Monsieur le président, mesdames, messieurs les députés, votre assemblée s'apprête à examiner une proposition de loi et une proposition de résolution sur un sujet essentiel : l'articulation entre l'intervention du législateur et celle des partenaires sociaux.
Si nous voulons donner plus de force et plus d'efficacité à notre démocratie sociale, il convient de poser des règles du jeu claires pour que chacun connaisse son rôle. Cela suppose aussi que tous les acteurs voient leur légitimité renforcée, afin que nous abordions ensemble les enjeux posés par les transformations de notre modèle économique et social.
Par une tendance de fond et de long terme, la place réservée à la négociation collective ne cesse de croître, et nous lui avons donné son plein essor depuis le 31 janvier 2007. La loi de modernisation du dialogue social constitue en effet une pièce maîtresse de l'édifice ; elle a été voulue et appliquée par la majorité parlementaire et le Gouvernement. Aujourd'hui, je me réjouis que nous puissions encore améliorer ce texte, et que nous nous apprêtions à le faire de manière consensuelle.
En premier lieu, l'accroissement de la place de la négociation collective est essentiel à la cohésion et au dynamisme de notre société. Depuis les années soixante-dix et la fameuse nouvelle société de Jacques Chaban-Delmas, on a constaté une tendance de fond à l'accroissement de la place du contrat et de la négociation collective par rapport à la loi. Amorcée avec la formation professionnelle, au fil des années, la négociation collective a investi de plus en plus de sujets. Elle a précédé la loi ou a trouvé de nouveaux terrains d'expression grâce à la loi.
Tout d'abord, donc, elle a souvent précédé la loi. Des textes ont été adoptés pour rendre applicables des accords qui leur étaient antérieurs, par exemple en matière de formation professionnelle – en 1972, 2004 et 2009 –, de mensualisation des salaires – en 1978 –, de contrat de travail à durée déterminée – en 1990 –, ou pour donner de nouveaux espaces à la négociation collective, par exemple en matière d'aménagement du temps de travail – en 1993 et 2008 – et de gestion prévisionnelle de l'emploi - en 2005.
En matière sociale, l'histoire des quarante dernières années est celle d'un accroissement du rôle des partenaires sociaux. La raison en est simple : les changements qui reposent sur un minimum d'adhésion, ou au moins de compréhension, de ceux qu'ils concernent se mettent en place avec plus de facilité et de succès ; ils prennent mieux en compte les besoins des acteurs sur le terrain.
Depuis 2007, nous avons voulu donner plus de place au dialogue social, ce qui était une priorité du Président de la République. Nous avons donc mis en oeuvre un mode d'élaboration des lois qui associe étroitement les partenaires sociaux, le cas échéant par la voie de négociations préalables : c'est ainsi l'application de la loi de modernisation du dialogue social qui a conduit à la signature de plusieurs accords interprofessionnels et à l'adoption de lois importantes sur le contrat de travail, la représentativité des syndicats ou la formation professionnelle ; j'y reviendrai.
Mais la négociation a aussi, souvent, suivi la loi. Si nous avons voulu développer la négociation collective en aval des réformes, c'est pour plusieurs raisons fondamentales souvent rappelées par le Président de la République. En premier lieu, nous pensons que la loi et le règlement ne doivent pas limiter indûment le champ du contrat, mais au contraire lui donner l'espace nécessaire. Par ailleurs, nous croyons en une société qui privilégie les solutions élaborées par les acteurs sur le terrain. Enfin, nous voulons réformer notre pays sur la base de compromis constructifs plutôt que dans l'affrontement stérile et déconnecté du réel.
Cette rénovation a porté ses fruits. L'espace de la négociation d'entreprise s'est accru au cours de ces dernières années, et l'on constate une tendance à l'augmentation du nombre d'accords : 30 000 accords d'entreprise chaque année environ et 1 200 accords de branche. Il faut conforter ces tendances.
Cela vaut également pour la fonction publique : ainsi, en tant que ministre de la fonction publique, Éric Woerth a signé, le 20 novembre 2009, un accord sur la santé et la sécurité au travail dans la fonction publique avec toutes les organisations syndicales de la fonction publique, à l'exception de Solidaires. Cet accord est le troisième signé entre le Gouvernement et les organisations syndicales dans les deux dernières années. Il marque le succès d'une méthode, celle de l'écoute et du respect des partenaires sociaux. Certaines dispositions de l'accord ont d'ores et déjà été reprises dans la loi portant rénovation du dialogue social dans la fonction publique.
Mais, si l'on veut donner plus de place au dialogue social, il faut que chacun prenne ses responsabilités. C'est la raison pour laquelle nous avons également voulu rénover la démocratie sociale : il fallait que les règles de représentativité des syndicats leur donnent une nouvelle légitimité et que les accords conclus reposent sur un socle d'adhésion minimal, surtout quand ils aboutissent à des règles profondément innovantes. C'est tout l'objet de la loi du 20 août 2008 portant rénovation de la démocratie sociale. Le projet de loi complétant la loi du 20 août 2008, que votre assemblée examinera prochainement, relève également de cette logique et est indispensable pour assurer la pérennité de la réforme de la représentativité.
Il existe désormais, depuis 2007 et de manière structurée, un dialogue et des interactions entre la politique gouvernementale et les discussions entre les partenaires sociaux : c'est l'apport de la loi du 31 janvier 2007.
Je crois au dialogue social pour trouver les solutions qui prennent au mieux en compte les intérêts de chacun. Une société de dialogue, c'est une société où les acteurs ont la maturité nécessaire pour trouver ensemble les compromis les plus adaptés.
