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Intervention de Patrick Gandil

Réunion du 23 juin 2010 à 10h00
Commission du développement durable et de l’aménagement du territoire

Patrick Gandil, directeur général de l'Aviation civile, DGAC :

La « liste noire » est établie par la Commission européenne. Elle est préparée par un comité spécifique où tous les États membres sont parties prenantes. Elle est régulièrement mise à jour – chaque trimestre, me semble-t-il. Les comptes rendus des débats du comité sont publics ; ils figurent sur les sites Internet tant de l'Union européenne que de la DGAC. Au-delà de la composition de la liste noire, j'attire votre attention sur les attendus des décisions du comité. Ils permettent de connaître la teneur des débats relatifs aux compagnies qui risquaient l'inscription sur la liste noire mais l'ont finalement évitée.

Les compagnies ne sont pas sauvées par des pressions diplomatiques et les décisions sont réellement collégiales : les États dont elles ressortissent sont dans une relation non pas bilatérale mais avec les Vingt-Sept. Une compagnie peut se retrouver sur liste noire pour ses propres insuffisances, mais aussi pour les carences de son autorité de surveillance. Dans ce cas, la mise sur liste noire entraîne de sérieuses tensions avec l'État dont ressortit la compagnie. Le caractère très divers des compagnies sur liste noire et des États dont toutes les compagnies sont sur liste noire – pour des raisons, en général, de défaillance de l'autorité de contrôle – suffit à montrer que le placement en liste noire ne relève pas de la richesse de l'État de rattachement ni de ses pouvoirs de rétorsion, mais d'une pure analyse aéronautique, fondée sur les contrôles SAFA (Safety Assessment of Foreign Aircraft) que nous effectuons sur les aéronefs étrangers de passage, ainsi que sur les informations que nous pouvons obtenir sur le suivi des ateliers de maintenance, ou encore les conclusions des visites de l'OACI.

La liste noire de l'Union européenne comprend aujourd'hui une centaine de compagnies. Si sa lecture pourrait donner à croire que seules de petites compagnies, inconnues en Europe y figurent tandis que les plus puissantes y échappent, les raisons de cet effet d'optique sont, d'une part, qu'une compagnie interdite en Europe ne risque pas de s'y manifester et, d'autre part, que les puissantes compagnies mondiales ne peuvent échapper au système international de contrôle strict étroit qui s'impose à l'aviation commerciale.

Cela dit, loin de disparaître, une compagnie placée sur liste noire continue à travailler dans son État de nationalité. Au-delà de l'interdiction eu Europe, notre position est délicate : dans nombre de pays ne respectant absolument pas les garanties en vigueur dans le secteur de l'aviation, il est beaucoup moins dangereux de voyager sur une compagnie placée sur liste noire qu'en autobus, sur des routes très difficiles et pas toujours sûres. L'accidentologie le prouve. Et comment contraindre un État d'arbitrer en faveur d'investissements lourds au profit de compagnies aériennes qui, quoique placées sur liste noire, sont souvent leurs agents de transport les plus sûrs, au bénéfice principal de touristes occidentaux et au détriment, par exemple, de leur système de santé ? C'est là un cas de conscience. Un moment donné, le touriste doit prendre ses responsabilités.

La pression a ses limites. L'objectif raisonnable me semble une information mondiale, sous la forme d'une liste noire mondiale. S'il est raisonnable d'interdire à ces compagnies d'atterrir en Europe, où nous assumons la responsabilité de la sécurité aérienne, aller jusqu'à leur interdire toute activité dans les États dont elles relèvent – ce qui nous est demandé par beaucoup – me semblerait constituer une atteinte à leur souveraineté.

