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Intervention de Françoise Hostalier

Réunion du 22 juin 2010 à 17h00
Commission de la défense nationale et des forces armées

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaFrançoise Hostalier, rapporteur :

Je remercie les services du ministère de la défense, qui ont été extrêmement coopératifs, et ont répondu avec précision à l'ensemble de nos questions.

Les armes à sous-munitions sont conçues pour disperser un grand nombre d'engins explosifs censés exploser soit au moment de l'impact, soit quelque temps après leur largage, au moyen de procédés divers. Mais la marge d'erreur varie énormément suivant les sols, les lieux et les engins. En outre, les victimes sont essentiellement civiles et ce souvent des enfants.

À l'instar des mouvements qui ont mis fin aux mines anti-personnel, de nombreuses ONG ou institutions ont mené des actions contre les ASM. Leur usage au Liban, en juillet 2006, a créé un émoi international et accéléré la mobilisation. Il y a eu l'appel d'Oslo, en février 2007, suivi par de nombreuses conférences internationales. Celle qui s'est tenue à Dublin du 19 au 30 mai 2008, avec 111 pays, a permis de finaliser le texte d'une convention. Le rôle de la France a été déterminant puisqu'elle a annoncé, le 28 mai 2008, qu'elle renonçait à l'usage de ses ASM, notamment des roquettes M26, et qu'elle s'engageait même à détruire les stocks.

Le traité a été signé le 3 décembre 2008 à Oslo par 94 pays ; il a ensuite été ratifié par le Parlement français avec la loi du 21 septembre 2009 et l'instrument de ratification transmis au secrétariat des Nations unies le 25 septembre ; la convention entrera en vigueur le 1er août 2010, soit le premier jour du sixième mois après lequel le trentième pays a déposé sa ratification auprès du secrétariat général des Nations unies.

Nous sommes engagés à présent dans le processus d'adaptation de la convention au droit français. Le présent projet de loi a été adopté le 6 mai dernier au Sénat, à l'unanimité. Il viendra en discussion à l'Assemblée le 6 juillet. De ce fait, si la loi est adoptée avant le 1er août, la France aura adapté la convention avant même son entrée en vigueur.

Lors de son élaboration, la convention sur les ASM a fait l'objet de compromis entre, d'une part, les ONG défendant les populations et les intérêts des victimes et, d'autre part, les responsables politiques, partisans d'un texte applicable dans les meilleurs délais et garantissant les intérêts des pays en matière de défense. Il est donc normal que certains points paraissent imparfaits.

Le projet de loi transpose toutes les mesures de la convention dans notre droit national sans aller au-delà. Mais c'est déjà beaucoup.

Le texte contient sept dispositions principales.

Il interdit la mise au point, la fabrication, la production, l'acquisition, le stockage, la conservation, l'offre, la cession, l'importation, l'exportation, le commerce, le courtage, le transfert et l'emploi des ASM, ainsi que le fait d'assister, d'encourager ou d'inciter quiconque à s'engager dans ces activités.

Il définit les conditions d'interopérabilité lors d'opérations internationales auxquelles participent des États parties et non parties à la convention.

Il oblige à détruire les stocks d'ASM d'ici à 2018, à l'exception d'exemplaires destinés à la formation et à la recherche. La France a décidé de garder 500 ASM et 400 sous-munitions explosives hors conteneur, soit un peu plus de deux engins par type d'ASM référencée puisqu'il en existe 218.

Il fixe un régime de déclaration pour les détenteurs et les exploitants d'ASM.

Il détermine quels agents seront habilités à constater les infractions.

Il crée un ensemble de sanctions pénales très sévères, assorties d'une dérogation au principe de territorialité de la loi pénale : les personnes morales ou physiques françaises se livrant à un trafic d'ASM, même dans un État non partie à la convention, s'exposeront à être poursuivies et incriminées.

Il étend la compétence de la Commission nationale pour l'élimination des mines antipersonnel – la CNEMA – au suivi de l'application du présent texte.

Certains points appellent néanmoins des précisions. Premièrement, différentes organisations ou institutions ont proposé que le transit soit mentionné dans le texte, qui, à l'instar de la convention, n'interdit explicitement que le transfert. Le point 8 de l'article 2 de la convention dispose : « Le transfert implique, outre le retrait matériel d'armes à sous-munitions du territoire d'un État ou leur introduction matérielle dans celui d'un autre État, le transfert du droit de propriété et du contrôle sur ces armes à sous-munitions, mais pas le transfert d'un territoire contenant des restes d'armes à sous-munitions. ». En outre, au point 7 de l'article 3, il est précisé que ce transfert est autorisé s'il est organisé aux fins d'appliquer les clauses de la convention, en particulier en vue de détruire des ASM.

Le transfert est donc défini avec précision, tandis que le transit n'est pas mentionné. Nous nous en sommes émus mais le Gouvernement estime que l'interdiction des activités commerciales – cessions, importations et exportations – portant sur les ASM comprend le transit effectué dans ce cadre, et qu'il est par conséquent implicitement prohibé. Le problème ne se poserait donc que pour des transits d'État à État, sans fin commerciale. Une interdiction explicite par voie législative risquerait de ne pas être applicable et de remettre en cause des engagements internationaux conclus par la France avec des pays non signataires de la convention, notamment parmi ses alliés de l'OTAN, sachant que la convention autorise les États parties à coopérer avec des États non parties.

Monsieur le secrétaire d'État, pouvez-vous nous confirmer que l'interdiction des activités commerciales portant sur les ASM couvre le transit effectué dans ce cadre et que le Gouvernement évitera tout transit étatique d'ASM sur notre territoire ?