La loi du 31 janvier 2007 a été une avancée majeure. En fixant les responsabilités de chacun, elle a permis de structurer, depuis trois ans, les relations entre pouvoirs publics et partenaires sociaux. Cela signifie que chacun garde ses prérogatives de faire prévaloir ce qui lui semble correspondre à l'intérêt général, dans le cadre d'un agenda social.
Personne n'est autonome par rapport à personne et chacun articule son action avec les autres, avec sa propre légitimité. L'État est légitime pour mettre en avant les priorités qui lui semblent incontournables et les partenaires sociaux choisissent leur mode d'action dans ce contexte. Ils gardent bien évidemment la possibilité de développer par ailleurs des négociations autonomes sur d'autres sujets. De la même manière, les pouvoirs publics ne sont pas forcément liés par les accords conclus, même s'ils peuvent s'engager à reprendre le contenu de textes négociés dont la large assise conforte la légitimité.
Les partenaires sociaux ont toute légitimité pour négocier et conclure des accords dans le cadre des règles légales et les pouvoirs publics ont la légitimité pour modifier les lois, après qu'ils ont pu négocier, et les faire appliquer.
Ainsi, l'esprit de la loi Larcher, c'est la négociation préalable et la recherche d'échanges permanents. C'est aussi pour cela que, depuis 2007, nous élaborons avec les partenaires sociaux un agenda social, qui constitue la feuille de route annuelle des discussions et des réformes à mener. Chacun y contribue ; l'an passé, les partenaires sociaux ont mis en avant la notion de « délibération sociale », qui fait référence aux discussions avancées préalables à des négociations. Le Président de la République rencontre régulièrement les partenaires sociaux de manière informelle. N'oublions pas non plus les moments officiels et les échanges réguliers qui rythment désormais depuis 2007 le programme des réformes en matière sociale ; c'est un dialogue permanent et durable.
J'en veux pour preuve que, depuis 2007, les partenaires sociaux ont été saisis à dix reprises dans le cadre de la loi Larcher. Quatre de ces saisines ont donné lieu à des accords puis à des réformes législatives dans les domaines du marché du travail, de la représentativité syndicale et de la formation professionnelle.
D'autres ont conduit à des négociations sans toutefois aboutir à un accord, comme sur la réforme des services de santé au travail. D'autres enfin ont conduit les pouvoirs publics à prendre des textes réglementaires, par exemple sur l'actualisation du contenu du rapport de situation comparée en matière d'égalité professionnelle.
Cette loi est incontestablement un progrès. Plusieurs acteurs ont salué son rôle pour rendre les réformes plus visibles, plus légitimes et plus durables. Elle permet notamment d'éviter de légiférer trop rapidement, sous le coup de l'émotion, ou de prendre des décisions qui ne seraient pas suffisamment étayées par des justifications solides.
Il est encore possible d'aller plus loin dans cette logique. C'est la raison pour laquelle le Premier ministre avait lancé l'idée d'une charte sociale permettant de définir un certain nombre de principes de méthodologie. En effet, la pratique de l'esprit de la loi du 31 janvier 2007 dépasse son champ d'application strict. Par exemple, les textes d'application des réformes lancées dans le cadre de la loi Larcher à la suite d'un accord des partenaires sociaux font l'objet de concertations entre les pouvoirs publics et les partenaires sociaux signataires des accords concernés. L'exemple le plus abouti de ce principe est la réforme par décret des règles de tenue et de publicité des comptes des organisations professionnelles et syndicales, fruit d'une concertation approfondie de plus d'un an.
Mais la loi du 31 janvier 2007 ne concerne que les projets de réforme engagés à l'initiative du Gouvernement. Il était donc naturel de s'interroger sur l'opportunité d'y inclure ceux qui sont engagés par les parlementaires. Certains des partenaires sociaux ont fait part de leurs remarques en ce sens à l'occasion de l'examen des deux propositions de loi sur l'emploi et sur les dérogations au repos dominical. Le Premier ministre a donc écrit, dès juillet 2009, aux présidents des deux assemblées pour les solliciter sur ce point. Ils ont répondu par l'adoption, les 16 décembre 2009 et 16 février 2010, de deux protocoles expérimentaux, qui permettent d'appliquer les modes opératoires prévus par la loi du 31 janvier 2007 aux textes d'origine parlementaire lorsque leur inscription à l'ordre du jour est envisagée.
La proposition de loi que vous examinez aujourd'hui entend poser dans la loi le principe de l'application de l'obligation de concertation préalable auprès des partenaires sociaux pour les propositions de loi. La version amendée par la commission est souple et conforme à l'esprit de la loi du 31 janvier 2007. Son champ est identique sur le fond et elle renvoie la détermination des modalités pratiques aux assemblées, ce qu'elles ont fait par anticipation avec les protocoles.
Le Gouvernement soutient donc ce texte, car il permet de marquer officiellement une nouvelle étape dans la construction de notre démocratie sociale et dans la formalisation du dialogue constructif entre pouvoirs publics et partenaires sociaux. Il salue le travail commun de l'opposition et de la majorité.
En ce qui concerne le projet de résolution, il nous semble en revanche tout d'abord illégitime d'écarter pour les propositions d'origine parlementaire l'exception en cas d'urgence prévue pour les projets de loi.
Pourquoi ne pas aller jusqu'au bout du parallélisme entre projets et propositions de loi, d'autant plus que les situations d'urgence seront exceptionnelles, liées par exemple à des motifs d'ordre public ou de santé publique ?
Enfin, je ne conçois pas bien ce qu'apporterait une telle résolution, alors même que des protocoles expérimentaux existent déjà, avec des règles dans chaque assemblée. J'ai bien noté le débat sur la constitutionnalité de ce texte et je ne veux pas y entrer.