Si le site Internet de la DGAC comporte un calculateur de CO2, c'est essentiellement dans un objectif d'information. Nombre de compagnies diffusent ce type d'information pour des raisons publicitaires, la puissance publique a souhaité mettre à la disposition des voyageurs un instrument au sérieux et à la neutralité garantis. La compensation procède de la même démarche que la création de permis d'émissions. Il serait dommage, lorsque cela est possible, que l'usage de l'aéronautique ne permette pas de financer des économies d'énergie dans des secteurs où elles sont les plus faciles et les moins onéreuses. En revanche, l'argent de la compensation, lorsque compensation il y a, ne transite aucunement par la DGAC. Je suis donc tout à fait incapable de répondre sur ce point, ni sur le niveau de civisme qu'il faudrait en déduire.

Lier le salon de l'aviation verte et les travaux du CORAC me semble un peu rapide. Le salon comprend d'abord des présentations en vol ou au sol d'appareils expérimentaux, qui relèvent largement de l'aviation légère, les compétences technologiques actuelles ne permettant pas de réaliser un avion de transport tout électrique. Le salon accueille aussi des conférences et débats, qui le rattachent directement à l'univers de l'aviation commerciale et au CORAC.

Le CORAC travaille à la réduction des émissions par l'aviation de CO2, de produits irritants, tels que les oxydes d'azote (NOx), et de bruit. Ont été déclarés éligibles aux financements du Grand emprunt les démonstrateurs, en aval, mais aussi des projets de recherche amont.

Nous recherchons le développement d'avions beaucoup plus légers – donc composés d'une part très importante de matériaux composites – ainsi que de systèmes de propulsion beaucoup plus économiques en kérosène, comme les open rotors (doubles soufflantes non carénées) et les systèmes à très grandes hélices et à turbopropulseurs. La difficulté, surtout pour les open rotors, est de ne pas accroître le niveau de bruit.

Des programmes de recherche sont aussi conduits sur les hélicoptères, en vue d'accroître la part de matériaux composites et la sécurité en cas de panne, un hélicoptère n'ayant qu'un seul rotor et une seule boîte de transmission. D'autres travaux concernent la conception d'hélicoptères à moteur diesel et non plus à réacteur, d'avions d'affaires plus efficaces et enfin de petits avions d'affaires à turbopropulseurs, avec les capacités des Beech 200 actuels, tout en offrant de bien meilleures performances. Les deux derniers programmes cités sont conduits l'un avec Dassault Aviation, l'autre avec la SOCATA.

D'autres projets, comme l'avion dit « tout électrique », intéressent plutôt les équipementiers. Ce dernier programme tend à remplacer, pour la transmission de puissance pour le fonctionnement des pièces mobiles, les circuits hydrauliques par des moteurs électriques. Si cette évolution impose en pratique l'installation d'une petite centrale électrique dans l'avion, l'optimisation de cette centrale devrait permettre une diminution considérable des pertes techniques dans le système. L'ensemble de ces objectifs a été présenté oralement par le CORAC pendant le salon de l'aviation verte.

L'évolution de l'aviation en un siècle, depuis l'avion d'Henri Farman, nous conduit à ne pas sous-estimer les travaux expérimentaux sur de petits mécanismes. Qui sait aujourd'hui quels développements en résulteront dans vingt ans ? Nous soutenons donc avec enthousiasme le salon de l'aviation verte et ses objectifs.

Pourquoi les nuisances sonores ont-elle diminué à Orly ? Le nombre de mouvements y est plafonné à 250 000 depuis très longtemps. Le niveau de bruit unitaire par avion ayant diminué, tel a donc aussi été le cas du niveau global. Cela dit, la réduction du bruit ne se produit pas de façon continue mais par paliers, lors des changements de modèles d'avions exploités. Ainsi, l'entrée en service des Boeing 777 en remplacement des Boeing 747-200 et 747-400 a entraîné une diminution très significative de l'impact sonore et la situation continue d'évoluer.

