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Intervention de Gérard Bapt

Réunion du 17 juin 2010 à 15h00
Suspension de la commercialisation des biberons à base de bisphénol a — Discussion d'une proposition de loi adoptée par le sénat

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaGérard Bapt, rapporteur de la commission des affaires sociales :

Madame la présidente, madame la secrétaire d'État, chères et chers collègues – les premières étant cet après-midi majoritaires (Sourires), disons-le d'emblée : la présente proposition de loi, déposée par le sénateur Yvon Collin et adoptée à l'unanimité par le Sénat avec l'accord du Gouvernement, constitue une réelle avancée qui mérite d'être saluée. Toutefois, il ne nous paraîtrait pas opportun ni cohérent de la voter en l'état.

Ce texte tendant à suspendre la fabrication, l'importation, l'exportation et la mise sur le marché à titre gratuit ou onéreux de biberons produits à base de bisphénol A, marque, pour la France, la fin heureuse d'un certain attentisme face aux risques d'un composé chimique très proche du Distilbène de sinistre mémoire.

Face aux inquiétudes croissantes de nos concitoyens et au trouble né de la publication d'études scientifiques de plus en plus nombreuses, réalisées sur l'animal mais également sur des cellules humaines, impliquant le bisphénol A dans divers problèmes de santé – cancer, diabète, atteinte à la reproduction ou troubles neuro-comportementaux – et faisant état, selon l'Agence française de sécurité sanitaire des aliments, de « signaux d'alerte après une exposition in utero et postnatale à des doses inférieures à celle sur laquelle se fonde la dose journalière tolérable », Mme Bachelot, ministre de la santé, affirmait encore, le 31 mars 2009, devant la représentation nationale : « Les études fiables existent ; elles concluent, en l'état actuel des connaissances scientifiques, à l'innocuité des biberons en bisphénol A. » Je crois qu'il n'est plus possible aujourd'hui de soutenir une telle position, et qu'il faut aller un peu plus loin que ce qui a été voté en première lecture au Sénat.

Le tout récent rapport préliminaire de l'INSERM, en date du 2 juin 2010, relatif aux effets du bisphénol A sur la reproduction, souligne que des études toxicologiques menées chez l'animal mettent l'accent sur les conséquences possibles d'une exposition au bisphénol A in utero et pendant la lactation, susceptibles d'interférer directement avec le développement de l'embryon puis du foetus et de provoquer des effets à long terme sur la reproduction du jeune et de l'adulte, tandis qu'une étude menée sur l'espèce humaine vient de rapporter, chez des hommes consultant pour infertilité, des niveaux élevés de bisphénol A associés à une modification des taux d'hormones impliquées dans la reproduction.

Tenant compte de ces toutes dernières études scientifiques, dont certaines sont parues après le vote du texte en première lecture au Sénat, qui suggèrent une sensibilité potentielle accrue au bisphénol A pour les nouveau-nés et les nourrissons dans la phase de développement de leurs systèmes nerveux et reproducteur, et du fait que le risque de migration du bisphénol A contenu dans un plastique alimentaire est d'autant plus important que ce plastique est intensément chauffé, le texte qui nous est proposé élimine l'une des sources d'exposition au bisphénol A d'une catégorie particulièrement sensible de la population et réduit donc utilement les risques d'effets nocifs sur leur santé.

Ayant été le premier maire de France à interdire, par arrêté municipal en date du 22 juin 2009, la vente et l'utilisation de biberons contenant du bisphénol A dans ma commune de Saint-Jean, en Haute-Garonne, et ayant été rejoint depuis par une douzaine de communes, je ne peux qu'être favorable à l'extension de cette mesure à l'ensemble du territoire national.

C'est d'ailleurs pourquoi j'ai déposé, lors de l'examen du projet de loi portant engagement national pour l'environnement, un amendement reprenant in extenso l'article 1er de la présente proposition de loi, amendement que l'Assemblée nationale a adopté et que la commission mixte paritaire a quelque peu modifié cette semaine en prévoyant un délai pour sa mise en oeuvre – délai qui, je dois le reconnaître, est très court.

Hormis la date d'entrée en vigueur, cette disposition n'a pas été remise en cause. Le dispositif de l'article 1er, suspendant la commercialisation des biberons au bisphénol A entrera donc en vigueur au 1er janvier 2011, à moins que l'Assemblée ne décide son application immédiate, dès la parution de ce texte au Journal officiel.

