Nous remercions la commission de nous accueillir.
Nous sommes totalement opposés au projet que le Gouvernement vient de rendre public. Nous considérons que la logique qu'il met en avant, à savoir travailler plus longtemps pour répondre aux problèmes des retraites, est fondamentalement injuste et constitue une importante régression sociale par rapport au sens même que la retraite a pris au cours du XXe siècle.
Quand les retraites ont commencé à être mises en place au début du XXe siècle – nous fêtons cette année le centième anniversaire de la loi sur les retraites ouvrières et paysannes –, elles ont donné lieu à un débat et un certain nombre de gens, notamment les syndicalistes, ont fait remarquer qu'était instituée en fait une retraite pour les morts, ce qui, à l'époque, était assez vrai puisque, non seulement le niveau des retraites était très bas, mais encore les gens mouraient quasiment au moment où ils prenaient leur retraite. L'accroissement de l'espérance de vie et l'augmentation du niveau des retraites ont entraîné un changement radical. Or, les mesures prises dernièrement – réformes de 1993, puis de 2003 – et celles proposées maintenant par le Gouvernement visent à revenir sur cet acquis social fondamental – que l'on peut même qualifier d'acquis de civilisation –, d'une part, en réduisant le montant des pensions – car c'est à cela qu'aboutiront en fin de compte ces mesures – et, d'autre part, en voulant faire travailler les salariés plus longtemps.
Les arguments développés pour justifier cette réforme – « on vit plus vieux, donc il faut travailler plus longtemps » ; « sans ces réformes, nous n'aurons pas les moyens financiers de payer les retraites à l'avenir » – nous semblent erronés.
L'accroissement de l'espérance de vie ne date pas d'aujourd'hui. Il a commencé il y a environ 250 ans, s'est accéléré au XXe siècle et s'est accompagné, entre 1930 et l'an 2000, d'une baisse de la durée passée au travail d'une vingtaine d'années pour les hommes – la seule statistique que nous connaissons concerne les hommes. Pendant le même temps, a été enregistrée une augmentation à la fois du pouvoir d'achat des salariés, des profits des entreprises et de la production. Donc, on ne voit pas pourquoi ce qui a été possible par le passé ne le serait plus dans l'avenir. Contrairement à ce qu'affirme le Gouvernement, le rythme d'accroissement de l'espérance de vie n'augmente plus. Il diminue.
Parler d'une croissance de l'espérance de vie d'un trimestre pas an, c'est confondre volontairement croissance de l'espérance de vie à la naissance, qui est effectivement d'un trimestre par an, et croissance de l'espérance de vie à 60 ans, qui n'est que de 0,4 trimestre par an. Dans le cadre des retraites, c'est cette dernière qu'il faut prendre en compte.
Qui plus est, il faut considérer l'espérance de vie en bonne santé. À 60 ans, celle-ci est moitié moindre que l'espérance de vie tout court, ce qui signifie que ce qui est demandé aux salariés dans la réforme du Gouvernement, c'est de passer les meilleures années de leur retraite future au travail. Or, ces dernières sont, comme nous le savons tous, les pires années au travail, car les conditions de travail se dégradent et les salariés sont fatigués et usés.
Depuis environ une cinquantaine d'années, la période de retraite a progressivement changé de sens : elle est devenue un temps d'activités choisies, socialement utiles. Les retraités ont de nombreuses occupations, au service de la société. Vouloir faire travailler les salariés plus longtemps revient à remettre en cause cet acquis de civilisation fondamental, qui a fait de la période de retraite un nouveau temps d'activité, en bonne santé et avec des revenus qui ne se sont pas encore totalement effondrés. C'est pour nous totalement inacceptable.
Vouloir faire travailler les salariés plus longtemps est à la fois hypocrite et dangereux.
