, protectrices et correctrices, de lutte contre toutes les discriminations. Ceux-ci ont commencé à être introduits dans le droit codifié – droit pénal, droit du travail, droit du logement et loi sur les rapports locatifs, droit de l'action sociale, loi spécifique pour les personnes en situation de handicap. Ils sont venus enrichir les premières lois françaises adoptées depuis les années 70 et 80 sur l'égalité de traitement entre femmes et hommes.
Ces outils législatifs transposés se sont aussi traduits par la création d'institutions universelles de lutte contre les discriminations et l'adoption de lois : le GELD, groupe d'études et de lutte contre les discriminations, en l'an 2000 ; la loi du 16 novembre 2001 relative à la lutte contre les discriminations ; la création de la HALDE, Haute autorité de lutte contre les discriminations et pour l'égalité, en 2005, répondant, elle aussi, à une exigence européenne ; et la loi du 11 février 2005 pour l'égalité des droits et des chances, la participation et la citoyenneté des personnes handicapées.
La loi du 30 décembre 2004 portant création de la HALDE a intégré des amendements permettant aux associations de lutte contre les discriminations de se constituer partie civile lorsque des propos discriminatoires – injures, diffamations, provocations à la haine – sont publiquement tenus à raison du sexe – qui intègre la discrimination fondée sur l'identité de genre qui est assimilable en droit –, de l'orientation sexuelle ou du handicap d'une personne ou d'un groupe de personnes. Les peines encourues sont les mêmes que celles introduites précédemment dans la loi contre les propos racistes, mais, contrairement aux possibilités données aux associations antiracistes, les associations LGBT, de lutte contre le sexisme ou de soutien aux personnes handicapées n'ont pas obtenu le pouvoir d'exercer le droit de réponse à un propos discriminatoire tenu publiquement par voie de presse.
À côté de la HALDE, le FAS, le fonds d'action sociale, a été transformé en FASILD, s'élargissant ainsi à l'intégration et à la lutte contre les discriminations, dont les services ont été intégrés, il y a deux ans, dans l'Agence nationale pour la cohésion sociale et l'égalité des chances.
Les choses avancent, donc, depuis les années 2000.
La HALDE reçoit en moyenne 400 saisines par mois. Selon le tableau de bord des réclamations qu'elle a enregistrées pour l'année 2007, parmi les saisines entrant dans son champ de compétence, 38 % concernent le service public, dont 18 % ont trait à l'emploi public, alors même que le principe d'égalité est hautement proclamé dans le service public ! Nombre de pratiques de l'administration dans la gestion des services publics doivent ainsi être passées au crible de la politique contre les discriminations. J'y reviendrai sur le détail des transpositions des directives européennes qui font l'objet de ce projet de loi. Il est important que les mesures antidiscriminatoires sur le lieu de travail ne touchent pas seulement l'emploi privé – ce qui risque d'être le cas si l'on ne modifie que le code du travail –, mais portent aussi sur l'emploi public, en modifiant la loi Le Pors de 1983 sur la fonction publique, ce qui n'est pas prévu.
S'agissant des motifs de discriminations, en 2006, 35 % des saisines portaient sur l'origine tandis qu'en 2007, la part n'était plus que de 27 %, mais avec un nombre de plaintes allant croissant. Le deuxième motif le plus important de discriminations porte sur le champ de la santé et du handicap : de 18,63 % des saisines en 2006, ce champ représentait 21,7 % des saisines en 2007. Celui-ci est lié à des concepts juridiques qui sont en cours d'élaboration à l'heure actuelle, tel, par exemple, le concept de « mesure appropriée » pour l'aménagement du poste de travail en compensation d'un handicap, qui décline celui d' « aménagement raisonnable » prévu dans le droit communautaire. Dans ce cadre précis, la pratique discriminatoire est directement causée par la non-mise en oeuvre de mesures positives spécifiques.
Parmi les autres motifs importants de saisine de la HALDE pour discrimination, les statistiques de 2007 indiquent notamment l'âge, le sexe et l'activité syndicale. L'orientation sexuelle demeure un motif de discriminations relativement peu suivi d'une saisine de la HALDE, même si le nombre absolu de saisines sur ce motif augmente, et même si les cas sont particulièrement douloureux pour les victimes.