Deuxièmement, le texte n'interdit pas explicitement le financement direct ou indirect d'entreprises menant des activités prohibées par la convention. De nombreuses voix se sont élevées pour demander que cela figure dans la loi.

Il semble que ce soit possible puisque plusieurs groupes, dont d'importants établissements financiers, ont déjà pris des engagements en la matière et que certains États, comme la Belgique, le Luxembourg ou la Nouvelle-Zélande, ont adopté des dispositions en vue d'interdire tout financement direct ou indirect. Cela constituerait une contrainte très forte, particulièrement dissuasive, vis-à-vis de toute société ayant à voir avec la fabrication ou le trafic d'ASM.

Mais il est vrai aussi que l'aspect financier est sous-entendu dans le projet de loi, au douzième alinéa de son article 1er : « Est également interdit le fait d'assister, d'encourager ou d'inciter quiconque à s'engager dans une des activités interdites susmentionnées. ». Cette rédaction est cohérente avec d'autres dispositions relatives, notamment, aux explosifs ou aux mines antipersonnel, pour lesquels l'aspect financier n'est pas mentionné. En outre, une telle mesure, appliquée de manière excessive aux entreprises d'armement françaises, pourrait nuire à de nombreux partenariats ou accords commerciaux en cours, notamment aux États-Unis.

Je propose donc de ne pas modifier le projet de loi mais je souhaite que le Gouvernement précise que l'interdiction du fait « d'assister, d'encourager ou d'inciter quiconque à s'engager dans une des activités interdites » par la convention couvre toute aide financière, directe ou indirecte.

Troisièmement, le mot « intermédiation » serait préférable au mot « courtage », employé dans le texte. La notion d'intermédiation est plus large : elle engloberait tous les acteurs impliqués dans le commerce des ASM, qu'il s'agisse des courtiers, des transporteurs ou des financiers. Le problème, c'est qu'elle n'est pas définie et, contrairement à celle de courtage, elle n'est pas d'usage courant.

Un projet de loi relatif à l'intermédiation avait été déposé à l'Assemblée nationale en 2006 puis retiré. S'il était adopté, le présent projet pourrait être complété par l'intégration de la notion d'intermédiation. Le Gouvernement peut-il s'engager dans ce sens ?

Quatrièmement, le quatorzième alinéa de l'article 1er prévoit que « toute personne peut participer à une coopération en matière de défense ou de sécurité ou à une opération militaire multinationale ou au sein d'une organisation internationale, avec des États non parties à la convention d'Oslo qui pourraient être engagés dans des activités interdites par ladite convention ». En clair, il est fort possible qu'un État partie à la convention puisse continuer de mener des actions militaires conjointes avec des États n'y ayant pas souscrit, par exemple les États-Unis, la Russie ou la Turquie.

Il est cependant clairement réaffirmé, à l'alinéa suivant : « Est interdit le fait pour une personne agissant dans le cadre susmentionné de mettre au point, de fabriquer, de produire, d'acquérir de quelque autre manière des armes à sous-munitions, de constituer elle-même des stocks, de transférer ces armes, de les employer elle-même ou d'en demander expressément l'emploi, lorsque le choix des munitions est sous son contrôle exclusif. ».

Cette « autorisation-restriction » permet formellement de couvrir les situations d'interopérabilité, notamment celle conduite en Afghanistan dans le cadre de l'OTAN. Cependant, sur le plan éthique, ce n'est pas entièrement satisfaisant. Que faire, par exemple, si certains de nos militaires sont en difficulté, que la France fait appel à un État non partie à la convention pour les dégager et que celui-ci choisit l'usage des ASM ? Il conviendrait que la France s'engage à faire le maximum pour que ces armes soient absentes des théâtres où elle est présente conjointement avec des pays non parties à la convention.

Cinquièmement, notre stock d'ASM se compose de 22 000 roquettes à grenades M26, chacune étant dotée de 644 sous-munitions, plus 13 000 obus à grenades, ou OGR, de 155 millimètres, chacun étant pourvu de 63 sous-munitions.

La destruction des OGR, qui semble techniquement moins difficile, est tout de même estimée à 900 000 euros. Quant aux M26, elles contiennent des gaz ayant un impact sur l'environnement et, pour le moment, nous ne possédons pas la filière pour les détruire dans un délai raisonnable. N'est-il pas possible d'envisager la création d'une filière française, ce qui nous rendrait autonomes pour notre propre stock et nous permettrait d'anticiper la naissance d'un marché ? En effet, les autres pays européens parties à la convention devront eux aussi détruire leurs stocks et les deux sociétés européennes spécialisées qui existent actuellement n'y suffiront pas.

Sixièmement, la convention prévoit que les États parties doivent encourager les États non parties à ratifier le texte. Comment comptez-vous le faire ?

Septièmement, le projet de loi ne reprend pas les articles 5 et 6 de la convention, qui concernent respectivement l'assistance aux victimes et l'assistance internationale. Comment le Gouvernement entend-il remplir ses obligations en la matière ?

J'en arrive aux articles du projet, qui sont au nombre de six.

L'article 1er insère dans le code de la défense un chapitre relatif aux ASM. Il est découpé en trois sections : définition, régime juridique et dispositions pénales.

L'article 1er bis élargit les prérogatives de la CNEMA – je salue au passage notre collègue Candelier, qui nous y représente – en lui confiant le suivi de l'application de la loi.

Les articles 2 et 3 sont des articles de cohérence des codes.

L'article 4 rend la loi applicable sur l'ensemble du territoire de la République, y compris outre-mer.

L'article 5 fixe la date d'application de la loi.

En référence à ce dernier article et compte tenu des engagements que le Gouvernement ne manquera pas de prendre, il serait bon que nous puissions adopter ce projet de loi dans les meilleurs délais, ce qui signifie le voter conforme.

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