La problématique n'est pas la même à Roissy, porte d'entrée aérienne de la France et du continent européen où le nombre de mouvements n'a pas été plafonné. Malgré un accroissement significatif du nombre de mouvements – jusqu'à plus 7 % certaines années par rapport aux années 1999 ou 2000 – le niveau total de bruit s'est maintenu, voire a diminué : l'indice de bruit est aujourd'hui de 94 ou 95 contre 100 la première année de mesure. Ce résultat tient aussi à l'amélioration acoustique unitaire des avions, du fait de la disparition des appareils relevant du chapitre 2 de l'Annexe 16 de l'OACI, puis des plus bruyants parmi ceux qui relèvent du chapitre 3. Y concourt le plafonnement du nombre de mouvements de nuit, chaque mouvement abandonné étant perdu.

La baisse du nombre de sanctions en 2009 est probablement liée à la diminution très sensible du nombre de mouvements. Il reste que les niveaux, élevés, des sanctions ont été ajustés pour mettre en perte le vol sanctionné. Une compagnie aérienne a donc tout intérêt à veiller à rester strictement en règle. L'objectif des sanctions est, par leur caractère dissuasif, de faire respecter les normes, au point que la sanction elle-même devienne inutile à terme.

Le rôle de la DGAC dans la gestion de l'inclusion de l'aviation au sein du marché de permis d'émissions de CO2 (Emissions Trading Scheme ou ETS) est essentiel. La DGAC a participé à la négociation de la directive européenne. Elle est, pour la France, l'un des trois négociateurs européens de l'OACI – sur quinze ou seize. Mon adjoint chargé de cette mission a présidé plusieurs groupes de travail. Il reste que la problématique de cette négociation est identique à celle du sommet de Copenhague : il est très difficile de trouver un terrain d'entente avec nombre de grands États – Chine, Inde, Brésil. La possibilité de prendre une décision unilatérale donne lieu à des débats juridiques compliqués. L'affaire se terminera sans doute devant des cours de justice et il n'est pas gagné d'avance que la décision finale nous soit favorable. La négociation est sous-tendue par un combat entre pays développés et pays en développement, inquiets d'un blocage du développement de leur aviation. Nous réussissons à trouver certains terrains d'entente avec les Etats-Unis, le Canada, l'Australie ou encore la Nouvelle-Zélande. Singapour a pris une position diplomatique médiane. Mais l'affaire reste difficile.

La DGAC est responsable de la gestion des ETS pour l'aviation. Elle a donc affaire à un millier de compagnies aériennes – un record européen –, dont certaines n'exploitent qu'un seul avion, de façon épisodique, éventuellement outre-mer, et n'ont aucune notion de ce système juridique. Nous devons déterminer la quantité de CO2 qu'ont émis les compagnies, leur accorder la part de permis d'émissions à laquelle elles ont droit gratuitement et les informer de la loi. La tâche administrative est très lourde et comporte une dimension diplomatique : proposer des permis gratuits peut entraîner une citation auprès d'un tribunal, comme ce fut récemment le cas de la part d'une compagnie étrangère.

L'enquête sur le vol AF 447 Rio-Paris est de la responsabilité non pas de la DGAC mais du BEA (Bureau d'enquêtes et d'analyses pour la sécurité de l'aviation civile). Le directeur général de l'aviation civile ne dispose d'aucune autorité sur le BEA ni d'aucune capacité de suivi de son travail. Mon information sur l'enquête est donc logiquement médiocre. Je sais qu'à l'issue de la dernière campagne, la décision a été prise de ne pas mettre fin aux recherches des boîtes noires. Une nouvelle campagne sera donc lancée, en liaison avec le ministère de la défense et les experts en aviation, en recherche sous-marine et en hydrologie marine. Le BEA s'est entouré des meilleurs spécialistes internationaux. S'il faut reconnaître que la réussite réclamerait beaucoup de chance, l'attente de tous reste grande : outre le réconfort qu'en tireraient les familles des victimes, connaître précisément les causes de l'accident serait d'un grand profit pour les futures prises de décision. En effet, un débat est actuellement conduit entre Boeing, Airbus, les grandes compagnies aéronautiques, l'EASA et la FAA (Federal Aviation Administration) américaine sur le traitement des décrochages en haute altitude : faut-il accroître au maximum la poussée des réacteurs ou faire piquer l'avion ? En haute altitude, l'écart entre une insuffisance de vitesse, pouvant conduire à un décrochage, et un excès de vitesse, pouvant être dommageable à la sécurité de l'appareil, est très faible.