Les situations discriminatoires restent multiples et profondes dans notre pays, ce qui justifie de ne plus être en retard sur les transpositions d'outils prévus par l'Union européenne. Je ne vais citer que quelques situations reflétant la diversité des discriminations. Environ une personne handicapée sur quatre est au chômage. Selon l'INSEE, le taux de chômage est presque trois fois plus élevé chez les étrangers non communautaires, notamment les ressortissants des pays de Maghreb et d'autres anciennes colonies françaises de l'Afrique subsaharienne. Sur un CV d'embauche, le prénom et le nom de famille d'un candidat, la couleur de sa peau sur la photo, quand ce n'est pas l'adresse du domicile, sont parfois des éléments rédhibitoires et donc de discriminations, qu'il est ensuite très difficile de prouver.
Comme vient nous le rappeler une énième fois une récente étude de l'INSEE de février 2008, à travail égal, les femmes perçoivent un revenu salarial moyen inférieur de 26 % à celui des hommes. Le différentiel de rémunération est même de 31 % dans le seul secteur privé. Pour les temps complets dans les secteurs privé et semi-public, l'écart salarial atteint 29 % pour les cadres. Quant à la fonction publique d'État, l'écart moyen est de 16 % et atteint 27 % dans la fonction publique hospitalière.
Selon les associations SOS homophobie et Sida info service, de nombreuses personnes homosexuelles ainsi que la plupart des personnes séropositives déclarent être victimes ou avoir été victimes d'un événement discriminatoire sur leur lieu de travail ou à une autre occasion de leur vie sociale ou privée. Cette situation est corroborée par une étude de la HALDE, « L'homophobie dans l'entreprise », réalisée auprès de 1 413 salariés se déclarant gays ou lesbiennes, et rendue publique au début du mois de mars. Selon cette enquête, 85 % des personnes qui ont répondu disent avoir déjà une fois ressenti une homophobie implicite sous différentes formes : rejet, dénigrement, harcèlement ; 40 % ont déjà été directement victimes d'insultes, de dégradation, de violences physiques… quand ce n'étaient pas des menaces ouvertes de licenciement mentionnant explicitement l'orientation sexuelle.
Je voudrais aussi tout particulièrement souligner l'ampleur des discriminations en raison de l'état de santé. Les associations spécialisées nous alertent régulièrement sur les discriminations pour cause de séropositivité, mais la question est plus globale. Alors que le projet de loi qui nous est présenté tend à réintroduire une hiérarchie entre les types et motifs de discriminations, il me semble particulièrement important d'insister sur ce point. Nous le savons tous, un certain nombre personnes souffrant de problèmes de santé rencontrent des difficultés pour accéder à des prêts à cause du refus des assurances.
Notre pays connaît en effet de nombreuses discriminations en raison de l'état de santé de nos concitoyens. Mais alors que cela constitue un motif croissant de préoccupation et de mobilisation des associations de la société civile, le sujet reste de toute évidence tabou et les rapports d'activité de la HALDE omettent cette dimension.
Comme nous le voyons, le développement récent dans notre droit positif de dispositifs de sanctions contre les pratiques discriminatoires n'est pas suffisant, alors que les études ont montré que nombre de victimes de discriminations peinent à formuler juridiquement les actes de discriminations dont l'une des spécificités est de s'appuyer sur des motifs a priori « invisibles ». Ainsi, s'agissant des saisines de la HALDE concernant l'emploi privé, fin 2006, 30 % concernaient l'embauche. Toutefois, les moyens d'action de la HALDE sont limités parce qu'elle ne peut intervenir que sur des situations concrètes, et qu'elle ne peut que rarement obtenir des preuves de pratiques discriminatoires plusieurs années après l'envoi de CV.
