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Intervention de François-Michel Gonnot

Réunion du 15 juin 2010 à 16h45
Commission du développement durable et de l’aménagement du territoire

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaFrançois-Michel Gonnot, rapporteur :

– Je confirme tout à fait les propos du président en ce qui concerne la qualité du travail que nous avons mené ensemble et avec le concours de tous les membres de la mission d'information.

Lorsque nous avons commencé l'analyse du marché de quotas de CO2, nous étions tous assez réticents devant ce système complexe, méconnu et d'inspiration anglo-saxonne. Il est en effet directement inspiré du marché de permis imaginé par les Etats-Unis pour lutter contre les dégagements de dioxyde de souffre. L'Europe l'a adopté après avoir échoué à instaurer un mécanisme de taxation, ceci en raison principalement de l'opposition de l'Allemagne et du Royaume-Uni, ainsi que de l'exigence d'obtenir une unanimité des Etats membres en ce sens. L'Union européenne s'est alors orientée vers un marché de quotas, qui présente l'avantage d'être autorisé par une simple majorité qualifiée du Conseil.

La mission d'information a commencé immédiatement après la censure de la contribution carbone nationale par le Conseil constitutionnel. A notre surprise, l'ensemble des industriels, la quasi-totalité des personnes auditionnées, tous ont considéré que le système des quotas était un bon système, qui peut naturellement être amélioré, mais qui mérite de perdurer.

Je crois utile de présenter brièvement le fonctionnement du système communautaire d'échange de quotas d'émission de gaz à effet de serre (SCEQE). C'est un marché de permis d'émission, distribués par pays en fonction des rejets historiques. Les Etats les répartissent ensuite entre les installations les plus polluantes de leur territoire. Cette allocation s'est opérée gratuitement pour permettre l'adhésion au mécanisme de tous les acteurs. Un crédit permet l'émission d'une tonne de CO2. S'il n'est pas consommé, il peut être soit reporté à l'année suivante, soit vendu à un autre industriel, dans un autre secteur ou dans un autre pays européen, qui a pour sa part excédé son quota et qui doit donc acquérir les permis correspondant à sa production.

Cette répartition a relativement bien fonctionné. La France, qui est un petit émetteur par rapport à l'Allemagne – les Allemands sont responsables du triple de nos rejets – a correctement appliqué la directive européenne. Le besoin des opérateurs de réaliser des échanges a fait émerger un marché et un signal-prix pour la tonne de carbone. Il s'est établi d'abord à quelques euros, puis il a excédé les 30 € ; il fluctue maintenant aux alentours de 15 €. Le rapport analyse en détail ces fluctuations relativement importantes et les raisons qui les justifient.

Il convient de rappeler que la construction du SCEQE s'est déroulée en trois phases. De 2005 à 2007, la contrainte sur les industriels était relativement légère, les allocations nationales s'effectuaient gratuitement et les quelques échanges ont permis l'apparition du signal-prix.

La deuxième période a commencé en 2008 ; elle s'achèvera à la fin de l'année 2012. L'allocation est inchangée, mais les contraintes sont accrues. Quelques pays ont mis en vente aux enchères une faible partie de leurs allocations, essentiellement par choix budgétaire.

Si nous avons accéléré la présentation de ce rapport, c'est que l'Europe se trouve dans une négociation pour fixer les conditions de la troisième phase, qui s'étendra de 2013 à 2020. Nous serons là dans un marché plus complexe : la plafond d'émission autorisé va baisser de 21% en fin de période par rapport à 2005 ; les quotas seront désormais attribués aux enchères. Les secteurs exposés à la concurrence internationale feront cependant exception. Après le rapport Charpin sur le système d'adjudication, après le rapport Prada qui formule des recommandations pour une meilleure régulation du marché – recommandations perçues de façon extrêmement positive par les services de la Commission européenne –, il était normal que le Parlement prenne position avant que les décisions pour 2013 ne soient définitivement arrêtées.

Bien sûr, le SCEQE comporte un certain nombre de faiblesses. J'ai déjà évoqué la volatilité des prix, qu'il faut toujours surveiller de près dans un marché de matière première. Les écarts constatés montrent bien qu'il faut y prendre garde : même si le carbone cher a la vertu de conduire les industriels à réduire leurs émissions, il ne faudrait pas qu'une valeur excessive les convainque de diminuer leur activité, de se lancer dans un investissement insupportable ou de quitter le territoire européen au profit d'espaces aux contraintes moindres.

