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Intervention de Patrick Gandil

Réunion du 23 juin 2010 à 10h00
Commission du développement durable et de l’aménagement du territoire

Patrick Gandil, directeur général de l'Aviation civile, DGAC :

L'éruption du volcan islandais Eyjafjôll a débuté le 14 avril 2010. Le nuage de cendres s'est alors rapproché de l'Europe. La surveillance pour l'aviation en a été assurée par le centre de surveillance des cendres de Londres, responsable de la zone. La terre est couverte par un maillage de tels centres ; si le nuage était descendu beaucoup plus au Sud, le centre responsable aurait été celui de Toulouse.

Le centre de Londres a donc élaboré une cartographie de la présence de cendres dangereuses pour l'aviation. Au fur et à mesure que la zone dangereuse ainsi identifiée s'est approchée de l'Europe du Nord – Grande-Bretagne, Benelux, nord de la France – les pays touchés ont fermé leur espace aérien. Le 15 avril en fin de journée, la France a fermé le sien au nord d'une ligne Brest-Strasbourg. La zone d'interdiction a ensuite été progressivement étendue vers le sud.

À cette époque, j'étais moi-même New-York. Pour autant, je ne vois pas comment une décision autre que la fermeture aurait été possible. Dès lors qu'un organisme officiel, mandaté par l'Organisation de l'aviation civile internationale (OACI), établit la cartographie d'une zone dangereuse pour l'aviation, le premier réflexe est de la fermer à la circulation.

Dès le 16 avril, l'ensemble de l'espace aérien français s'est ainsi trouvé fermé, à l'exception du sud de la France. C'est du reste grâce à cette exception que j'ai pu revenir de New-York pour reprendre mon poste, dans un avion qui a atterri à Nice.

J'ai profité de ce vol pour examiner avec les membres de l'équipage comment ils l'avaient organisé et prendre connaissance des informations dont ils pouvaient avoir communication au fur et à mesure de son déroulement.

Une fois à Nice, j'ai rejoint Paris dans un petit avion, traversant ainsi la zone signalée comme touchée par les cendres. À l'arrivée, j'ai fait démonter les filtres à air de l'appareil. S'ils ne portaient guère de traces, on ne saurait comparer la masse de cendres absorbée par un petit avion, muni d'un moteur à pistons – comme un moteur d'automobile – et un réacteur qui aspire l'air, le comprime et le rejette. La réaction de nombreux pilotes, s'étonnant de l'interdiction de vol dans un ciel apparemment clair, ne correspond donc pas à un raisonnement scientifique.

Pour autant, le samedi, l'aviation civile était clouée au sol ; 150 000 Français étaient bloqués à l'étranger, sans possibilité de prendre un vol retour. Pour certains, les conséquences pouvaient être très graves. Même si l'épisode n'avait pas causé de mort, sa durée lui enlevait son caractère bénin. Il fallait donc, autant que possible, s'efforcer d'en sortir.

Nous nous sommes alors intéressés à la densité en cendres des zones cartographiées. Météo France nous a communiqué des informations obtenues à partir de radars spéciaux, dénommés lidars – qui utilisent la lumière au lieu d'ondes radio. Si les lidars ne mesurent pas la densité des cendres, ils permettent de déterminer leur présence dans l'atmosphère. Leurs résultats confirmaient la forme des cartes météorologiques britanniques. En revanche, cette cartographie ne répondait pas à la question essentielle de la dangerosité du nuage de cendres pour les avions. La présence de particules de tous types dans l'atmosphère est un phénomène normal. L'expression de « plancton atmosphérique » est même employée. L'atmosphère contient aussi assez fréquemment du sable en suspension ; au moins une fois par an se produisent des sortes de pluies rouges dues à des transports de sable saharien, qui lui aussi passe dans les réacteurs.

Ma responsabilité étant à la fois d'effectuer à l'attention du Gouvernement des propositions compatibles avec la sécurité et de prendre la mesure des situations humaines qui seraient créées par mes décisions, nous devions nous assurer de la dangerosité de la zone des cendres.

Avec Air France, nous avons décidé de procéder à des vols d'essai, selon une méthode spécifique : des vols d'essai réguliers, suivis chaque fois d'un examen très détaillé des moteurs par boroscopie. Cette technique, sorte d'endoscopie pour mécaniques, permet d'examiner l'ensemble des orifices interne d'un moteur, y compris les plus ténus. L'examen dit sommaire par boroscopie – qui dure tout de même trois heures ! – concerne les parties les plus sensibles où se recristalliseraient des cendres si le moteur en avait absorbées. En cas de présence de cendres, un examen détaillé – qui dure vingt-quatre heures par moteur – est réalisé. Les lieux les plus sensibles sont ceux où les températures sont les plus hautes, comme les chambres de combustion, où, alors que les cendres fondent à 1 100 degrés, la température en atteint 1 500, et certaines zones un peu moins chaudes où elles peuvent se recristalliser.