Au-delà des questions d'embauche, les pratiques discriminatoires sont multiples sur le lieu de travail. Comme le souligne la rapporteure, les députés sont souvent saisis des discriminations subies par des salariés qui quittent leur lieu de travail et peinent à trouver un autre emploi. Il est alors difficile de justifier la perte d'emploi. Il est donc devenu nécessaire d'inverser la charge de la preuve dans les affaires de sanctions ou de licenciement, sauf en matière pénale où l'on ne saurait déroger au principe constitutionnel de la présomption d'innocence. À ce titre, nous pouvons saluer l'article 4 du présent projet de loi de transposition du droit communautaire qui prévoit justement un aménagement des règles de charge de la preuve au profit des personnes qui engagent une action en justice pour faire reconnaître une discrimination. Nous devrons toutefois voir comment cet article sera appliqué.
Néanmoins, si – sur le principe – ce projet de loi est plus que nécessaire pour pallier les manquements de la France à l'égard de ses obligations communautaires, il faut, une nouvelle fois, regretter les conditions d'urgence dans lesquelles il a été écrit. De toute évidence, tous les acteurs, notamment associatifs, du champ des luttes contre les discriminations n'ont pas été associés. Finalement, ce texte risque d'apporter de la confusion au droit français actuel et remet en cause certains acquis de l'architecture législative des luttes contre les discriminations élaborée au cours de ces dernières années.
La première des critiques, et elle est de taille, est que ce projet de loi, dans son article 2, rétablit une hiérarchisation entre les discriminations, alors que depuis la loi de novembre 2001 relative à la lutte contre les discriminations et la création de la HALDE par la loi du 30 décembre 2004, notre droit avait connu un mouvement d'uniformisation des dispositifs mettant au même niveau les peines encourues et les procédures à suivre, quel que soit le motif de la discrimination.
Au cours de la législature précédente, j'avais moi-même souhaité, en déposant une proposition de loi constitutionnelle cosignée par mes autres collègues Verts, amender l'article 1er de la Constitution concernant l'égalité de traitement devant la loi, pour y introduire explicitement l'énoncé de tous les motifs de discriminations aujourd'hui reconnus dans le droit français.
Comment pourrions-nous dire qu'une discrimination à raison de l'origine serait plus ou moins grave qu'une discrimination à raison du sexe ou de l'état de santé ? Ou de l'orientation sexuelle ? Ou de l'engagement syndical ?
En effet, tout en prenant les directives européennes comme aiguillon, le législateur français a, depuis 2001, de sa propre initiative, mené ce travail d'universalisation de la lutte contre toutes les discriminations, notamment en droit pénal – code pénal et code de procédure pénale, et loi sur la liberté de la presse de 1881 s'agissant de la pénalisation des propos publics discriminatoires. De même, s'agissant de la HALDE, la directive européenne n'imposait la création d'une autorité administrative que dans le champ de la mise en oeuvre du principe d'égalité de traitement entre les personnes sans distinction, à raison d'une appartenance réelle ou supposée d'origine ethnique. Mais du fait de la mobilisation d'un collectif associatif diversifié, la HALDE a été conçue sur un principe universel de lutte contre toutes les discriminations qui sont combattues par la loi française, ce qui a constitué une excellente avancée.
Lorsque nous transposons une directive européenne, il s'agit, certes, de satisfaire une obligation communautaire, mais n'oublions pas qu'il y a, derrière, des personnes à qui nos lois vont s'appliquer ou ne pas s'appliquer ! Et c'est avant tout dans cette dernière finalité de défense des intérêts des victimes que la représentation nationale doit mener son travail de législateur.
Alors, je serais tentée de dire qu'avec ce projet de loi, nous sommes face à une transposition a minima – on n'a pas cherché à servir aux mieux les intérêts des personnes discriminées – et incomplète ; j'y reviendrai.
Ainsi, aux termes de l'alinéa 2 de l'article 2, en matière de protection sociale, de santé, d'avantages sociaux, d'éducation, d'accès aux biens et services ou de fournitures de biens et services, la « discrimination directe ou indirecte », n'est interdite que si elle est « fondée sur l'appartenance ou la non-appartenance, vraie ou supposée, à une ethnie ou une race » ! Quel recul par rapport à l'énoncé des missions de la HALDE ou à la rédaction de l'article 225-1 du code pénal, qui est, en droit codifié, la référence actuelle la plus accessible pour la définition des discriminations selon leurs différents motifs. Une telle hiérarchie constitue une régression. Alors pourquoi l'introduire à l'occasion de cette transposition ?