La deuxième faiblesse tient à une régulation insuffisante qui a donné lieu à quelques cas de fraude que nous avons analysés dans le rapport. Les propositions du rapport Prada, rendu public il y a quelques mois, seront un élément important de la contribution française à cet égard.

Enfin, troisième faiblesse, le mécanisme ne couvre que 40% des émissions européennes de gaz à effet de serre. Cela nous pousse à nous interroger sur les 60% restants : il est difficile d'imaginer un système national qui permette de contrôler ces rejets de sources diffuses. L'option idéale serait un instrument de taxation européen.

Comment essayer de parfaire ce système européen de quotas ? On peut d'abord noter que sa couverture s'accroît par chaque nouvelle adhésion à l'Union européenne. On procède aussi à des extensions à de nouveaux secteurs, ainsi le transport aérien en 2012 : chaque décollage, chaque atterrissage sur un aéroport européen sera assujetti. Bien sûr, cela aura un effet sur les comptes de nos compagnies aériennes, voire sur la compétitivité entre les aéroports. L'appareil qui se posera à Roissy sera taxé ; celui qui atterrira en Suisse ne le sera pas.

La couverture du secteur diffus semble passer par une taxe européenne sur le carbone, plus précisément par les accises sur les carburants. C'est en ce sens que s'orientent les discussions de l'après Copenhague.

Enfin, les « mécanismes de projet » créés par le Protocole de Kyôto permettent à des émetteurs européens de se libérer de leurs obligations en investissant dans des technologies propres hors de leur territoire. Les projets conduits sont contrôlés par les Nations unies. Néanmoins, même si des marchés de carbone sont imaginés au Japon ou aux Etats-Unis sur la base de l'expérience européenne, il existe toujours des espaces sans contrainte qui demeurent des lieux de délocalisation.

Il faut donc préserver la compétitivité européenne. Il est prévu dans la phase III du SCEQE de distribuer une part de quotas gratuits dans les secteurs à risque. Nous devons prendre garde à prévenir les délocalisations industrielles en Europe, surtout dans le contexte économique actuel. Un ajustement aux frontières serait bienvenu pour égaliser la concurrence en tenant compte des efforts environnementaux des uns et du laxisme des autres. C'est une idée sur laquelle nous avons travaillé, qui est celle de la « taxe carbone aux frontières ». En réalité, ce n'est pas une taxe aux frontières, mais une extension du marché de quotas aux importations venues de pays qui n'appliquent aucune réglementation en termes d'émissions de CO2. Le mécanisme est complexe, beaucoup se sont montrés sceptiques notamment au regard des règles de l'OMC. Nous pensons pourtant que l'idée doit être approfondie. Etre vertueux est une bonne chose, mais dans un monde où la vertu est la même pour tous. Dans le cas contraire, il faut savoir se montrer pragmatique.

L'objectif final est évidemment de construire une Europe décarbonée. Un des enjeux de 2013 est celui de la détermination du dispositif d'enchères : faut-il une place unique ou plusieurs plateformes ? Paris est actuellement bien développé, mais nous devons garder à l'esprit que la France est un petit émetteur de CO2. Le rapport Charpin formule des propositions intéressantes en faveur d'une plate-forme unique. Nous souhaiterions tout de même sauver la place de Paris.

Il faut aussi essayer de valoriser l'expérience européenne pour qu'elle serve de modèle international. Je pense en particulier à nos règles de régulation. Les Etats-Unis sont déjà en train de faire la publicité de leur système avant même qu'il n'existe. Leur volontarisme a assez surpris notre mission d'information.

Voila, M. le Président, l'essentiel de nos conclusions. Le système doit être régulé ; le système doit être étendu. Il faut prendre en compte un certain nombre de nos intérêts qui peuvent être fragilisés par le dispositif. Nous devons aussi avoir le souci de faire de ce modèle un exemple pour le monde, pour l'Asie notamment. La mission n'est pas opposée au principe d'une taxe européenne, tout en demeurant sceptique sur la condition d'unanimité des Etats. Quant à l'ajustement aux frontières, il devra voir le jour si les autres marchés mondiaux tardent à se mettre en place, tout en conciliant protection de l'environnement et exigences pratiques : il ne s'agit pas de contrôler l'ensemble des biens importés, plutôt les grandes masses de matériau. On envisage d'exclure le secteur de l'automobile – ce qui est peut-être une erreur – car il serait trop complexe de calculer le coût carbone d'un véhicule importé.

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