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Intervention de Loïc Bouvard

Réunion du 23 juin 2010 à 11h00
Commission des affaires étrangères

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaLoïc Bouvard, rapporteur :

Monsieur le Président, mes chers collègues, notre commission avait eu l'occasion de le constater lors de la table ronde organisée le 20 janvier dernier sur la situation des Balkans occidentaux à l'égard de l'Union européenne : la situation politique interne de la Bosnie-Herzégovine est, à de nombreux égards, beaucoup plus complexe que celle de ses voisins. Cela est dû à la fois à ses institutions, à son peuplement et à la tutelle internationale à laquelle elle est soumise, encore aujourd'hui, quatorze ans après la fin de la guerre sur son territoire. En effet, en matière d'institutions, l'État central bosnien est concurrencé par d'autres institutions : celles de la Republika srpska d'une part, et d'autre part celles de la Fédération de Bosnie-Herzégovine, elle-même divisée en dix cantons, avec chacun à sa tête un exécutif gouvernemental. À telle enseigne que la Bosnie détient une forme de record de densité institutionnelle, puisqu'elle ne compte pas moins de 14 gouvernements et près de 180 ministres, pour moins de 4 millions d'habitants !

Deuxièmement, si l'on excepte l'Ancienne République yougoslave de Macédoine (ARYM), la question du partage du pouvoir entre communautés distinctes ne se pose pas dans les autres États de la région, dont le peuplement est beaucoup plus homogène. En revanche, la Bosnie-Herzégovine est composée de trois peuples dits « constitutifs » : les Bosno-Serbes, les Bosno-Croates et les Bosniaques – qui sont musulmans. Les dirigeants de ces communautés, qui se sont affrontées par les armes dans le passé, ne parviennent pas spontanément à élaborer des positions communes et tendent à faire passer les intérêts de l'entité à laquelle ils s'identifient − la Republika srpska pour les Bosno-serbes, la fédération pour les Bosniaques − avant ceux de l'État central. L'existence d'une présidence collégiale tournante, comprenant un représentant de chacun des trois peuples « constitutifs » ne contribue pas non plus à faciliter les choses. Enfin, ce pays est placé sous la tutelle internationale exercée par le PIC − Peace Implementation Committee ou Conseil de mise en oeuvre de la paix − et par un Haut Représentant, qui est nommé par l'ONU. Il s'agit, depuis mars 2009, de M. Valentin Izko, diplomate autrichien. M. Izko est également le Représentant spécial de l'Union européenne.

Cette complexité du terrain, inégalée dans les Balkans occidentaux, explique en grande partie la lenteur du processus de rapprochement de la Bosnie avec l'Union européenne. C'est à la suite du Conseil européen de Zagreb, en 2000, que le Conseil européen de Thessalonique de juin 2003 a réaffirmé la perspective d'adhésion à l'Union européenne des pays des Balkans occidentaux − Albanie, Serbie, Monténégro, Croatie, Ancienne République yougoslave de Macédoine et Bosnie-Herzégovine. Cette perspective a alors été définie sous la forme d'un « processus de stabilisation et d'association », cadre institutionnel et politique des relations entre l'Union européenne et les pays de la région. Ce processus s'est traduit concrètement par la signature d'accords de stabilisation et d'association (ASA). À ce jour, tous les pays des Balkans occidentaux, à l'exception du Kosovo, ont signé un tel accord avec l'Union européenne : l'ARYM en 2001, la Croatie en 2001 également, l'Albanie en 2006, le Monténégro en 2007, la Serbie en avril 2008 et la Bosnie-Herzégovine en juin 2008. La Croatie et l'ARYM ont d'ailleurs, depuis lors, obtenu le statut de pays candidat à l'adhésion à l'Union européenne.

C'est cet accord de stabilisation et d'association, signé le 16 juin 2008 entre la Bosnie et les 27, que propose de ratifier, pour la Partie française, le projet de loi que nous examinons aujourd'hui. La même formalité doit être accomplie par la Bosnie-Herzégovine et chacun des 27 États membres de l'Union afin que l'accord entre en vigueur. Pour la Bosnie, c'est chose faite depuis février 2009. C'est chose faite également pour 22 des 27 États membres de l'Union. Manquent donc à l'appel, outre la France : l'Italie, l'Espagne, la Grèce et le Luxembourg.

