Nous vivons dans un monde dont le centre de gravité stratégique se déplace vers l'Asie et, dans ce contexte, le Pacifique insulaire représente pour la France un espace à ne pas laisser sans surveillance. La Nouvelle-Calédonie constitue un atout essentiel pour sa politique de coopération et d'influence en matière de défense, de sécurité globale, mais aussi d'attractivité économique, pour elle et l'Union européenne.
Ce territoire dispose en effet d'atouts considérables. Il constitue, tout d'abord, une zone économique exclusive (ZEE) de 1 364 000 km², soit 13 % de la ZEE de la France, la deuxième mondiale. Il dispose de ressources en nickel qui lui permettront, d'ici 2015, d'en devenir le troisième producteur mondial. Il comprend également une bio-diversité exceptionnelle et un lagon inscrit par l'UNESCO au patrimoine de l'humanité. À ces atouts naturels s'ajoute un système institutionnel novateur, construit sur un projet de société intimement lié tant à ses diversités humaine et culturelle qu'à son histoire singulière. Enfin, son insertion régionale peut également être une chance pour la France.
Le Livre blanc le souligne, peut–être encore insuffisamment, l'aire du Pacifique, composée de l'océan et des pays riverains que sont les États-Unis, la Chine, l'Inde, le Japon, l'Indonésie, l'Australie et les pays insulaires, présente pour la France et l'Union européenne un enjeu stratégique direct.
La Nouvelle–Calédonie se trouve à la frontière de l'Australie et l'arc mélanésien du Pacifique insulaire, d'une part, sur les axes Los Angeles-Sydney et Japon-Australie, d'autre part. Cela explique pourquoi les Américains y ont implanté une base militaire pendant la Seconde Guerre mondiale, base d'où partiront les grandes offensives vers les îles Salomon.
À l'heure de l'océanisation de l'économie, quand 80 % des approvisionnements transitent par voie maritime, ressources naturelles, biens énergétiques et produits manufacturés circulent dans le théâtre indopacifique.
Le Pacifique insulaire, très majoritairement anglophone, est une immense étendue d'eau, avec des superficies terrestres réduites et des populations peu nombreuses : il compte 22 États et territoires et 500 îles peuplées par 6,5 millions d'habitants. Il souffre de risques naturels majeurs comme les séismes et les cyclones, mais aussi d'isolement, d'instabilité politique, de tensions ethniques et de blanchiment de capitaux, maux communs à toutes les « zones grises » de la planète.
Mais le Pacifique insulaire dispose aussi de nombreux d'atouts. Sa zone économique exclusive comprend ainsi des ressources halieutiques gigantesques et d'immenses champs de nodules poly-métalliques. On y trouve aussi des ressources infinies en énergies renouvelables, considérables en nickel, et des réserves d'uranium et de charbon en Australie.
Fort de ces atouts, le Pacifique Sud suscite à nouveau l'attention des puissances mondiales. La Chine y accroît sa présence et son influence en s'assurant du soutien des petits pays. Les États-Unis manifestent un intérêt renouvelé pour cette aire, comme en atteste leur décision de déclarer l'année 2007 « Année du Pacifique ». Enfin, l'Union européenne a adopté en 2006 une « Stratégie pour le Pacifique », établissant un partenariat renforcé qui se déploie depuis.
Quelle est la place de la France dans cette Océanie lointaine ? Notre pays y est présent par trois de ses collectivités territoriales d'outre-mer, la Nouvelle-Calédonie, mais aussi la Polynésie française et Wallis et Futuna. Il est le seul État de l'Union européenne à conserver un réseau diplomatique étendu dans la région et, de ce fait, identifiée comme le relais de l'Union dans le Pacifique.
Depuis la fin des essais nucléaires et la signature des accords de Matignon, la présence de la France, qui contribue au maintien de la sécurité dans la zone, est particulièrement appréciée par ses voisins. Ses démarches de coopération et d'entraide avec les pays de la région font en outre d'elle un partenaire crédible.
Ma conviction est que la Nouvelle-Calédonie, terre française de 245 000 ressortissants, mérite amplement l'implication et la protection directe que lui assure la France.
Habitée 1 000 ans avant notre ère, terre française depuis 1853, elle a été soumise aux confrontations de ses deux principales communautés jusqu'à leur paroxysme dans les années 1980. Depuis, elle a trouvé un équilibre politique grâce à la signature des accords de Matignon, en juin 1988. Dix ans plus tard, en 1998, un nouvel accord, dit de Nouméa, a mis en place pour vingt ans un système institutionnel original.
L'accord prévoit en effet un transfert progressif de compétences d'ici 2014-2018, l'État ne conservant que les compétences dites « régaliennes » et la Nouvelle-Calédonie se dotant de signes identitaires comme un drapeau, un hymne et même un nom. A été également mis en place un partage du pouvoir législatif, le congrès de la Nouvelle-Calédonie étant doté du pouvoir de voter des « lois du pays ». L'importance de la collégialité et du consensus au sein de l'exécutif est aussi institutionnalisée. Sont par ailleurs reconnues l'identité et la culture kanake par l'instauration d'un statut civil coutumier et d'un régime des terres coutumières. Une citoyenneté calédonienne conditionnant l'exercice du droit de vote aux élections provinciales est aussi reconnue. Enfin, une clé de répartition volontariste des ressources fiscales a été instituée au profit des provinces du Nord et des îles Loyauté.
