C'est un grand honneur de vous présenter aujourd'hui, en ma qualité de Premier président de la Cour des comptes, le rapport 2010 sur la situation et les perspectives des finances publiques. Je suis accompagné de M. Christian Babusiaux et Mme Rolande Ruellan, présidents de chambre, et de plusieurs collègues qui ont participé à l'élaboration de ce rapport, MM. Jean-Raphaël Alventosa, François Monier et François Écalle.
Je me réjouis de cette nouvelle audition commune à vos deux Commissions, qui donne toute sa portée au tableau d'ensemble de nos finances publiques que je vais vous exposer.
Le rapport dont je vous rends compte aujourd'hui a été établi conformément à l'article 58-3 de la LOLF. Il est destiné à nourrir vos débats d'orientation budgétaire et sur les finances sociales que vous tiendrez conjointement. Il complète le rapport sur les résultats et l'exécution du budget de l'État et l'acte de certification de ses comptes, que j'ai présentés à la commission des Finances de votre Assemblée le 26 mai dernier, ainsi que l'acte de certification des comptes du régime général de sécurité sociale, qui a été rendu public hier. Avant l'été, votre commission des Finances sera également destinataire de la communication sur l'exécution du plan de relance qu'elle nous a demandée.
S'il fallait résumer les conclusions de ce rapport, je vous dirais que l'état de nos finances publiques s'est aggravé de façon très sérieuse en 2009 et début 2010, mais que la situation n'est pas encore irréversible si la France s'attelle dès maintenant à une action de redressement forte, crédible et durable.
Dans ses rapports précédents, la Cour avait souligné déjà la dégradation de notre situation financière et la nécessité d'un effort de consolidation sans précédent. Mais dans ce rapport, nous constatons que si la gravité du mal dont nos finances publiques sont atteintes est de longue date chronique, ce mal a franchi un nouveau stade. Il y a donc urgence à prendre des mesures immédiates, sauf à hypothéquer notre indépendance et notre souveraineté si les tendances actuelles devaient un tant soit peu se poursuivre. Avant de décrire les perspectives de nos finances publiques, arrêtons-nous quelques instants sur l'exercice 2009 et sur 2010.
La très forte augmentation du déficit et de l'endettement publics constatée l'an dernier est principalement attribuable à la récession et aux mesures de relance prises pour y faire face. Mais les variations conjoncturelles n'expliquent pas tout, tant s'en faut : le déficit structurel de nos finances publiques a continué en effet de se creuser l'an dernier.
En 2009, notre déficit et notre endettement publics ont atteint un niveau sans précédent depuis l'après-guerre. Le déficit public s'est élevé à 7,5 % du PIB, en raison de la forte croissance des dépenses publiques, qui a atteint 3,7 % en volume, et de la baisse du produit des prélèvements obligatoires de plus de 5 % par rapport à 2008.
Effets de la crise, pourrait-on penser en première analyse ? C'est effectivement le cas s'agissant des dépenses du plan de relance, pour un montant de plus de 7 milliards d'euros, des investissements locaux induits par le remboursement anticipé de TVA aux collectivités, pour probablement moins de 1 milliard d'euros, et de l'accroissement de plus de 4 milliards d'euros des allocations chômage versées.
Mais si l'on exclut ces différentes mesures, on constate un rythme d'augmentation des dépenses publiques de 2,4 %, légèrement supérieur à l'évolution constatée depuis 1998 – 2,3 % –, loin du 1 % prévu dans la loi de programmation des finances publiques pour 2008-2012.
Pourtant, les charges d'intérêt payées au titre de la dette ont fortement diminué du fait de la baisse des taux. Ce sont donc les dépenses courantes, hors intérêts de la dette, hors investissement, et hors mesures de relance et d'assurance chômage, qui ont fortement progressé, de 3,7 % en volume. Comme le craignait Philippe Séguin l'année dernière devant vous, il y a bien eu un phénomène de « décompensation » en 2009, avec un relâchement des efforts de maîtrise des dépenses publiques, y compris dans des secteurs qui n'étaient pas directement concernés par les mesures de soutien à l'économie.