De même, l'alinéa 3 de l'article 2 du projet de loi, qui s'intéresse aux questions « d'affiliation et d'engagement dans une organisation syndicale ou professionnelle, d'accès à l'emploi, d'emploi, de formation professionnelle et de travail, y compris le travail indépendant ou non salarié », ne couvre qu'un champ, lui aussi parcellaire, par rapport aux acquis du droit français en matière de lutte contre les discriminations.
Ne sont couverts que huit motifs de discrimination : « le sexe, l'appartenance ou la non-appartenance, vraie ou supposée, à une ethnie ou une race, la religion, l'âge, le handicap, l'orientation sexuelle ou les convictions ». Pourquoi, là encore, s'arrêter à ces huit motifs – que la rapporteure semble considérer comme étant les seuls motifs possibles de discriminations –, alors que la liste existant dans l'énoncé de l'article 225-1 du code pénal actuel est plus large ? Encore un recul.
Pourquoi, pour ne prendre que cet exemple, ne pas reprendre parmi les motifs des discriminations l'état de santé ? Dans mes propos préliminaires, je vous ai rappelé l'ampleur des discriminations en raison de l'état de santé qui sont celles, couplées avec le handicap, qui font de plus en plus l'objet de saisines de la HALDE.
Par ailleurs – et cela n'est pas très compréhensible –, pourquoi ne pas garder le même ordonnancement dans l'énonciation des motifs de discriminations, d'un article à l'autre ? Autre exemple de complexification, inutile pour nos concitoyens, de la façon dont le législateur écrit les lois ! Pourquoi, à cet alinéa 3 de l'article 2, la discrimination fondée sur le sexe se retrouve-t-elle en tête dans l'énoncé, alors que ce n'est pas le cas dans l'autre article ? Cela peut ne paraître que rédactionnel, mais il en va de la facilité de lecture, alors même que le projet de loi réinvente des listes de motifs de discriminations différents selon les articles et alinéas.
Aussi, la refonte de l'article 2 s'impose-t-elle, afin de faire disparaître cette hiérarchie entre les discriminations, qui – et ce n'est pas le moindre des paradoxes – contribue à réintroduire une inégalité de traitement devant la loi dans un texte de lutte contre les discriminations ! Je défendrai donc, au nom de mon groupe, un amendement ; je sais que d'autres amendements ont été déposés en ce sens. J'espère que le Gouvernement saura les accepter.
Le deuxième écueil de ce projet de loi réside dans le caractère parcellaire de sa codification, qui le rend peu lisible et difficile d'application. Pourquoi cette non-codification et pourquoi cette nouvelle définition des discriminations sachant qu'elle ne recoupe pas entièrement les champs couverts par l'article 225-1 du code pénal ?
Alors que l'article 8 du projet de loi prévoit d'élargir à l'article 225-3 du code pénal les dérogations au principe de non-discrimination, pourquoi ne pas avoir inscrit directement le contenu de l'article 1er, présentement non codifié, à l'article de référence 225-1 du code pénal ? Nous sommes là face à un nouveau paradoxe : cette transposition de directives européennes se traduirait par un recul par rapport à nos dispositifs actuels de lutte contre les discriminations. Pourquoi ?
En outre, l'article 1er du projet de loi ayant introduit sur un plan général l'assimilation du harcèlement et de l'injonction à discrimination à une discrimination proprement dite, il convient de décliner cet ajout législatif dans le code pénal, le code du travail ainsi que dans la loi du 13 juillet 1983 portant droits et obligations des fonctionnaires afin de garantir la lisibilité de la loi et de faciliter son application.
Ce texte souffre d'autres manques, que j'ai déjà soulignés. Pour couvrir tout le champ du travail, secteur public comme secteur privé, il conviendrait de ne pas se limiter au seul code du travail et de modifier également la loi de juillet 1983 relative aux fonctionnaires. Le code du travail prévoit que les associations régulièrement constituées depuis cinq ans ayant pour but de lutter contre les discriminations peuvent exercer en justice toutes actions découlant de l'interdiction légale des discriminations sur le lieu de travail. Pour leur part, les agents de la fonction publique victimes de discriminations ne pourront toujours pas bénéficier de l'assistance juridique de telles associations en cas de conflit devant la justice administrative – la loi de juillet 1983 ne comportant aucune disposition en ce sens –, alors même que la directive le prévoit.