La gestion des aéroports régionaux français a réellement évolué : celle de Lyon, Nice, Bordeaux, Toulouse et Montpellier est désormais assurée par une société de gestion aéroportuaire. La date d'expiration de la concession de l'aéroport de Marseille donne un peu de temps. Quant à Nantes, le changement est conditionné par la réalisation du projet de plateforme de Notre-Dame des Landes.

Sérieusement envisagée, l'ouverture du capital d'Aéroport de Paris est suspendue à une amélioration des marchés boursiers ; ce patrimoine public ne doit pas être bradé.

Nous essayons d'accompagner au mieux les aéroports régionaux face aux compagnies low cost. Au reste, les difficultés rencontrées se limitent en réalité à la stratégie de la compagnie Ryanair, laquelle a tendance à subordonner le maintien de son implantation dans un aéroport à la satisfaction de demandes d'abattements tarifaires mais il est vrai que le respect des règles de droit social a aussi concerné d'autres compagnies à bas coût.

Aujourd'hui, les « clairances » au sein du corps des contrôleurs aériens ne sont plus tolérées. Même si tous n'en sont pas ravis, les contrôleurs doivent désormais « badger ». Leurs badges ont la particularité de ne pas être réservés au contrôle du temps de travail : ce sont aussi des badges de sûreté dont toute falsification aurait des conséquences pénales. Cette nouvelle mesure permet de normaliser une situation très critiquable et d'opérer plus facilement l'ensemble des contrôles qui nous avaient été demandés.

Cela dit, le contrôle aérien est une activité hautement saisonnière, d'intensité variable dans la semaine et beaucoup plus faible la nuit que le jour. Le nombre de contrôleurs nécessaires varie donc dans le temps. Nous devons désormais gérer avec les contrôleurs une certaine flexibilité, pour éviter des présences en sureffectif – mais payées – à des moments d'activité modeste et bénéficier de l'effectif nécessaire en période de pointe, notamment les jours fériés.

Les capacités aéroportuaires méritent une analyse spécifique. Ce sont les compagnies aériennes qui décident de s'installer dans un aéroport, pour des raisons de marché et d'organisation interne. En effet, deux types d'organisations existent, le hub et le système de point à point. L'essentiel du trafic de point à point en Île-de-France passe par l'aéroport d'Orly, où quasiment aucun hub n'est implanté. Inversement, une forte proportion du trafic de Roissy est directement liée au hub d'Air France. Des compagnies peuvent aussi s'implanter dans un aéroport pour bénéficier du trafic généré par un hub important.

Le trafic parisien pourrait-il être organisé sur trois aéroports ? Rien n'est moins sûr. Il n'existe pas dans le monde d'exemple de ce type. Dans un hub, le transit d'un avion à l'autre doit pouvoir avoir lieu en une heure. Cela empêche de répartir un même hub sur deux aéroports. À Londres, les aéroports implantés autour des deux principales plateformes sont des spécialisés, comme celui de Beauvais.

Aujourd'hui, les aéroports régionaux jouent un rôle économique majeur. Dans les années 1980, leur rôle se réduisait quasiment à celui de terminus de la ligne d'Air Inter depuis Paris. Sauf dans le grand Sud, le TGV a fait disparaître quasiment partout cette liaison avec Paris. En revanche, ces aéroports offrent désormais des liaisons exclusives avec la plupart des grandes capitales européennes. Ils sont donc devenus des outils essentiels de l'ouverture des régions françaises à l'Europe. Sans eux, le dynamisme européen serait moindre.

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