La baisse des recettes est très majoritairement attribuable à la récession, ainsi que, dans une moindre mesure, au volet fiscal du plan de relance. Mais il y a eu également des baisses pérennes de prélèvements obligatoires consenties par l'État, comme la diminution du taux de TVA sur la restauration, et en sens inverse des hausses de recettes affectées aux organismes de protection sociale ou décidées par les collectivités territoriales. Au total, le coût net de ces mesures nouvelles aurait aggravé le déficit public de 2,5 milliards d'euros en 2009.
On voit donc que, du côté des dépenses comme des recettes, la crise a indéniablement pesé. Elle n'explique toutefois qu'une partie de la dégradation de nos finances publiques. Pour dresser un diagnostic précis du mal qui les frappe, il est nécessaire de distinguer entre les composantes conjoncturelles et structurelles du déficit. Il faut pour cela procéder à des calculs compliqués, sur la base d'une prévision de croissance potentielle, dont on pense qu'elle pourrait être durablement affectée par la récession de 2009.
Je signale que le chiffrage de la Cour ne prend pas en compte les mesures de relance que nous avons considérées comme non pérennes, à la différence de la Commission européenne qui arrive à un niveau de déficit structurel sensiblement plus élevé que le nôtre.
Aux termes de ces calculs, la Cour estime que le déficit structurel a encore progressé par rapport à 2008, où il atteignait 3,9 %. Il s'élèverait à environ 5 % du PIB en 2009 et représenterait donc les deux tiers du déficit constaté. La crise et les mesures de relance n'expliqueraient pour leur part qu'un tiers du déficit global.
La forte augmentation du déficit public de 4,2 points de PIB est principalement attribuable à l'État et à ses divers organismes d'administration centrale.
Je n'y reviens pas, puisque j'ai déjà eu l'occasion de l'évoquer devant votre commission des Finances à l'occasion de la présentation du rapport sur les résultats et l'exécution budgétaire de l'État.
L'année 2009 aura également été marquée par une forte hausse des déficits sociaux. Là encore, les mêmes causes produisent les mêmes effets : une forte croissance des dépenses, +4,5 % après +3,1 % en 2008, avec diminution des recettes due à la baisse en valeur de la masse salariale privée, de -1,3 %.
Ce déficit est principalement concentré sur le régime général de sécurité sociale.
Celui-ci atteint 20,3 milliards d'euros, auxquels il faut ajouter 3,2 milliards de déficit pour le Fonds de solidarité vieillesse, le FSV. En 2009, les quatre branches du régime général sont dans le rouge :
L'assurance maladie, dont le solde est négatif de plus de 10 milliards d'euros, est responsable de la moitié du déficit d'ensemble des branches. L'Objectif national de dépenses d'assurance maladie – ONDAM – a été à nouveau dépassé de 700 millions d'euros en 2009, du fait d'une sous-estimation des dépenses hospitalières et de la réalisation incomplète des économies prévues en loi de financement ;
La branche retraite voit son déficit se creuser à nouveau, à 7,2 milliards d'euros, confirmant la tendance observée depuis 2005, et ce malgré une croissance moins vive des prestations servies grâce au ralentissement des départs anticipés ;
La branche famille enregistre également un déficit important de 1,8 milliard d'euros, alors qu'elle était proche de l'équilibre en 2008 ;
Quant à l'assurance chômage, qui avait dégagé d'importants excédents en 2007 et 2008, elle est redevenue déficitaire en 2009 avec un résultat négatif de plus de 1 milliard d'euros.
Dans ce panorama, les collectivités territoriales se distinguent puisque leur déficit a diminué de plus de 3 milliards d'euros en 2009 et représente désormais 0,3 % du PIB, contre 0,4 % en 2008.
Leurs recettes ont progressé plus fortement que leurs dépenses, grâce aux remboursements anticipés de TVA, qui ont constitué un concours de trésorerie exceptionnelle sans avoir un effet très important sur l'investissement.
