Monsieur le président, madame la présidente de la commission, monsieur le rapporteur, mesdames, messieurs les députés, dans un film demeuré à juste titre célèbre, le grand Billy Wilder a décrit les tourments que le passage du muet au parlant a fait subir au monde du cinéma. Ainsi, dans Boulevard du crépuscule, le progrès technique est annonciateur à la fois d'une ère nouvelle et d'un déclassement, voire d'une perdition, si magnifiquement incarnés par Gloria Swanson, étoile déchue du cinéma muet sombrant dans la déréliction et la folie.
Au cours de son histoire, l'art cinématographique a connu plusieurs tournants technologiques porteurs de révolutions fécondes dans son style, sa forme et ses moyens d'expression, mais qui ont aussi entraîné des bouleversements parfois complexes dans son fonctionnement, son organisation, comme dans la vie de ceux qui le créent.
Aujourd'hui, quelques décennies après le muet, le cinéma est confronté à un nouveau défi, celui de sa numérisation.
Depuis plusieurs années déjà, les réalisateurs se sont emparé du numérique. Si certains continuent à être attachés au grain de la pellicule photochimique, d'autres ont su apprécier les nombreux avantages de cette technologie, qu'il s'agisse d'une captation différente de la lumière, de la possibilité de s'affranchir des contraintes liées à l'usage de la pellicule, ou de diminuer les coûts. Souvenez-vous d'Ingmar Bergman qui, à l'âge de quatre-vingt-cinq ans, ne trouvant pas de producteur, réalisa en numérique Sarabande, l'un de ses ultimes chefs-d'oeuvre.
Au-delà de la prise de vues, la technologie numérique a également modifié en profondeur les conditions de montage, en étendant très largement la combinaison des possibles, chère à Eisenstein, qui y voyait la spécificité de l'art du cinéma.
Enfin, le numérique a totalement réinventé les techniques d'effets spéciaux d'une manière qui aurait certainement fait rêver Méliès. Il a aussi créé de nouveaux savoir-faire et de nouveaux emplois, particulièrement dans le domaine de l'animation, à la pointe de cette technologie. Le festival international du film d'animation d'Annecy en a encore fait la démonstration éclatante la semaine dernière, à l'occasion de son cinquantième anniversaire.
La France a su relever le défi de cette révolution numérique d'une manière exemplaire. Nos techniciens du cinéma et nos industries techniques, qui ont toujours été parmi les meilleurs du monde, se sont placés aussi à la pointe des techniques numériques de traitement de l'image. La réputation de leur savoir-faire est à juste titre internationale.
Pourtant, dans la longue chaîne qui déroule la vie d'un film, un chaînon était demeuré, jusqu'à il y a peu, imperméable au changement numérique : la salle de cinéma. Le retournement de tendance est tout récent. Ces derniers mois, le processus d'équipement des salles s'est brusquement accéléré sous l'impulsion des progrès rapides de cette technologie, et surtout de l'innovation extraordinaire que constitue le cinéma en 3D, plébiscité par le public comme l'a montré le succès d'Avatar. Désormais, plus de 1 100 écrans parmi les 5 470 que compte le parc français sont équipés d'un projecteur numérique.
Pour le ministre de la culture et de la communication que je suis et qui a fait de la révolution numérique – dont l'influence se fait sentir dans tous les domaines du ministère – l'une des grandes priorités de son action, il était impensable de ne pas agir. Il était impensable de laisser cette révolution technologique se produire sans chercher à l'encadrer et à l'accompagner de mesures régulatrices, afin de préserver les précieux acquis de la politique du cinéma menée dans notre pays depuis soixante ans avec le succès que l'on sait.