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Intervention de Pierre Graff

Réunion du 9 juin 2010 à 9h30
Commission du développement durable et de l’aménagement du territoire

Pierre Graff, président directeur-général d'Aéroports de Paris :

Monsieur le Président, je me réjouis d'être à nouveau entendu par votre commission et je réponds sans plus tarder aux questions que vous avez bien voulu me poser.

L'éruption du volcan islandais Eyjafjöll, tout d'abord, est un événement sans précédent dans l'histoire de l'aviation civile, puisque les éruptions volcaniques répertoriées jusqu'à présent, d'amplitude bien moindre, occasionnaient des nuages de cendre très localisés, donc facilement évitables par les pilotes. Là, le nuage de cendre a couvert la partie la plus fréquentée du ciel européen, l'information sur sa situation, ses dimensions ainsi que sur son évolution nous ayant été fournie en continu par deux centres d'expertise, le Volcanic Ash Advisory Center (VAAC) de Londres, qui observe le Royaume-Uni, l'Islande et la partie nord-est de l'Océan atlantique, et le Centre d'observation des cendres volcaniques de Toulouse, qui observe lui l'Europe continentale, le Moyen-Orient, le Maghreb et l'Afrique. La cendre constitue-t-elle un danger pour la circulation aérienne ? Incontestablement, car les cendres volcaniques sont composées majoritairement de basalte, dont la fusion due à la chaleur peut endommager les thermo-propulseurs des moteurs d'avion, jusqu'à les faire caler, mais également les carlingues ainsi que les sondes Pitot, tristement célèbres depuis l'accident du vol Rio-Paris AF 447.

Reprenons la chronologie de cette crise. Le jeudi 15 avril, alors en déplacement aux Pays Bas, j'apprends, à 10 heures du matin, de mon homologue d'Amsterdam que le centre de Londres a émis un signal d'alerte en donnant une carte de la forme du nuage à basse et haute altitude. L'espace aérien néerlandais ferme, tout comme celui du Bénélux et bientôt tout le nord de l'Europe est interdit à la circulation aérienne. A vingt trois heures le même jour, les autorités de l'aviation civile en France ferment le nord de l'espace aérien français, zone incluant Orly et Roissy, fort heureusement à une heure où la quasi-totalité du trafic est déjà effectuée. Le vendredi 16 avril, l'espace aérien européen est entièrement fermé, et, pour dire les choses simplement, c'est la pagaille ! De très nombreux passagers étrangers, bloqués dans les aéroports français, se trouvent empêchés de regagner leur destination finale, et de nombreux touristes français, en vacances à l'étranger, se trouvent, faute d'avions, dans l'incapacité de regagner le sol national.

Le samedi 17, des questions se posent sur les informations fournies par le centre de Londres, pourtant confirmées par Météo France, et sur la foi desquelles ont été prises les décisions d'interdiction, d'autant plus que l'aéroport de Roissy se trouve à la frange de la carte du nuage qui reste invisible depuis nos fenêtres… Nous lançons alors, à l'instar de nos homologues néerlandais et allemands, grâce à des compagnies et à des pilotes volontaires, un certain nombre de vols tests, suivis d'un examen visuel puis boroscopique - il s'agit de l'équivalent d'une endoscopie - des moteurs. Le dimanche, aucune avarie consécutive à l'un de ces vols n'ayant été détectée, la direction générale de l'aviation civile autorise (DGAC), contre l'avis de ses homologues européens, la réouverture de la circulation aérienne dans les fameux « corridors » ayant fait l'objet des tests. Cette réouverture partielle aurait eu plus d'effets si elle avait été simultanée sur l'ensemble de l'espace aérien européen, mais il a été impossible, pour des raisons matérielles, de réunir le conseil des ministres des transports de l'Union européenne, pourtant demandée personnellement par le Premier ministre au président de la Commission européenne… Le mardi, le ciel français était entièrement réouvert à la circulation aérienne. Mais le retour à la normale n'a pas été immédiat, bien évidemment, notamment pour les passagers étrangers qui avaient manqué une correspondance dans un aéroport parisien et s'y trouvaient bloqués.