Les dépenses de fonctionnement des collectivités ont pour leur part décéléré sensiblement par rapport aux années précédentes, sauf pour les intercommunalités. Ces évolutions positives masquent l'aggravation de la situation financière de nombreux départements, victimes d'un « effet de ciseau » entre le dynamisme des dépenses sociales et la faible progression de leurs recettes.
Plus préoccupant, le déficit primaire, c'est-à-dire hors charges d'intérêt de la dette, est passé de 0,5 % du PIB en 2008 à 5,1 % en 2009. Dans ces conditions, il est impossible de stabiliser l'endettement en pourcentage du PIB, la France devant emprunter pour payer non seulement les intérêts de la dette, mais aussi une partie des dépenses courantes hors intérêt. C'est le fameux effet « boule-de-neige » que Philippe Séguin avait décrit l'année dernière.
La dette au sens du traité de Maastricht a augmenté en une seule année de plus de 10 points de PIB. Elle représente 78,1 % du PIB, et atteint presque 1 500 milliards d'euros.
La dette publique est portée à près de 80 % par l'État et les organismes qui lui sont rattachés, dont l'endettement a progressé de 135 milliards d'euros en 2009. La dette sociale a augmenté pour sa part de 31 milliards, en comptant le découvert de trésorerie de l'Agence centrale des organismes de sécurité sociale, l'ACOSS, qui a atteint plus de 24 milliards d'euros à la fin de 2009. Au total, avec les déficits transférés à la CADES et non amortis, la dette sociale atteint près de 150 milliards d'euros, soit quasiment le niveau de la dette locale, qui s'établit à 157 milliards d'euros, en hausse de 9 milliards d'euros. Toutefois, ces deux dettes présentent une différence fondamentale : la dette sociale est profondément anormale, nos principes de sécurité sociale voulant que les cotisations couvrent les prestations ; la dette locale résulte quant à elle d'investissements et a pour contrepartie des actifs.
Pour comprendre mieux encore l'état réel de nos finances publiques, au-delà des chiffres que je viens de citer, il nous faut recourir à des comparaisons internationales. Notre position était défavorable en 2008, elle l'est restée en 2009.
Notre déficit et notre dette publics ont augmenté dans les mêmes proportions que dans les autres pays européens, alors même que la récession a été moins violente en France que dans le reste de l'Europe et bien que notre plan de relance ait été d'une ampleur plus limitée.
Mais le plus inquiétant, c'est le décrochage de la France par rapport à l'Allemagne. Alors même qu'entre 2002 et 2005, notre déficit public était inférieur à celui constaté outre-Rhin, il n'a cessé depuis lors de diverger de manière croissante : il est ainsi supérieur de plus de 4 points de PIB en 2009.
Notre déficit structurel, qui était supérieur de 1 point de PIB à celui de l'Allemagne en 2006, le dépasse désormais de 4 points.
Quant à l'écart entre les soldes primaires français et allemand, il dépasse pour la troisième année consécutive les 3 points de PIB, et n'a jamais été aussi important. Notre dette publique, qui était inférieure à celle de l'Allemagne jusqu'à fin 2007, lui est désormais supérieure de 5 points.
Ces écarts croissants tiennent, pourriez-vous dire, à une gestion trop restrictive des finances publiques en Allemagne. Il ne me revient pas de trancher ce débat. Mais je note que la dégradation de notre position en Europe est également patente lorsque l'on compare la France à l'Italie. Notre déficit public comme notre solde structurel sont ainsi supérieurs depuis trois ans à ceux de l'Italie, même si notre dette reste inférieure.
En 2010, au sortir de la récession et alors que le plan de relance s'achève, nous pouvions espérer un rétablissement. Il n'en est rien. Les prévisions du Gouvernement pour 2010 annoncent en effet une nouvelle dégradation.
Le déficit public atteindrait 8 % du PIB en 2010, en augmentation d'un demi-point par rapport à 2009. La dette publique passerait quant à elle de 78,1 à 83,7 % du PIB.
