Comme l'a souligné M. Jean-Pierre Door, il manque une culture de santé publique en France. Il sera difficile de modifier globalement les comportements, car les Français sont plus individualistes que les scandinaves. Leur réaction à la politique de vaccination générale contre la grippe A(H1N1) l'a encore récemment démontré. L'éducation en santé publique à l'école me semble, en effet, fondamentale à cet égard, parce que l'école est le lieu où apparaissent les plus fortes inégalités en matière de santé. Si l'on me demandait quelle doit être, à mon avis, la principale priorité de la politique de santé publique, je répondrais qu'il s'agit des troubles sensoriels de l'enfant à l'école. Pour moi, c'est l'explication majeure des inégalités évitables dans notre pays. Les médecins et infirmiers scolaires ne sont cependant pas assez nombreux pour mettre en oeuvre une telle politique.
Je suis ravi que l'on ne me pose pas une telle question. M. Maxime Gremetz a présenté quelques priorités. Il en existe beaucoup d'autres : personne n'enlèvera la nutrition, personne n'enlèvera la lutte contre le tabagisme, contre les cancers, personne n'enlèvera la maladie d'Alzheimer, la santé mentale… Je ne souhaite pas que le Haut Conseil fixe des priorités. Qui peut décider et expliquer publiquement que l'un de ces sujets n'est pas prioritaire ?
C'est pourquoi le Haut Conseil a préféré ne pas établir une liste de priorités, mais une liste d'objectifs. Il en a retenu près d'une centaine, car la France est un pays qui peut prétendre répondre à une telle ambition. Cette liste peut paraître indigeste, mais aucun des objectifs qui y sont inscrits ne peut être supprimé. Ils ont été mal présentés en 2004. C'est pourquoi nous allons, très prochainement, publier un petit ouvrage destiné au grand public et aux élus territoriaux, en les présentant de manière plus synthétique et lisible. En effet, ces derniers s'occupent de plus en plus des politiques de santé, en particulier depuis la création des agences régionales de santé. La santé est d'ailleurs devenu l'un des premiers sujets de préoccupation des Français avec le chômage. Avant, on voulait être guéri. Aujourd'hui, on ne veut pas être malade. Tous les responsables, à quelque niveau que ce soit, devront donc se préoccuper davantage des questions de santé publique.
Je suis d'accord avec M. Paul Jeanneteau, je trouve anormal que certains objectifs ne puissent être évalués faute des indicateurs et des systèmes d'information nécessaires. J'en connais les raisons et nous allons très prochainement faire des propositions à la direction générale de la santé, à la direction de la recherche, des études, de l'évaluation et des statistiques et à l'Institut de veille sanitaire pour combler le retard accumulé et mettre au point les indicateurs manquants qui doivent répondre aux objectifs fixés par la loi. Malheureusement, cela ne suffira pas. Je suis sûr que les chercheurs feront ces efforts nécessaires pour créer les indicateurs manquants. Mais, aura-t-on les systèmes d'information nécessaires pour les mesurer ? Je ne peux pas vous le promettre.
Pour répondre à Mme Michèle Delaunay, la question des addictions me semble, en effet, fondamentale, surtout chez les jeunes. Les comparaisons scientifiques actuelles démontrent un rapprochement inquiétant entre les comportements des filles et des garçons, que ce soit en matière de tabagisme – la mortalité par cancer du poumon ayant progressée considérablement chez les femmes – ou en matière d'ivresse publique. C'est très préoccupant. Il existe une progression forte de pathologies auparavant absentes chez les femmes et les jeunes. Il s'agit encore d'une question que l'éducation en santé à l'école pourrait aider à résoudre.
Pour que la prévention en santé publique s'améliore, les médecins doivent recevoir des financements destinés à la mise en oeuvre de cette politique. De nouveaux métiers, à l'interface entre le patient et le médecin, doivent également être mis à contribution, comme les « disease manager » dans les pays anglo-saxons qui ont reçu des formations différentes, en psychologie ou en sciences de l'éducation. Cela coûte moins cher que les médecins et, au regard du manque de ceux-ci, il me semble qu'il faut investir dans cette voie. Cette solution a déjà été retenue pour les personnes âgées dans le plan Alzheimer.
Mme Valérie Boyer a insisté avec raison sur le suivi des malades, mais je tiens à rappeler que la prévention comprend aussi le suivi des personnes en bonne santé.
Je suis d'accord avec M. Pierre Morange : aucune reprise du tabagisme n'a été notée depuis la loi interdisant sa consommation dans les lieux publics. Je ne pense pas qu'il soit nécessaire d'attendre plus d'études épidémiologique en cette matière. La loi interdisant de fumer dans les lieux publics a eu un rôle évident et majeur dans la diminution de la consommation de tabac et de l'envie de fumer.
Sur la question de la multiplicité des organismes, je me suis mal exprimé. Je ne suis pas favorable à la création d'une nouvelle structure, mais à la mise en place, à l'intérieur d'un organisme existant, d'une commission composée de personnes indépendantes d'horizons différents qui réfléchiraient à l'instauration d'un système d'informations partagées, dans les limites posées par la Commission nationale de l'informatique et des libertés (CNIL).
Depuis que je suis arrivé au Haut Conseil de santé publique, moi qui suis un universitaire, un chercheur, un provincial, je suis très frappé des deux réponses que je reçois systématiquement lorsque je formule des propositions à mes différents interlocuteurs, ministériels ou autres. Ils me répondent soit que ma proposition relève de leur domaine de compétence et qu'il ne faut pas empiéter sur leur pré carré, soit ils vont d'abord vérifier si la législation ou la réglementation permettent de mettre en oeuvre ce que je propose. Je pense que les acteurs de santé publique devraient toujours oeuvrer dans un souci d'intérêt général et non chercher à défendre leurs organismes.