La négociation technique de l'accord de stabilisation et d'association, ouverte en novembre 2005, a été menée à bien en l'espace d'un an, s'achevant en décembre 2006. Mais la difficulté à obtenir des différentes forces politiques de Bosnie l'entente nécessaire à la réalisation de certaines réformes, a conduit l'Union européenne à retarder la conclusion de cet accord, finalement intervenue le 16 juin 2008, après que le Parlement bosnien est parvenu à adopter deux lois mettant en oeuvre la première phase de la réforme de la police. En effet, La signature de l'accord avait été bloquée dans l'attente du respect par les autorités de Bosnie-Herzégovine de quatre conditions essentielles posées par l'Union : la réforme de la police, une pleine coopération avec le Tribunal pénal international pour l'ex-Yougoslavie, la réforme de la radio-télédiffusion publique et la réforme de l'administration.

L'adoption des réformes requises a, de fait, pris davantage de temps que dans d'autres pays des Balkans occidentaux. En définitive, si la Bosnie-Herzégovine n'est pas le tout dernier pays des Balkans occidentaux à signer un ASA, elle le doit uniquement au fait que le Kosovo n'est pour l'instant pas reconnu par cinq États membres : l'Espagne, la Grèce, la Slovaquie, la Roumanie et Chypre.

Comme l'a souligné, lors de notre table ronde du 20 janvier dernier, M. Jean-Arnault Dérens, rédacteur en chef du Courrier des Balkans : « Le débat porte fondamentalement sur la question de savoir s'il faut un État ou maintenir les deux entités actuelles qui constituent le pays ; ce sont des paramètres fondamentaux du débat politique et ils n'ont absolument pas changé depuis quatorze ans [c'est-à-dire depuis les accords de DaytonParis] ; la Bosnie-Herzégovine se trouve dans un après-guerre interminable. Par comparaison, en France, en 1959, il y a longtemps que l'on n'était plus dans la problématique de l'après-guerre. » M. Dérens ajoutait : « Il y a ensuite un autre serpent de mer. Celui du rôle et des conséquences de la tutelle internationale comme obstacle à l'intégration. La question se pose toujours en ces termes. Le protectorat est contreproductif car il aboutit à une irresponsabilité de la classe politique bosnienne. »

Je souscris à cette analyse d'une tutelle internationale qui crée aujourd'hui davantage de problèmes qu'elle n'en résout. Cela étant, les cinq objectifs et deux conditions – les fameux « 5+2 » – exigés depuis 2008 par la communauté internationale pour la fermeture du Bureau du Haut Représentant, ne devraient pas être entièrement satisfaits avant le prochain Conseil de mise en oeuvre de la paix, les 29 et 30 juin prochain. Je rappelle que les cinq objectifs sont : un accord durable et équitable sur la répartition des propriétés de l'État, la répartition des propriétés militaires, la pérennisation du statut spécial du district de Brcko, la soutenabilité budgétaire et le renforcement de l'État de droit. Quant aux deux conditions, il s'agit, précisément, de la signature de l'Accord de stabilisation et d'association et, d'autre part, de l'évolution positive de la situation dans le pays, au regard des Accords de DaytonParis.

La communauté internationale ne veut pas exercer trop de pressions sur les dirigeants bosniens, en cette période de campagne électorale − des élections générales sont prévues en octobre-novembre 2010 − mais elle n'en reste pas moins active. De même, l'Union européenne continue d'oeuvrer concrètement et financièrement au rapprochement de la Bosnie-Herzégovine à son égard. Jugez plutôt : dans le cadre de l'instrument d'aide de pré-adhésion de l'Union, doté de 11,5 milliards d'euros au total pour la période 2007-2013, 660 millions d'euros ont été alloués à la Bosnie-Herzégovine. Cette somme représente environ 21 euros par habitant. J'ajoute qu'en juillet 2009, la Bosnie-Herzégovine s'est vue accorder par le FMI un crédit d'un montant de 1,2 milliard d'euros sur trois ans.

Comme les pays déclarés « candidats potentiels » à l'entrée dans l'Union européenne qui bénéficient de l'aide de pré-adhésion, la Bosnie-Herzégovine est éligible uniquement aux composantes I et II, c'est-à-dire « l'aide à la transition et le renforcement des capacités administratives » d'une part, et la « coopération transfrontalière » d'autre part. Lorsque le pays deviendra candidat, il sera éligible aux composantes III « développement régional », IV « développement des ressources humaines » et V « agriculture et développement rural », qui le prépareront à la gestion des fonds de l'Union européenne. Quoi qu'il en soit, on peut d'ores et déjà dire que l'Union européenne est le principal contributeur à la stabilité politique et au développement économique et social de la Bosnie-Herzégovine. Elle a encore montré sa bonne volonté, le 2 juin dernier à Sarajevo, lors du Sommet UE-Balkans, avec l'engagement politique de lever l'exigence de visas pour les citoyens bosniens dès l'automne prochain, à condition que soient remplis les derniers critères relatifs au renforcement de l'État de droit, ainsi qu'à la lutte contre le crime organisé et contre la corruption. Concrètement, cette question ne concerne que les Bosniaques car les populations d'origine serbe ou croate disposent, respectivement, de passeports de l'un ou l'autre de ces États qui leur permettent de circuler librement en Europe.