Dès lors, il n'y a aucune justification à vouloir adopter conforme une proposition de loi dont le dispositif central a déjà été adopté par le Parlement. S'il faut éviter les lois bavardes, évitons de légiférer aujourd'hui. C'est bien parce que ce texte mérite d'être complété que nous sommes réunis.

Je sais que la proposition de loi que nous examinons comporte également un article 2, qui élargit la problématique du bisphénol A à l'évaluation de l'ensemble des perturbateurs endocriniens, ce qui est une bonne chose, mais cet article a une portée limitée puisqu'il se borne à demander au Gouvernement de rédiger, au plus tard le 1er janvier 2011, une sorte de rapport de synthèse de l'expertise que réalise actuellement l'INSERM sur les perturbateurs endocriniens en général, présentant les mesures prises et envisagées pour diminuer l'exposition humaine à ces produits.

Nous disposerons des conclusions de cette expertise collective de l'INSERM à l'automne 2010 et nous pourrons nous en servir utilement, le moment venu, comme aide à la décision sur d'autres perturbateurs endocriniens que le bisphénol A, et ce même en l'absence du rapport du Gouvernement, dont il convient peut-être parfois aussi de simplifier la tâche.

Non seulement, donc, il ne serait pas opportun de se borner à voter ce texte dans sa rédaction actuelle, mais ce serait faire preuve d'une grande incohérence. N'oublions pas en effet que, si l'unanimité s'est dégagée, tant au Sénat qu'en commission des affaires sociales – le président Méhaignerie y a d'ailleurs été particulièrement attentif – sur la nécessité de suspendre rapidement la commercialisation des biberons au bisphénol A, c'est bien parce que les signaux d'alerte lancés par les différentes agences sanitaires françaises et internationales ont été jugés suffisamment inquiétants.

Ils auraient pu, comme l'ont fait devant moi les représentants de la filière plastique lors de leur audition – à laquelle Mme Antier assistait également –, considérer qu'il ne s'agissait là que de signaux d'alerte mais que la preuve absolue de la toxicité du bisphénol A n'était pas encore apportée.

Au lieu de cela, sénateurs et députés ont décidé d'appliquer, en l'espèce, le principe de précaution désormais inscrit dans notre bloc de constitutionnalité, et le Gouvernement ne s'y est pas opposé.

Dès lors, comment les Français pourraient-ils comprendre que nous nous arrêtions au milieu du gué en n'offrant aux nourrissons qu'une protection minimale, nous intéressant au seul mode de contamination par le biberon, sans nous préoccuper des autres modes ?

La suspension de l'utilisation des biberons contenant du bisphénol A ne suffira pas à résoudre le problème. M. Jean-François Narbonne, professeur de toxicologie à l'université de Bordeaux et expert auprès de l'AFSSA, n'a-t-il pas clairement affirmé que « c'est avant tout par l'intermédiaire de la mère que l'enfant est exposé au bisphénol A in utero, durant la gestation, mais également lors de l'allaitement, et là, le biberon n'intervient pas » ?

La seule suspension de l'utilisation des biberons à base de bisphénol A ne règlera donc pas le problème, puisque des études scientifiques ont démontré le risque de contamination in utero à travers la barrière placentaire.

Le professeur Patrick Fénichel, chef du service d'endocrinologie du CHU de Nice, nous a ainsi appris, lors de son audition, qu'une étude, qui sera bientôt publiée, a mis en évidence, par des dosages réalisés dans le sang de cordon ombilical d'une centaine de bébés à la maternité de Nice, la présence de bisphénol A dans 90 % des échantillons.

Le biberon n'est donc pas la seule source de contamination. Le lait en est une autre, qu'il soit maternel – par le biais de l'exposition des mères aux produits alimentaires en contact avec des revêtements intérieurs contenant du bisphénol A – ou maternisé – du fait de l'utilisation de cette substance pour assurer l'étanchéité des boîtes de poudre de lait. Pour cette raison, interdire les seuls contenants alimentaires à base de bisphénol A destinés aux enfants de moins de trois ans, sur le modèle de la législation du Danemark, ne serait qu'un pis-aller, qui n'éliminerait pas le risque de contamination par la mère.