Le vol Paris-Toulouse réalisé dans la matinée n'a révélé aucune présence de cendres. D'autres vols ont abouti au même résultat.

J'ai donc pu présenter au Premier ministre, dans la réunion quotidienne qu'il organisait depuis la veille, une méthode d'utilisation de ces vols comme vols-tests, du fait de boroscopies systématiques, et une première conclusion sur le parfait état du moteur du premier avion testé dans ces conditions.

Dans la même journée, un vol a été réalisé sur un axe Toulouse-Bordeaux, à la limite du nuage mais dans la partie de l'atmosphère qu'il recouvrait. Il s'agissait de vérifier si ces deux aéroports pouvaient être rouverts. Dans la soirée, des vols organisés depuis Paris vers Nice, Marseille et Montpellier ont permis de constater que la liaison entre Paris et ces villes était possible dans des conditions de déroulement normal. Dans chaque cockpit, un pilote de l'organisme du contrôle en vol était présent ; les rapports de ces pilotes ont conclu à l'absence de conséquences visibles du nuage sur les conditions de vol de l'avion et sur les paramètres des moteurs signalés au pilote. Bref, les conditions de vol étaient normales ; les boroscopies n'ont révélé aucune présence de cendres.

Le dimanche après-midi, j'ai obtenu la levée totale de l'interdiction pour les vols sans passagers à partir du lendemain lundi. Cette levée a permis à la fois la multiplication des tests, la reprise de l'activité de fret, enfin la remise en place des avions : les parkings des aéroports du sud de la France étaient totalement saturés, il fallait, pour les désengorger, faire partir une partie des avions vers les aéroports parisiens.

Le lundi après-midi, j'ai obtenu la levée de l'interdiction des vols de passagers à partir du lendemain [mardi]. La consigne était de reprendre les vols si possible dans un cadre européen, à défaut dans un cadre national.

Au plan méthodologique, mesurer la quantité de cendres dans l'atmosphère est difficile. Le modèle mathématique disponible était un modèle de diffusion et de dilution. S'il pouvait nous indiquer combien de millièmes ou de millionièmes de grammes de cendres pouvaient être répandues à tel ou tel endroit à partir d'un gramme de cendres rejetées par le volcan, en revanche, pour en tirer des conclusions quantitatives, il eût fallu déterminer le débit en cendres du volcan. Or, non seulement une telle opération, même avec un très grand degré d'imprécision, est très difficile, mais elle ne suffirait pas : le maintien en suspension dans l'atmosphère ou la descente vers le sol des cendres dépend de leur taille – plus lourdes, elles tombent plus vite – mais aussi des turbulences, qui peuvent les faire remonter. Attendre une information précise à partir de tels modèles n'était donc pas raisonnable.

Par ailleurs, les motoristes n'étaient pas capables de nous indiquer la quantité de cendres qu'un moteur pouvait absorber. Leurs chiffres étaient en effet fondés sur une absorption continue de cendres pendant toute la durée du vol. Or un avion ne reste pas tout le temps à la même altitude. Tenter d'établir le volume de cendres qu'il absorberait pour le comparer à une proportion admissible était une voie sans espoir.

Pour ces motifs, nous avons choisi la voie du pragmatisme : si un vol se déroulait sans problème et sans dépôt de cendres dans les moteurs, il était possible de continuer, sous réserve de contrôles réguliers.

C'est sur ces bases que l'espace aérien a été rouvert le mardi. Nous avons d'abord ouvert des corridors, de Paris vers Bordeaux, Toulouse, Montpellier, Marseille et Nice. La situation aérologique provoquait un déplacement assez lent des cendres. Des contrôles tests réguliers ont été effectués dans chaque corridor. Après une journée, aucun test n'a révélé la présence de cendres. Seul un avion revenant d'Afrique présentait des traces de… sables africains !

Tout en maintenant nos contrôles – qui ont tous étés négatifs –, nous avons conclu que si tous les corridors établis en direction du Sud étaient sûrs, c'est que l'espace aérien l'était dans son ensemble. Nous avons donc mis fin aux obligations de vols en corridors.

Le mardi, l'ensemble des longs courriers d'Air France – soit un quart de la flotte – a reçu des autorisations de vols. C'était essentiel pour rapatrier les voyageurs bloqués à l'étranger. Le mercredi puis le jeudi, les autorisations de vol ont été étendues aux moyens courriers. Le vendredi, l'espace aérien a été rouvert aux courts courriers, reprenant enfin son allure habituelle.