Comment expliquer cette nouvelle dégradation ? À nouveau, par une croissance encore trop forte des dépenses publiques, qui s'établirait à 1,7 % en volume hors relance et allocations chômage, soit un niveau bien supérieur à l'objectif de 0,6 % retenu pour la période 2011-2013 ; et par une insuffisante sécurisation des recettes, avec en particulier l'effet de la réforme de la taxe professionnelle.
Dès lors, le déficit structurel compte non tenu des mesures de relance atteindrait 5,7 % du PIB, soit plus de 100 milliards d'euros, en hausse de plus d'un demi-point par rapport à 2009.
L'ensemble des administrations publiques serait concerné en 2010, même si les organismes sociaux seront les plus affectés en raison du faible dynamisme de la masse salariale.
En retenant les hypothèses du Gouvernement, le déficit du régime général serait proche de 27 milliards d'euros, dont la moitié proviendrait de l'assurance maladie. Il faut y ajouter le déficit du FSV, qui s'élèverait à 4,3 milliards d'euros.
L'assurance chômage verrait son besoin de financement croître fortement, pour s'élever à 4,1 milliards d'euros, son déficit cumulé dépassant 10 milliards à la fin de 2010.
Le déficit budgétaire de l'État atteindrait un niveau inégalé, de 152 milliards d'euros. Pourtant l'État anticipe un fort rebond de ses recettes fiscales nettes. Cette prévision apparaît volontariste au regard de la précédente récession de 1993, qui s'était traduite par une élasticité des recettes fiscales sensiblement inférieure à l'évolution du PIB pendant trois ans. L'augmentation de près de 12 milliards d'euros de recettes fiscales à la fin d'avril 2010 doit dans ce contexte être interprétée avec une grande précaution. Elle traduit surtout le contrecoup des mesures de relance de début 2009.
L'explication de ce déficit record, c'est que 2010 verra le plein effet de mesures nouvelles ayant une forte incidence sur le budget de l'État : la réforme de la taxe professionnelle, qui aura un coût net de 12,7 milliards d'euros, et les investissements d'avenir au titre desquels l'État versera 35 milliards d'euros à divers organismes.
Certes, ces investissements d'avenir auront un faible impact en 2010 sur le déficit et l'endettement publics au sens de Maastricht, car les 35 milliards seront déposés auprès du Trésor. Une partie de ces dépenses sera versée par tranches de 4 à 5 milliards d'euros chaque année sur une période de quatre ans, sans jamais être incluse dans la norme de dépenses. Le reste de cette somme est non consomptible et donne lieu au versement d'intérêts, à hauteur de 600 millions d'euros par an. Ces intérêts versés seront intégrés quant à eux dans la norme de dépense, accroissant d'autant l'effort nécessaire de réduction des dépenses courantes de l'État.
Ce programme d'investissement aura toutefois à moyen terme un impact sur la dette : elle devrait augmenter de ce fait de 19 milliards d'euros à l'horizon 2014, sans compter la charge cumulée des intérêts, qui devrait dépasser 11 milliards d'euros sur le total des années 2010 à 2020.
L'année 2010 sera probablement marquée par une nouvelle dégradation de la capacité d'autofinancement des collectivités territoriales, et en particulier des départements du fait de la forte croissance des dépenses sociales. Leur besoin de financement devrait également progresser, dans un contexte d'incertitudes sur l'évolution du cadre institutionnel et financier des collectivités territoriales et de baisse des remboursements de TVA.
En 2010 à nouveau, la France serait mal positionnée par rapport à ses principaux partenaires. Son déficit public serait à nouveau supérieur à ceux de la zone euro et de l'Union européenne, hors France, et supérieur de trois points de PIB à celui de l'Allemagne. La dette publique resterait dans les moyennes communautaires, mais son déficit structurel serait à nouveau supérieur.