J'espère, madame la secrétaire d'État, que vous accepterez de réparer cet oubli surprenant. Je citerai le cas fameux d'un fonctionnaire au ministère des finances, qui a aujourd'hui bien des difficultés à faire reconnaître la discrimination dont il est victime du fait de son orientation sexuelle : cette personne ne peut être soutenue par des associations devant le tribunal administratif, même si son dossier a été pris en charge par la HALDE.
La définition actuelle du harcèlement sexuel donnée à l'article 222-33 du code pénal ne permet pas d'en sanctionner toutes les formes. Restrictive, elle ne le conçoit que comme un agissement à l'encontre d'une femme en particulier. Le droit ne prévoit rien contre le harcèlement « environnemental », qui résulte d'un environnement hostile à l'encontre des femmes en général. Ce point mériterait d'être approfondi dans le droit français, comme nous y invitent les associations de lutte contre les violences faites aux femmes. C'est malheureusement une réalité dans les entreprises où sévit parfois un climat de mépris et de dénigrement à l'égard des femmes salariées. De même, le harcèlement n'est aujourd'hui caractérisé que s'il est démontré qu'il y a eu intentionnalité de l'auteur d'« obtenir des faveurs de nature sexuelle », alors qu'il peut y avoir harcèlement sexuel pour d'autres motifs, par exemple lorsqu'il y a volonté d'humilier la victime. La presse se fait régulièrement l'écho de tels cas.
À cet égard, la notion simple et générique de harcèlement reprise dans ce texte de loi est-elle suffisante ? Pourquoi ne pas avoir repris plus directement les éléments de la directive européenne du 23 septembre 2002 relative à la mise en oeuvre de l'égalité de traitement entre hommes et femmes en ce qui concerne l'accès à l'emploi, à la formation et à la promotion professionnelle, et les conditions de travail, qui définit précisément le harcèlement lié au sexe et le harcèlement sexuel ?
Le projet de loi réprime les « agissements » assimilés à une discrimination à l'alinéa 3 de l'article 1er, alors que le texte de la directive évoque des « comportements non désirés liés au sexe d'une personne portant atteinte à la dignité d'une personne et créant un environnement intimidant ». En limitant la définition du harcèlement, notamment du harcèlement sexuel, à des agissements, alors que la directive donne comme définition un « comportement non désiré », le projet de loi continue de donner une vision restrictive du phénomène : il omet de prendre en compte le climat régnant sur le lieu de travail. La directive de 2002 n'est donc qu'incomplètement transposée.
Dans ce domaine, comme dans les autres précédemment évoqués, on ne peut que regretter une nouvelle fois l'enchevêtrement des textes de droit français et le caractère disparate des protections juridiques accordés aux salariés, dans le privé comme dans le public.
Au-delà des propres limites de ce projet de loi, si je défends aujourd'hui cette question préalable, c'est que les diverses transpositions de droit communautaire auxquelles ce projet de loi répond ne peuvent être examinées sans qu'il soit fait mention d'un second texte législatif, déposé sur le bureau de l'Assemblée nationale, appelé à venir en discussion dans un avenir plus ou moins proche et qui rend la présente discussion quelque peu artificielle : je veux parler de la proposition de loi adoptée au Sénat le 21 novembre 2007 qui réduit considérablement – de trente ans à cinq ans – le délai de prescription des actions personnelles et mobilières et ce, à compter du jour où le titulaire du droit « a connu ou aurait dû connaître » les faits qui permettent d'exercer un possible recours. Comment discuter de la transposition sans connaître les conséquences de la proposition de loi adoptée au Sénat ? Améliorer les lois n'a d'intérêt que si celles-ci sont applicables. Si le texte du Sénat était adopté par notre assemblée, vous aurez repris d'une main ce que vous aurez donné de l'autre.
