L'expérience a montré la difficulté de l'harmonisation fiscale européenne, tant les traditions nationales et les intérêts immédiats peuvent diverger. Mais en l'espèce, le coût économique, politique et social collectif du laisser-aller spéculatif est tel que les États membres de l'Union européenne doivent se rendre compte qu'il excède l'avantage immédiat résultant pour tel ou tel d'entre eux d'une compréhension trop grande pour les exigences d'une certaine conception du marché financier.
Nous nous réjouissons de l'accord de principe dont ont fait état, à ce propos, la Chancelière Angela Merkel et le Président Nicolas Sarkozy. Nous espérons que les travaux du Conseil européen aboutiront sur ce point à des orientations concrètes pour la relance de la lutte contre les paradis fiscaux, la réforme de la rémunération des intermédiaires financiers à la suite des recommandations du G20 et enfin une taxation européenne du secteur bancaire.
Plus largement, il faudrait en outre que l'Europe reprenne la main pour la défense de l'euro. L'enjeu immédiat est bien sûr la consolidation d'une monnaie dont les marchés scrutent les faiblesses. Il concerne certes en priorité les seize pays de la zone euro proprement dite, mais la crise de la monnaie européenne intéresse aussi tous les pays de l'Union par ses répercussions sur les échanges économiques et la vie des peuples de l'Europe.
On parle beaucoup de sortie de crise. Il me semble pourtant que nous n'avons vécu qu'un moment de la crise, car l'accumulation des déficits publics et la croissance de la dette dans un environnement spéculatif ne peuvent que conduire à une reprise des difficultés économiques et monétaires, si rien n'est tenté pour lutter contre les sources du mal.
On ne peut qu'être frappé par la coexistence, pendant de nombreuses années, d'une politique monétaire désormais unifiée par la création de la Banque centrale européenne et de la zone euro, et de politiques budgétaires acceptant l'accumulation simultanée de déficits à un haut niveau.
Aujourd'hui cette coexistence manifeste la contradiction qu'elle porte en elle-même, une contradiction dangereuse pour l'économie et pour la société en Europe. Les récentes propositions de la Commission européenne tendant à ce que les orientations budgétaires des différents États-membres lui soient soumises a priori avant l'examen des lois de finances par les parlements nationaux ont été sans doute maladroitement formulées. Mais la nécessité d'une concertation européenne sur ces orientations, caractérisée par un véritable esprit de fédéralisme budgétaire, nous paraît désormais s'imposer, et il nous semble que la question doit faire l'objet d'un examen attentif au cours du futur Conseil européen.
Les plans de sauvetage des économies de certains États membres n'apporteront qu'une solution provisoire à des difficultés liées aux disparités excessives entre les fiscalités nationales et à la tentation toujours active du dumping social. Il faut nous attaquer à ces disparités en assurant la coordination et la convergence des législations fiscales et sociales. L'installation d'une nouvelle gouvernance économique est à terme la condition politique du maintien du rôle de l'euro, monnaie internationale.
L'enjeu n'est pas seulement économique, il est aussi politique. L'affrontement des blocs n'est plus la rivalité bipolaire entre l'Est et l'Ouest et il n'est plus exclusivement militaire. Nous le constatons au travers de l'évolution récente de la politique turque, dans ses relations avec Israël ou son soutien discret mais déterminé aux déclarations belliqueuses de l'Azerbaïdjan sur le Haut-Karabakh. Ankara retrouve la tradition séculaire de l'empire ottoman, se détourne de l'Europe et cherche à restaurer son influence sur tout le Proche-Orient. Ce n'est pas la marche lente du processus d'adhésion, mais bien une analyse souveraine, par le gouvernement turc, de son intérêt national face aux reclassements du monde, qui explique cette évolution. En feignant d'ignorer ce fait, en faisant porter à l'Europe le poids de la responsabilité du retournement turc, M. Robert Gates révélait, il y a quelques jours encore, combien la constitution d'un ensemble européen fort, cohérent, était considérée comme une menace par le gouvernement américain.
Nous ne saurions accepter une telle vision des choses. Nous sommes favorables à une Europe cohérente, partenaire fiable et solide de l'Alliance atlantique. L'adhésion de la Turquie à l'Union européenne, qui plus est à marche forcée, n'est pas cohérente avec cette conception.
Herman Van Rompuy, le président du Conseil européen, rappelait récemment devant l'université catholique de Louvain que : « l'Union est le seul instrument pour défendre nos intérêts et nos idéaux dans ce monde globalisé ». Il appelait à promouvoir une vision de l'Europe caractérisée par « l'ouverture sur l'autre, sur vingt-sept pays, avec vingt-trois langues, avec sa diversité de religions et de philosophies ». C'est parce que nous partageons cette conviction politique que nous attendons du prochain Conseil européen les mesures propres à en traduire l'élan dans la sphère de l'économie et de la finance. (Applaudissements sur les bancs du groupe NC et sur plusieurs bancs du groupe UMP.)