Le passé et le présent de nos finances publiques sont, vous l'aurez compris, préoccupants. Leur futur n'est pas davantage rassurant, malgré les objectifs affichés par le Gouvernement qui entend ramener le déficit public à 3 % du PIB en 2013. Mais la Cour est dans son rôle lorsqu'elle indique que les conditions de ce rétablissement sont loin d'être assurées à ce jour.
Le programme de stabilité adressé à la Commission européenne est tout d'abord fondé sur une croissance du PIB de 2,5 % par an entre 2011 et 2013, sensiblement au-dessus des prévisions internationales.
Le Gouvernement a privilégié en effet un scénario de rattrapage rapide des pertes de production, plus favorable que les scénarios du rapport Cotis-Champsaur qui estime que les pertes de recettes fiscales et sociales auront un caractère durable.
L'élasticité des recettes à la croissance pourrait être aussi surévaluée, tandis que l'objectif de progression des dépenses de 0,6 % par an est particulièrement ambitieux au regard des évolutions antérieures.
Ces hypothèses de dépenses obligent à dégager 45 milliards d'économie sur la période, et beaucoup plus sur les dépenses primaires pour compenser la hausse des charges d'intérêt. Les dépenses de l'État devront baisser en valeur pour compenser la hausse prévisible des charges d'intérêt et des pensions des fonctionnaires. Or, les décisions d'investissement envisagées à la suite du Livre blanc sur la défense nationale, ou l'accroissement des dépenses fiscales prévues au titre du Grenelle de l'environnement, font d'ores et déjà peser des risques sur l'évolution des dépenses et des recettes.
Il sera en outre difficile à l'État de diminuer de 1 à 2 points le rythme des dépenses des administrations locales et sociales, faute de leviers efficaces pour les réguler.
La soutenabilité des finances publiques de la France n'apparaît dès lors pas assurée à moyen terme, sauf si, bien sûr, des mesures sont prises.
Si l'on retient une évolution légèrement moins soutenue de la croissance, de l'ordre de 2,25 %, soit le scénario bas du Gouvernement, qui est déjà très favorable compte tenu d'une croissance potentielle qui est plutôt de 1,8 %, et si l'on prolonge l'évolution tendancielle des dépenses constatées ces dernières années, le déficit public dépasserait en 2013 les 6 % du PIB et la dette atteindrait 93 % de la richesse nationale, soit plus de 2000 milliards d'euros.
C'est dire que le redressement des finances publiques est une urgence immédiate et impérieuse. Il faut un traitement immédiat, continu et massif de nos déséquilibres financiers.
C'est en effet comme si nous souhaitions faire atterrir un avion gros porteur sur une piste de taille réduite. Car nous arrivons si j'ose dire à pleine vitesse et alors même que notre endettement atteint un niveau de moins en moins supportable.
Des déséquilibres menacent en effet à court terme la soutenabilité des finances publiques. C'est le cas des retraites avant la mise en oeuvre des mesures récemment annoncées par le Gouvernement. Le rôle de la Cour n'est pas de prendre parti sur ces mesures, mais de mesurer l'impact qu'elles pourraient avoir sur le déficit et la dette publics.
Vous connaissez le chiffrage du besoin de financement du Conseil d'orientation des retraites, le COR, à l'horizon 2050 : 114 milliards d'euros pour l'ensemble des régimes de retraite, dans le scénario le plus pessimiste, soit 3 % du PIB. Compte tenu de ce que l'on sait aujourd'hui, la réforme devrait avoir un effet structurel massif à long terme, c'est-à-dire à horizon 2020.
Mais ces calculs ne tiennent pas compte des charges d'intérêt qu'il faudrait payer au titre des déficits cumulés des régimes. Ces charges seraient en 2050 supérieures à ces 114 milliards d'euros.
Les mesures annoncées par le Gouvernement, si elles ont vocation à apporter une réponse à l'horizon 2018, réduiront relativement peu le déficit à court terme alors qu'il y a urgence. Or, la moitié du problème de financement des retraites se pose dès maintenant, puisque le déficit hors intérêt serait, selon le COR, de 1,7 % du PIB en 2010, et doit donc être traité par des mesures d'impact immédiat pour enrayer l'effet boule-de-neige des intérêts de la dette.