Pendant très longtemps, les représentants syndicaux dans de nombreuses entreprises étaient victimes de discriminations : retard dans l'avancement, suppression de primes, mise au placard. Au cours des années 1990, la jurisprudence de la Cour de cassation, grâce notamment au fameux arrêt Clerc, a permis une évolution de la situation et, aujourd'hui, les discriminations sont plus justement indemnisées par les juridictions. Mais pour obtenir réparation, encore faut-il pouvoir démontrer l'existence d'une discrimination. Or en établir la preuve suppose d'examiner le déroulement de la carrière du salarié concerné, de le comparer avec celui d'autres salariés se trouvant dans une situation comparable et de démontrer qu'il existe une répétition ou une accumulation de faits discriminatoires.
Avec le délai de prescription de trente ans, les actions devant les conseils de prud'hommes intentées par les salariés victimes de discrimination avaient des chances d'aboutir mais, avec un délai ramené à cinq ans, elles seront vouées à disparaître. Les actions en dommages et intérêts menées contre les discriminations retenues par l'article L. 122-45 du code du travail – liées au sexe de la personne, à son origine, à sa couleur de peau, à son handicap, à son orientation sexuelle, ou à son appartenance syndicale – ne pourront plus aboutir.
Au regard des actions passées et des jugements rendus, c'est l'existence d'une prescription de trente ans qui, soit par la négociation dans les entreprises, soit par l'action en justice, a permis aux salariés discriminés de bénéficier d'une juste indemnisation et d'une réintégration dans les échelles de salaires. En ramenant le délai à cinq ans, vous allez remettre en cause l'ensemble de la construction jurisprudentielle qui leur permettait d'obtenir réparation. La plupart des praticiens du droit du travail s'accordent pour dire qu'un délai si court n'est pas opérationnel pour établir les faits et leurs conséquences qui, par nature, sont le plus souvent opaques.
C'est ce même délai de prescription qui évite aujourd'hui que de tels faits ne se reproduisent. Sa réduction est un mauvais message que vous adressez aux employeurs qui usent de telles pratiques. En minimisant le risque financier, vous les poussez de fait à transgresser la loi, mais aussi à tourner le dos à la réparation négociée des discriminations. Une fois de plus, vous donnez satisfaction aux revendications du MEDEF.
Toutefois, la réduction du délai de prescription n'est pas le seul élément inquiétant de la proposition de loi votée au Sénat, car elle modifie aussi le point de départ de ce délai. Désormais, celui-ci devrait courir à partir « du jour où le titulaire d'un droit a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant » d'exercer ce droit. Cette rédaction n'est pas anodine car elle renverse de surcroît la charge de la preuve qui incomberait alors au demandeur, donc au salarié. Elle sous-entend que des personnes subiraient volontairement une discrimination avec comme objectif de se mettre un petit pécule de côté pour leurs vieux jours. Voilà qui est tout simplement indécent.
Cette nouvelle attaque contre la législation du travail porte aussi atteinte au principe posé par l'article 66 de notre Constitution qui fait du juge le garant des libertés individuelles et des droits de la défense le fondement du règlement loyal et contradictoire des contentieux entre les citoyens.
Dans ce contexte, la réduction de la prescription à cinq ans rendrait inopérante la lutte pour l'égalité de traitement et contre les discriminations et donnerait un caractère factice à l'examen du projet de loi de transposition des textes communautaires que vous nous présentez. Le président de la HALDE, Louis Schweitzer, a d'ailleurs exprimé son opposition à la réduction de ce délai et la Haute autorité elle-même a émis une recommandation à ce sujet.
C'est d'un débat global et non d'un débat morcelé dont nous avons besoin.
Pour toutes ces raisons, mes chers collègues, au nom des député-e-s Verts, communistes et des DOM-TOM du groupe de la Gauche démocratique et républicaine, je vous appelle à voter cette question préalable afin que nous puissions examiner le plus rapidement possible ce projet de loi tout en ayant l'assurance que l'adoption du texte voté par le Sénat n'empêchera pas son application. (Applaudissements sur les bancs du groupe de la Gauche démocrate et républicaine et du groupe socialiste, radical, citoyen et divers gauche.)