Hypocrite, car on sait très bien que, aujourd'hui, six salariés sur dix sont hors emploi au moment de liquider leur retraite et que l'âge de cessation d'activité est inférieur à 59 ans. Comme les jeunes entrent de plus en plus tard sur le marché du travail, si la durée de cotisation est augmentée, comme elle l'a été et comme il est prévu qu'elle le soit encore au moins jusqu'en 2020, les salariés auront de plus en plus de difficulté à cotiser le nombre d'annuités nécessaires pour obtenir une retraite à taux plein, ce qui signifie qu'on organise ainsi, en fait, la baisse du niveau des pensions. Celle-ci a déjà commencé puisque, de 80 %, en moyenne, en 1993, le taux de remplacement est passé à 72 % en 2008-2009 et passerait, si aucune mesure n'était prise, à 59 % à l'horizon de 2050.
Vouloir faire travailler les salariés plus longtemps est également dangereux car le fait de reculer également la borne supérieure, correspondant à l'âge de départ à la retraite à taux plein, placera dans la zone grise du hors emploi et du hors retraite toute une série de personnes qui n'ont pas les moyens de partir à la retraite à 60 ans et qui devront continuer à attendre dans des situations assez précaires le moment de pouvoir partir à la retraite, soit à 62 ans, soit, pire, à 67 ans – ce qui pénalisera encore les femmes, car elles sont 30 % à partir à 65 ans aujourd'hui.
La situation des retraités va donc gravement se dégrader.
Est-il possible de faire autrement ? Autrement dit, est-il possible de financer la retraite ? Nous pensons que oui, mais à condition de lever un tabou auquel le Gouvernement refuse de toucher : accompagner l'augmentation du nombre de retraités par l'accroissement de la part de la richesse produite revenant aux retraités.
La part des retraites dans le PIB était de 5 % en 1950. Elle est aujourd'hui d'environ 13 %. Suivant le pire scénario du Conseil d'orientation des retraites d'avril 2010, pour maintenir le taux de remplacement au niveau de ce qu'il est aujourd'hui, c'est-à-dire à 72 %, et dans l'hypothèse – que nous ne pouvons pas accepter – d'un allongement de la durée de cotisation à 41,5 annuités à l'horizon 2020, il faudrait trois points de PIB supplémentaires à l'horizon de 2050 pour financer l'ensemble des 35 régimes de retraite. Suivant le Conseil d'orientation des retraites, cela correspond à un prélèvement supplémentaire de 10,4 points, ce qui, lissé sur quarante ans, fait 0,26 point par an. Qui peut prétendre que 0,26 point de prélèvement supplémentaire par an sur une quarantaine d'années va mettre en danger l'économie française ? C'est totalement absurde.
Le choix que nous privilégions est donc une faible augmentation, année après année, du taux de cotisation. Il est difficile de calculer à quoi cela correspondrait parce que ni les masses financières, ni les taux de cotisation ne sont homothétiques mais l'augmentation serait, de toute façon, inférieure à 0,26 point, puisque ce taux concerne l'ensemble des régimes de retraite.
Cela est d'autant plus simple à faire, d'un point de vue économique, que la part des salaires – au sens global du terme, c'est-à-dire en considérant à la fois le salaire direct et les cotisations sociales – dans la valeur ajoutée, c'est-à-dire la richesse créée par les entreprises, a diminué en une trentaine d'années d'environ 9 points, tandis que les dividendes versés aux actionnaires ont considérablement augmenté, passant de 3,2 % à 8,5 % du PIB entre 1982 et 2007. Cette augmentation ne répond à aucune nécessité économique. Elle n'accroît pas d'un iota la compétitivité des entreprises, puisque les dividendes versés aux actionnaires sont une ponction faite sur la richesse créée par ces dernières.
Il suffirait donc d'augmenter chaque année la part des cotisations patronales de toutes petites fractions – inférieures à 0,26 point – et de diminuer dans le même temps, et dans la même proportion, les dividendes versés aux actionnaires pour régler le problème de financement des retraites. L'investissement productif n'étant pas touché, on ne nuirait pas à la compétitivité des entreprises. On donnerait simplement un petit coup d'arrêt à l'accaparement par une petite minorité de possédants de la richesse créée par les salariés dans les entreprises.
Notre solution, comme vous le voyez, est aux antipodes de ce que propose le Gouvernement.