Si l'on analyse, au-delà des retraites, la soutenabilité à long terme en faisant des comparaisons internationales, il apparaît que la France devra faire un effort de redressement équivalent aux autres pays européens alors même que nos perspectives démographiques sont moins mauvaises. C'est qu'il nous faudra compenser la situation initiale plus dégradée de nos finances publiques.
Cela signifie également que la réforme de seules retraites sera insuffisante. La France est confrontée à un problème financier global, qui appelle des mesures continues et vigoureuses de l'État, des organismes sociaux et des collectivités territoriales.
Depuis des années, la France n'est pas parvenue à mettre en phase l'évolution de ses dépenses publiques avec son niveau de croissance. Il y a donc un décalage permanent entre les dépenses et les recettes publiques, les dépenses n'étant en 2009 couvertes qu'à hauteur de 86 %. Et pour l'État, ses recettes ne couvrent qu'à peine plus de la moitié de ses dépenses nettes.
Le Gouvernement a annoncé des mesures « d'approche » pour réduire la progression des dépenses publiques, et notamment des dépenses fiscales, des dépenses d'intervention ou des dépenses de fonctionnement de l'État et de ses opérateurs. La diminution du déficit structurel de 1 point de PIB chaque année sur la période 2011-2013, soit 20 milliards d'euros par an, auquel il s'est engagé devant le Conseil de l'Union européenne, devra être impérativement tenue si l'on souhaite stabiliser la dette publique à un horizon qui ne soit pas trop lointain.
Cet ajustement budgétaire n'est pas impossible, comme l'ont prouvé de nombreux pays, même si la Cour en reconnaît la grande difficulté. Selon quelles modalités devrait-il être opéré ?
Il revient au Gouvernement et au Parlement d'en décider, et la Cour n'a aucune intention, ni aucune légitimité, à formuler un programme qui engagerait des choix collectifs ou modifierait les conditions actuelles de l'organisation économique et sociale de notre pays.
En revanche, elle est fondée à identifier les termes du débat, à montrer le niveau des efforts à accomplir, et à formuler des pistes de nature à contribuer aux réflexions du Gouvernement et du Parlement. Elle remplit ainsi la mission d'assistance qui lui a été confiée par la Constitution.
Les termes du débat sont tout d'abord de déterminer la part respective que doivent jouer la hausse des recettes et la réduction des dépenses dans le redressement, sachant que les deux sont nécessaires. La Cour recommande que l'effort porte prioritairement sur la dépense publique, dont les effets sont plus durables pour la consolidation des comptes publics qu'un relèvement des recettes.
Cela implique une politique de maîtrise beaucoup plus ambitieuse que celle menée dans le cadre de la révision générale des politiques publiques, la RGPP. Il faudrait réexaminer l'ensemble des dépenses publiques, et notamment les plus coûteuses : les prestations sociales, qui représentent le tiers des dépenses publiques, les rémunérations, qui en constituent le quart, mais également les dépenses d'assurance maladie, dont le déséquilibre est tout aussi fort que celui des retraites.
De telles réformes structurelles nécessitent au préalable une évaluation qui permette de s'interroger sur le bien-fondé et sur l'efficacité de l'intervention publique, afin de ne pas dégrader la qualité du service rendu. La revue générale des programmes reste devant nous. La Cour entend y prendre toute sa part dans le cadre de la nouvelle mission que lui a confiée la Constitution dans ce domaine. C'est le message que j'ai voulu porter à la connaissance du comité d'évaluation et de contrôle de votre Assemblée, qui m'a auditionné il y a quelques jours.
Les réformes structurelles nécessitent du temps et leur impact budgétaire est souvent très progressif. Il faut donc engager dès à présent des réflexions qui devraient prioritairement porter sur les dépenses d'intervention.