La Nouvelle-Calédonie est aujourd'hui une collectivité territoriale à statut particulier au sein de la République française, une collectivité sui generis. Le Franc CFP y a cours, la question de l'introduction de l'euro dans les trois collectivités françaises du Pacifique étant un sujet de débat.
Elle dispose, grâce aux réseaux scientifiques français, de réelles capacités en recherche et développement avec l'Institut de recherche et développement et le Centre national de recherche technologique, capacités peu présentes par ailleurs dans le Pacifique insulaire. Le système institutionnel et de gouvernance novateur est regardé avec beaucoup d'intérêt par les pays voisins, qui sont demandeurs de partage d'expériences. Nouméa, enfin, est le premier port de l'outre-mer français et le dixième français.
Ses ressources en minéraux stratégiques, nickel, cobalt et autres minéraux constituent la véritable spécificité de la Nouvelle-Calédonie. Elle détient ainsi 30% des réserves mondiales de nickel, ce qui la place au tout premier plan mondial dans ce domaine. L'opérateur historique, la Société Le Nickel (SLN), qui vient de fêter son centenaire, produit 55 000 tonnes de nickel métal par an.
Dans la province Sud, le groupe brésilien Vale, deuxième groupe minier au monde, a investi plus de 4,5 milliards de dollars dans une usine hydrométallurgique qui permet de valoriser les minerais à faible teneur et augmente d'autant le potentiel d'exploitation des réserves. Cette usine, qui entrera en exploitation en fin d'année, a pour objectif de produire 60 000 tonnes de nickel métal et 5 000 tonnes de cobalt par an.
Dans la province Nord, un projet mené par le groupe suisse XSTRATA doit produire 60 000 tonnes de nickel métal à la mise en service de l'usine, en 2013-2014. Cette usine a pour particularité d'être construite « clé en main » en Chine.
Je voudrais enfin vous parler de la défense. Les forces armées de Nouvelle-Calédonie (FANC) contribuent, par leurs missions de coopération, à la stabilisation de la zone et au rayonnement de la France. Sans la France, l'Australie et la Nouvelle-Zélande seraient seules pour assurer la protection de cette « zone grise » qu'est le Pacifique insulaire, animé par des crises multiples, alors que les pressions venant de l'océan indien, de l'Indonésie et de la Chine sont nombreuses. La zone sous responsabilité permanente du COMSUP Nouméa est immense et on peut souligner l'éloignement de la métropole ou des autres bases de défense française en cas de problème. La France a en outre conclu de nombreux engagements internationaux dans la zone, avec les accords FRANZ de protection civile du Pacifique insulaire, et elle remplit des missions de secours en mer, de secours aériens et de surveillance des pêches.
Le Livre blanc a prévu de recentrer en Nouvelle-Calédonie les moyens lourds de la France dans le Pacifique, celle-ci devenant ainsi son point d'appui pour l'ensemble de ce théâtre.
Certes, il est avancé qu'il n'y aurait en Nouvelle-Calédonie que des baisses d'effectifs, moins 19 % d'ici à 2020, compensées par la mutualisation des moyens communs et qu'une capacité de projection significative serait maintenue.
Certes, il est indiqué qu'à l'horizon 2020 la réorganisation prévue serait terminée et les matériels aériens et maritimes obsolètes remplacés.
Certes, il est supposé que les moyens locaux pourraient recevoir des renforts en cas de besoin, permettant ainsi d'assurer aux ressortissants français protection et sécurité, ainsi que le suivi de nos engagements internationaux.
Mais il est de mon devoir de vous faire part de mon sentiment, voire mon inquiétude, notamment pour la période charnière que constituent les années 2013 à 2020, moment où la Nouvelle-Calédonie décidera de son avenir par les référendums d'auto détermination.
Il me semble que le format futur des FANC tel qu'il résulte du Livre blanc, mais surtout l'impasse qui est faite sur le vieillissement des matériels, ne tient pas compte des enjeux et pressions que je viens d'évoquer.
Pour ne parler que de l'action de l'État en mer, ses moyens vont être sensiblement amoindris dans les prochaines années puisque les deux patrouilleurs P400 seront remplacés, en 2010 et 2012, par des patrouilleurs moins performants et moins adaptés. Dans le même temps, on peut regretter le vieillissement des hélicoptères Gardians et la baisse du nombre de Puma.
Or nous devons être attentifs à l'image que nous donnons : les Australiens sont sensibles au maintien de nos capacités puisque, alliées aux leurs, elles permettent d'optimiser les opérations de secours et de surveillance.
La France ne peut donc se désengager du Pacifique Sud au moment où l'Union européenne consacre de plus en plus de moyens financiers à cette partie du monde et développe une stratégie de coopération dont la France peut largement profiter.
Pour assurer la protection de ses ressortissants et de ses intérêts, tenir son rang de puissance et de membre du conseil de sécurité de l'ONU, il importe que la France conserve les moyens de peser dans le Pacifique Sud, notamment dans le domaine militaire.
En conclusion je voudrais vous citer cet extrait du Livre blanc : « La construction de la paix ne doit pas être laissée aux seuls rapports de forces entre grandes puissances. La stratégie de la France et de l'Europe a tout à gagner du développement de rapports étroits avec les nombreux États qui bénéficient de plus en plus, désormais, d'un poids dans la géopolitique mondiale. Sa politique de sécurité doit rechercher avec eux des liens substantiels et nouveaux. »
Chers collègues, il faut penser à appliquer cela au Pacifique Sud, et à la Nouvelle-Calédonie en particulier.