J'en viens pour terminer au contenu de l'accord de stabilisation et d'association dont l'autorisation de ratification est soumise à notre vote. Le cadre de cet ASA est bien connu : c'est le même que celui des quatre accords qui l'ont précédé. À vrai dire, la seule différence notable dans le cas de la Bosnie-Herzégovine, c'est le retard de calendrier que j'ai évoqué au début de mon propos. Pour le reste, les trois principes-clefs du processus de stabilisation et d'association demeurent. Il s'agit, premièrement, d'une relation contractuelle qui marque l'engagement des parties à parvenir, au terme d'une période de transition, à une pleine association avec l'Union européenne, l'accent étant mis sur le respect des principes démocratiques essentiels et sur la reprise des éléments fondamentaux de l'acquis communautaire. La présidence espagnole a, tout récemment encore, réaffirmé la perspective d'adhésion à l'UE. Il s'agit, deuxièmement, d'un programme d'assistance financière de pré-adhésion – je viens de l'évoquer. Il s'agit, troisièmement, de préférences commerciales asymétriques exceptionnelles, destinées à favoriser l'accès au marché communautaire des produits industriels et agricoles des Balkans, de façon à contribuer au redémarrage de leurs économies par une stimulation de leurs exportations. Ces économies sont fragiles ; songez que le taux de chômage en Bosnie-Herzégovine atteint 30 à 40 %. Je précise que ces stipulations de nature commerciale sont mises en application avant l'entrée en vigueur de l'accord par un accord intérimaire. Celui-ci est entré en vigueur le 1er juillet 2008 pour la Bosnie-Herzégovine.

Le reste de l'accord entrera en vigueur une fois que tous les États membres l'auront ratifié. Permettez-moi de dresser la liste des têtes de chapitre, qui vous rappellera l'ampleur du champ couvert par les accords de stabilisation et d'association : le titre Ier porte sur les principes généraux de l'accord, que sont le respect des principes démocratiques, des droits de l'homme et de l'économie de marché ; le titre II porte sur le dialogue politique entre la Bosnie-Herzégovine et l'Union ; le titre III sur la coopération régionale ; le titre IV sur la libre circulation des marchandises ; le titre V sur la circulation des travailleurs, le droit d'établissement, la prestation de services et la libre circulation des capitaux ; le titre VI sur la reprise des éléments fondamentaux de l'acquis communautaire, ceux sur lesquels la Bosnie devra ses concentrer en priorité durant les trois premières années d'application de l'accord ; le titre VII sur la justice, la liberté et la sécurité ; le titre VIII concerne les politiques de coopération, dans des domaines aussi divers que la politique économique et commerciale, la pêche, les douanes, la fiscalité, la coopération sociale, l'éducation et la formation, la culture, l'audiovisuel, la société de l'information, les réseaux et services de communication électronique, les transports, l'énergie, l'environnement, la recherche et le développement technologique, le développement régional et local, et enfin l'administration publique ; le titre IX concerne la coopération financière ; le titre X, enfin, est consacré aux stipulations institutionnelles, générales et finales. L'accord est conclu pour une durée illimitée, mais l'association est censée être entièrement réalisée au terme d'une période transitoire maximale de six ans, sous la supervision d'un Conseil de stabilisation et d'association.

Monsieur le Président, mes chers collègues, la Bosnie-Herzégovine est encore bien loin de l'adhésion à l'Union européenne, mais l'accord de stabilisation et d'association que nous examinons aujourd'hui trace un chemin vers ce but. Un chemin exigeant, un chemin nécessaire. Alors que ce pays des Balkans occidentaux connaît une situation intérieure compliquée, il est, me semble-t-il, de notre devoir – mais c'est aussi notre intérêt bien compris – de l'aider à accomplir ce chemin. C'est la raison pour laquelle je vous invite à adopter le projet de loi autorisant la ratification de l'accord de stabilisation et d'association avec la Bosnie-Herzégovine.

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