Depuis de trop nombreuses années, nous avons pris la mauvaise habitude de tenir un guichet ouvert pour des publics sans cesse plus nombreux. La dépense publique est donc insuffisamment sélective et conduit à un saupoudrage, comme la Cour l'a déjà souligné pour les aides personnelles au logement ou pour celles destinées au développement des entreprises.
Dans l'attente, des mesures à effet rapide et massif devraient être prises dans les meilleurs délais, quitte à ce qu'elles soient temporaires. Toute nouvelle dépense publique pourrait être gagée systématiquement et strictement. Ainsi, la satisfaction de nouveaux besoins ne serait réalisée que par redéploiement. Il serait en effet paradoxal de vouloir réduire sa vitesse à l'atterrissage, tout en appuyant en même temps sur la manette des gaz.
C'est qu'il ne faut pas attendre d'être en bout de piste pour actionner les freins. La Cour identifie plusieurs mesures qui favoriseraient une consolidation rapide des comptes publics. Il s'agit, si vous me permettez l'expression, d'une « boîte à outils » qui pourrait permettre de peser sur certains des facteurs d'évolution de la dépense publique.
En matière de dépenses de personnels, les réductions d'effectifs ont des limites inévitables. La prochaine négociation salariale pluriannuelle dans la fonction publique sera dès lors déterminante au regard de ses enjeux financiers. La hausse de 1 % de la valeur du point fonction publique représente 1,8 milliard d'euros en année pleine. D'autres pays ont déjà pris des décisions de gel, voire même de baisse des rémunérations de l'ensemble des fonctionnaires, ou des seuls hauts fonctionnaires. Toutefois, l'alignement progressif des cotisations retraite de la fonction publique sur le régime général, annoncé par le Gouvernement, pèsera déjà sur l'évolution des rémunérations versées.
Ramener les comptes du régime général de sécurité sociale à l'équilibre en 2013 nécessitera également un cocktail de mesures à effet rapide et de réformes structurelles, qui devrait répartir justement l'effort entre les assurés, les bénéficiaires d'allocations et les professionnels de santé.
La réforme des retraites annoncée par le Gouvernement devrait contribuer à ralentir la croissance des pensions, avec un relèvement de l'âge d'ouverture des droits. Mais l'indexation des pensions continuera d'entretenir le dynamisme de ces dépenses, tout comme la revalorisation des prestations légales qui accroît le rythme de progression des prestations familiales.
D'autres mesures sont possibles, comme en matière de maladie avec la baisse du prix des médicaments, une plus grande sélectivité des admissions au régime des affections de longue durée ou une non-revalorisation des actes et consultations au-delà de ce qui a été déjà décidé.
L'ensemble de ces mesures ne dispensera pas d'une action sur les recettes : il faut impérativement, selon la Cour, arrêter les baisses d'impôt et limiter la progression des dépenses fiscales qui ont augmenté à périmètre constant de plus de 5 % par an depuis 2000, et même de 8,5 % chaque année depuis 2004. Ces deux phénomènes sont en effet la cause principale du déficit structurel.
Une hausse ciblée des prélèvements obligatoires est inévitable. Elle devrait s'opérer en priorité par un réexamen des dépenses fiscales ainsi que des niches sociales. Ce serait une mesure d'équité.
De nombreux dispositifs ont été retirés depuis quelques années des dépenses fiscales, sans que les explications apportées par les ministères financiers ne convainquent totalement. Les critères d'ancienneté et de généralité manquent de pertinence et ne sont pas utilisés de manière cohérente. Leur chiffrage, qui est un exercice difficile, pourrait également progresser par une meilleure utilisation des déclarations fiscales et un croisement plus fréquent avec des données statistiques.
Cet effort ne devrait pas être limité aux 6 milliards d'euros annoncés par le Gouvernement à l'horizon 2013 : car 6 milliards d'euros, cela correspond à la hausse moyenne des dépenses fiscales chaque année, en grande partie due au dynamisme de certaines niches à législation inchangée. Un objectif de 10 milliards d'euros devrait dès lors être visé en application de la règle posée par la loi de programmation qui limite à 4 ans la durée de vie des dépenses fiscales créées à partir de 2009.