Selon un avis de l'AFSSA du 29 janvier 2010, l'exposition au bisphénol A des nourrissons par l'intermédiaire du biberon est bien plus faible que celle par le lait maternel ou le lait maternisé.

Pour cette raison, je vous proposerai dans quelques instants, madame la secrétaire d'État, d'accepter un amendement consistant à suspendre, à compter du 1er janvier 2012, la fabrication, l'importation, l'offre, la détention en vue de la vente ou de la distribution à titre gratuit, la mise en vente, la vente ou la distribution à titre gratuit de contenants alimentaires produits à base de bisphénol A jusqu'à l'adoption par l'AFSSA – comme, au fond, vous l'avez souhaité, madame la secrétaire d'État –, d'un avis motivé autorisant à nouveau ces opérations.

La rédaction de cet amendement peut sembler, à première vue, assez proche de celle de la proposition de loi initialement déposée par le sénateur Collin, dont le Sénat a considérablement limité le champ d'application.

Plusieurs arguments avaient été avancés, à l'époque, notamment par la ministre de la santé, pour repousser une interdiction globale du bisphénol A dans la composition de l'ensemble des plastiques alimentaires.

Il a tout d'abord été soutenu que l'interdiction générale des plastiques alimentaires contenant du bisphénol A serait incompatible avec le principe de libre circulation des marchandises au sein de l'Union européenne et avec les règles de l'Organisation mondiale du commerce. Or, outre que mon amendement ne propose qu'une suspension temporaire de l'utilisation de contenants alimentaires à base de bisphénol A, l'article 18 du règlement du 27 octobre 2004 concernant les matériaux et objets destinés à entrer en contact avec les denrées alimentaires prévoit la possibilité pour les États de prendre provisoirement des « mesures de sauvegarde » consistant à suspendre un produit qui présenterait, suite à de nouvelles données ou à une nouvelle évaluation des données existantes, un danger pour la santé, ce qui est bien le cas du bisphénol A.

Vous noterez enfin que le risque contentieux serait le même si l'on se limitait aux biberons et que le Gouvernement s'est déjà déclaré prêt – sur un autre sujet, il est vrai – à encourir un tel risque lorsqu'il estime que l'enjeu en vaut la peine.

Il a également été avancé, pour écarter l'interdiction générale du bisphénol A dans tous les plastiques alimentaires, que l'innocuité des matériaux utilisables en remplacement des plastiques et des résines contenant du bisphénol A n'aurait pas encore été suffisamment étudiée. Cet argument est plus recevable que le précédent, mais la période transitoire que je vous propose d'instaurer avant l'entrée en vigueur de la suspension, le 1er janvier 2012, permettra à l'ensemble des autorités de contrôle concernées de poursuivre leurs travaux de recherche et laissera aux industriels la possibilité d'adapter leur processus de fabrication. Ils ont d'ailleurs déjà commencé à le faire, comme ils me l'ont déclaré lors de leur audition, et comme les y engage la Food and Drug Administration des États-unis, qui souhaite faciliter le développement de produits de remplacement pour réduire la présence de cette substance dans l'ensemble des récipients alimentaires.

Vous pouvez le constater vous-mêmes, aucun argument sérieux ne résiste à l'analyse ni ne justifie de remettre à plus tard une mesure de santé publique aussi attendue. Le Danemark a déjà interdit temporairement, à compter du 1er juillet 2010, le bisphénol A dans tous les produits en contact avec les aliments destinés aux enfants de moins de trois ans. L'État du Connecticut a interdit, à compter du 1er octobre 2011, la fabrication et la vente de contenants alimentaires comportant du bisphénol A. Enfin, le président de l'agence fédérale allemande pour l'environnement vient de recommander, le 9 juin dernier, d'utiliser dès à présent, des produits de substitution par mesure de précaution.

Mes chers collègues, vous avez estimé, lors de l'examen du projet de loi portant engagement national pour l'environnement, que les signaux d'alerte relatifs au bisphénol A étaient suffisamment inquiétants pour justifier la suspension de la commercialisation des biberons comportant cette substance. Si vous voulez être vraiment cohérents, vous vous honorerez, en votant aujourd'hui l'amendement que je vous propose avec certains députés UMP et NC, de prendre une disposition garantissant efficacement, comme le prévoit le Préambule de la Constitution de 1946, la protection de l'enfant. (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.)

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