Il n'y a rien d'étonnant à ce que dans un pays comme la France, les politiques de santé publiques poursuivent un grand nombre d'objectifs. Ainsi, en définissant cent objectifs atteignables, la loi de 2004 constitue déjà une sélection d'objectifs de santé publique, par rapport à tout ce qui aurait pu être retenu, ne serait-ce qu'en s'inspirant de la classification de l'Organisation mondiale de la santé. D'ailleurs, si l'on cherchait à supprimer certains de ces objectifs, les réactions seraient vraisemblablement très vives.
Tous ces objectifs sont atteignables et, à mon sens, devraient l'être. Par ailleurs, la notion de priorité est une question politique. Il ne faut pas confondre le rôle des experts et celui des responsables politiques. Le travail des experts consiste à définir des objectifs atteignables, au vu notamment de comparaisons internationales, mais pas de les prioriser. C'est aux responsables politiques qu'il revient de définir des priorités de santé publique. La même répartition des rôles doit prévaloir en matière de risques sanitaires : les experts en santé publique doivent identifier les risques, par exemple en matière d'impact des antennes relais sur la santé, mais c'est aux responsables politiques, entourés d'autres experts dans d'autres domaines (sociologues…), qu'il appartient de les gérer. J'insiste beaucoup sur cet aspect des choses.
Faute de hiérarchisation, il est vrai que l'image produite par l'énumération d'une centaine d'objectifs dans la loi de 2004 n'est pas bonne. On a pu avoir le sentiment que cela partait dans tous les sens. Nous avons essayé de faire nos propres propositions d'objectifs, de façon je crois plus lisible.
Les agences régionales de santé peuvent contribuer à améliorer la définition de nos objectifs de santé publique, trop souvent fondés sur des indicateurs nationaux moyens qui recouvrent des écarts-types régionaux importants. La situation actuelle ne me satisfait pas. Il faudrait pour cela que ces agences élaborent des objectifs régionaux ou, au moins, adaptent les objectifs nationaux aux spécificités régionales, mais cela sera difficile à mettre en oeuvre. J'ai d'ailleurs suggéré que soit désigné, au sein de chaque agence, un correspondant du Haut Conseil de la santé publique. En tout état de cause, il ne faudrait pas que les agences régionales de santé ne se consacrent qu'aux activités de soins au détriment des politiques de santé publique, comme les agences régionales de l'hospitalisation avant elles.
Par ailleurs, lors de la récente pandémie de grippe A(H1N1), je vous confirme que le Haut Conseil n'a été saisi qu'après que les décisions ministérielles concernant les vaccins aient été prises. Cela plaide en faveur de la création d'une instance pluridisciplinaire indépendante, placée auprès du Haut Conseil, qui serait saisie pour avis des mesures de gestion des crises sanitaires graves très en amont des opérations.
En outre, le Haut Conseil gagnerait à ne plus dépendre du seul ministère de la santé, même s'il entretient actuellement de bonnes relations avec la direction générale de l'offre de soins et la direction générale de la santé. En effet, cette tutelle unique ne favorise pas le développement de son action dans des champs extérieurs à la compétence de ce ministère, et pourrait nuire à sa crédibilité.
Plus généralement, si les experts ne sont pas assez respectés en France, cela tient pour partie à l'absence de statut, beaucoup intervenant d'ailleurs souvent à titre bénévole.
S'agissant de la iatrogénie, elle constitue aujourd'hui un problème majeur, notamment en ville, où les dispositifs de pharmacovigilance ne sont pas encore assez développés. La difficulté tient notamment au grand nombre de médicaments administrés aux personnes âgées, ainsi qu'à l'importance de l'automédication en France, qui limite l'efficacité des politiques de formation des prescripteurs aux problèmes de iatrogénie. Pour l'heure, on ne dispose toutefois pas d'étude comparative sur la iatrogénie en établissement médico-social, à domicile ou à l'hôpital.
Pour ce qui est des systèmes nationaux d'information, la France en compte déjà un nombre excessif, et certains sont de véritables cimetières de données. Il nous manque des systèmes d'information régionaux, souples et maniables. Une analyse critique de l'offre de systèmes d'information est en cours, en lien avec la direction générale de l'offre de soins et la direction générale de la santé. Il faut éviter de dépenser de l'argent pour de grandes enquêtes nationales qui ne servent à rien.
Concernant enfin les changements de comportements en matière de tabac ou d'alcool, on observe que, lorsqu'une mesure est prise, elle produit immédiatement un effet positif, comme cela a été le cas par exemple de l'interdiction de fumer dans les lieux publics. Toutefois, dans un deuxième temps, on observe des réactions contraires, une sorte de phénomène d'échappement. C'est le cas aussi en matière d'usage du préservatif, qui a tendance à régresser chez certains jeunes homosexuels.
Pour l'alcool, je serais plus inquiet sur la question des jeunes et de l'alcool au volant. Ce n'est pas parce que je viens de Bordeaux, mais je pense qu'il faut se garder de toute exagération dans les actions de santé publique visant à orienter les comportements, comme cela a pu être le cas avec les messages qui présentaient la moindre prise d'alcool comme un facteur de risque sanitaire significatif. On sait pourtant qu'il est loin d'être nocif de boire jusqu'à trois verres de vin par jour pour un homme, et deux pour une femme. En revanche, j'ai eu l'occasion d'exprimer au cabinet de la ministre de la santé mon profond désaccord avec l'assouplissement récent des règles encadrant la publicité pour les boissons alcoolisées sur Internet. Je le répète, les comportements d'alcoolisation massive des jeunes me paraissent appeler des actions de prévention ciblées et fortes.