La démarche d'évaluation des dépenses fiscales et de suppression de celles qui sont inefficaces pourrait être complétée par un abaissement du plafond global des avantages fiscaux au titre de l'impôt sur le revenu qui a été instauré en 2009, ou une réduction forfaitaire de tous les crédits et réductions d'impôts. C'est le désormais fameux « coup de rabot ». Nous recommandons que, si de telles mesures devaient être décidées, elles soient appliquées de manière systématique et uniforme, et en priorité aux réductions et crédits d'impôts.
Pour répondre plus précisément à votre question, monsieur le président de la commission des Finances, il n'y a ni norme ni réel contrôle sur les dépenses fiscales. La règle de gage n'a pas vraiment fonctionné. La liste est instable : certaines années, on passe d'une dépense fiscale à une modalité de calcul de l'impôt.
La Cour recommande donc que l'on renforce la règle de gage, que l'on établisse une norme spécifique, que la liste ne soit plus établie sur simple décision ministérielle et qu'elle soit davantage ciblée afin de ne pas représenter des guichets ouverts.
Le retour à l'équilibre des comptes sociaux pourra quant à lui difficilement être obtenu sans un apport de nouvelles recettes. Il doit être recherché en priorité dans un réexamen systématique des exonérations de cotisations et des réductions d'assiette. On pourrait agir en particulier sur les dispositifs d'entreprise, comme l'intéressement ou la protection sociale complémentaire, qui sont générateurs de fortes inégalités entre entreprises et donc entre salariés.
Enfin, l'apport des actifs du Fonds de réserve pour les retraites à la CADES décidé par le Gouvernement ne fournit pas de réponse au traitement de la dette accumulée par l'ACOSS au titre de la maladie. Cette dette devrait rapidement être transférée à la CADES, ce qui imposera sans doute de combiner un relèvement du taux de la CRDS et un allongement de la durée de vie de la dette sociale, à condition qu'elle soit remboursable dans un délai maximum de 10 à 15 ans.
La France est entrée en 2009 dans une récession d'une ampleur inédite depuis la Seconde Guerre mondiale, lestée de finances publiques déjà fortement dégradées. Elle en ressort aujourd'hui avec des niveaux de déficit et d'endettement sans précédent et qui ne lui permettraient pas de faire face à un éventuel retournement conjoncturel ou à une nouvelle crise financière sans craindre les réactions de ses créanciers – je ne parle pas des marchés : à partir du moment où nous sommes un pays endetté, nous dépendons pour partie de prêteurs.
Les marges de manoeuvre de l'État se trouvent progressivement réduites par l'effet boule-de-neige de notre endettement. Plus nous attendrons, plus les efforts à réaliser seront importants parce qu'il faudra payer les charges d'intérêts de notre dette.
Il faut bien comprendre que le coût de l'inaction est supérieur à celui des mesures immédiates : la dette a augmenté de près de 15 points de PIB entre fin 2007 et fin 2009, ce qui génère chaque année des charges d'intérêts supplémentaires de 10 milliards d'euros au taux d'intérêt théorique de 3,5 %. 10 milliards, cela représente chaque année deux tiers des aides personnelles au logement, qui sont versées à plus de 6 millions de personnes.
C'est pourquoi il faut engager dès 2011 la consolidation des comptes publics. C'est le principal message que la Cour souhaite délivrer avec ce rapport et j'ai bon espoir qu'il sera entendu.
Ce message ne doit toutefois pas nous pousser au pessimisme, bien au contraire. Il nous oblige à être lucides sur les efforts que nous devrons accomplir pour redresser notre situation financière et à reconnaître également que la France dispose de nombreux atouts pour y parvenir. Il est désormais nécessaire de s'engager de manière crédible et durable dans cette voie pour donner à tous la conviction d'un effort collectif, partagé et équitable. C'est à cette condition que les comportements d'épargne de précaution défavorables à la croissance pourront être débloqués et que la confiance dans la situation financière de notre pays sera confortée.