Ces décisions auraient-elles pu être prises plus tôt ? L'aviation mondiale n'a jamais connu un tel événement ! Et cela n'a rien d'étonnant car il n'existe que très peu d'espaces aériens aussi denses que celui de l'Europe. C'est du fait de cette densité que le nuage bloquait les plus grands aéroports européens et, finalement, l'ensemble de la zone. En cas d'éruption d'un volcan dans le Pacifique, les avions le contourneront. L'aviation dense est un phénomène récent, apparu dans les années 1975 à 1980. Qu'est-ce que trente ans par rapport au cycle d'activité d'un volcan ?

Dix jours après le premier épisode d'éruption, un second a entraîné la réalisation d'une nouvelle cartographie. Celle-ci faisait apparaître une menace sur Paris. Instruit par l'expérience, j'ai immédiatement ordonné des boroscopies ; les moteurs ont été contrôlés en temps réel. Constatant l'absence de dépôts, nous n'avons pas fermé à nouveau l'espace aérien.

La stratégie française a longtemps été isolée. Si d'autres pays nous ont emboîté le pas,– certains, situés plus à l'Est, considérant que si l'air qui passait dans leur espace avait auparavant traversé l'espace français sans que des anomalies aient été détectées, il était donc sûr –, d'autres, en revanche, se sont tenus aux calculs précis établis en Angleterre. Si des fermetures plus longues des aéroports beaucoup plus proches du volcan que les nôtres, en Scandinavie, en Écosse ou dans le nord de l'Angleterre, étaient légitimes, les périodes de fermeture des aéroports situés dans l'Est de la France auraient dues être encore plus réduites.

Les passagers français bloqués à l'étranger ont profité de l'autonomie de décision française. Une décision unie dans le cadre d'un processus européen nous aurait sans doute obligés à fermer plus longtemps.

Il reste que la diversité des choix effectués n'est pas satisfaisante.

Parallèlement aux mesures que nous décidions, nous avons entamé dès le lundi un travail de coordination européenne, à l'initiative pressante du Premier ministre et des ministres concernés.

Le lundi matin, une audioconférence a été organisée, sous l'égide d'Eurocontrol, entre l'ensemble de mes homologues directeurs de l'aviation civile et leurs adjoints chargés de la sécurité ; nous devions être une centaine. Nous avons défini une méthode en vue du Conseil des ministres européens chargés des transports. Malgré ses limites et son efficacité finalement limitée révélée à l'usage, celle-ci permettait de gérer la première partie de la crise.

Une audioconférence des ministres des transports tenue l'après-midi l'a avalisée et c'est ainsi que les aéroports de l'ensemble des États européens ont rouvert dans le courant de la journée du mardi – la France, déjà prête, rouvrant au petit matin.

Les cartes du centre météorologique de Londres montrent, pour la première crise, une petite tache noire autour du volcan – signalant une zone de cendres très denses où il n'était pas question qu'un avion s'aventure –, entourée d'une large tache rouge. Après la démonstration par les tests français que la circulation des avions était possible dans celle-ci, Eurocontrol a avalisé la méthode française pour l'ensemble de l'Europe. Au cours de l'épisode suivant, la carte a fait apparaître une tache noire très étendue, mordant sur une bonne partie de l'Europe, bordée d'un étroit liséré rouge. Appliquer la méthode précédente eut abouti à bloquer les échanges aériens.

Aussi, nous avons décidé d'approfondir notre connaissance du phénomène, en utilisant les travaux du centre de Météo France à Toulouse, qui mettaient en oeuvre une échelle de densité. La surface de la tache noire du centre de Londres était remplacée par des zones en noir, en gris foncé et en gris clair.

Nous avons testé la situation par la méthode des zones grises. Positif, le résultat des tests a permis finalement à l'Agence européenne de la sécurité aérienne (AESA) et à Eurocontrol d'élaborer une consigne autorisant, sous réserve de conditions d'entretien, le vol aux limites de la zone grise.

Tel est le processus de décision que j'ai voulu décrire à votre intention de manière détaillée, avec toutes ses difficultés et les interrogations que se posent les décideurs, dans le système quelque peu chaotique, né d'une situation où la mesure est extrêmement difficile. Tant que l'aviation ne disposera pas pour les cendres de systèmes de mesure aussi précis que ceux qu'elle utilise pour les turbulences ou les orages – où le radar embarqué garantit au pilote un degré d'information satisfaisant –, la méthode pragmatique des vols d'essais a encore de beaux jours devant elle.

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