Vous m'avez interrogé sur les conséquences de cette crise. Pour me résumer, je dirais qu'elles sont d'abord financières, et que de ce point de vue-là, ADP a vécu une véritable catastrophe : elle a en effet occasionné 24 millions d'euros de pertes de chiffre d'affaires, et 21 millions d'EBITDA (Earning before interest, taxes, depreciation and amortization). Nos charges sont restées inchangées - elles se sont même accrues car nous avons mobilisé 100 salariés supplémentaires - puisqu'en l'absence totale de trafic, tous les aérogares sont restés ouverts afin d'accueillir les touristes qui n'avaient pas eu la possibilité de bénéficier, pour des raisons pécuniaires ou pour des raisons liées à la saturation du parc hôtelier, d'un hébergement. En revanche, nos recettes se sont effondrées, faute d'activité, et nous avons donc dû prendre quelques mesures d'économie comme la diminution, via le dispositif de « RTT », d'une partie du personnel salarié chargé des activités d'escale, ou la suspension de certaines commandes chez nos sous-traitants auprès desquels nous avons à juste titre invoqué un cas de force majeure. ADP a également dû, afin de ne pas pénaliser les avions qui étaient restés bloqués « au contact » des zones aéroportuaires, accorder aux compagnies aériennes propriétaires des tarifs dits « de garage », qui sont très avantageux. De même, des tarifs préférentiels ont été accordés aux automobilistes qui ont vu leur véhicule immobilisé pour une période bien plus longue que prévue.

Quant aux enseignements à tirer de cette crise, j'en vois plusieurs. D'abord elle a été remarquablement bien gérée par les pouvoirs publics dans leur ensemble, et ce grâce à une mobilisation de l'État. Une réunion quotidienne, au moins, avait lieu au niveau interministériel sous la présidence du Premier ministre et au niveau ministériel sous celle de M. Jean-Louis Borloo, ministre en charge des transports. La direction générale de l'aviation civile a eu le courage, comme je viens de le souligner, d'initier une démarche qui a permis de débloquer la situation. Ces événements nous ont ensuite permis d'adopter, par exemple lors de la seconde éruption du volcan, qui a eu lieu début mai, d'ampleur bien moindre, une attitude critique et un regard plus avisé sur les données fournies par le modèle mathématique : nous savons maintenant qu'il ne donne aucune information sur la densité des nuages, dont se servent les centres d'observation des éruptions volcaniques.

Nous savons aussi désormais que les données relatives aux nuages cendreux les plus pertinentes pour le trafic aérien sont la densité et l'altitude, ce dernier paramètre étant déterminant pour la durée d'exposition des aéronefs. En effet, si le nuage se situe à une faible altitude, les avions ne font que le traverser pendant un laps de temps très court, au décollage ou à l'atterrissage, et les risques sont moins élevés que s'il s'étend à une altitude de vol. Dans notre démarche, les données fournies par Eurocontrol, organisation européenne pour la sécurité de la navigation aérienne, nous ont conforté car elles présentent une image précise des zones denses et elles me paraissent donc particulièrement utiles aux professionnels de l'aviation civile.

Je le répète. Le résultat affiche donc une baisse de 24 millions d'euros, qui correspond, en EBITDA – soit le ROC majoré des dotations aux amortissements et des dépréciations d'immobilisations nettes de reprises – à une perte de 20 millions. Nous avons perdu 1,4 million de passagers par rapport à la même date de l'année dernière et, par rapport au trafic attendu, nous évaluons la différence à moins 1,6 million de passagers.

Bien entendu, cela n'est pas resté sans incidence sur nos prévisions de croissance du trafic aérien de la place de Paris. Alors que nous tablions sur une croissance de 0,5 point par rapport à l'année noire que fut 2009 et que l'heure était à un certain optimisme, nous avons dû revoir à la baisse notre prévision. Cependant, les prévisions de trafic estival n'étant pas mauvaises, nous pouvons espérer – hors événements exceptionnels tels que des grèves ou une nouvelle éruption volcanique – que 2010 représente au final une année blanche par rapport à la précédente.

Tous calculs faits, nous devrions retrouver les 83 millions de passagers qui ont transité par nos aéroports en 2009. Au reste, ce chiffre de 83 millions de passagers est cohérent avec la croissance du PIB français, la pertinence de la corrélation entre évolution du PIB et croissance du trafic aérien étant désormais bien établie.

Avant la crise de 2008, la prévision de croissance du trafic pour l'année s'établissait à 4%. Au final, nous avons eu un modeste 0,8 %, ce qui est plutôt bien par rapport aux autres places mondiales, souvent en négatif. En 2009, le trafic a chuté de 4,7%, et, là encore, ce chiffre est à rapprocher des 8% constatés à Schiphol ou des 5% de Francfort.

Les résultats économiques de l'exercice 2009 ne sont pas mauvais : le chiffre d'affaires progresse de 4,2% pour atteindre, en EBITDA, 883 millions d'euros. Quant au résultat opérationnel courant (ROC), il progresse de 3,5%. Toutefois, le résultat net régresse légèrement par rapport à 2008.

Pourquoi la place de Paris résiste-t-elle relativement mieux que beaucoup d'autres ? D'abord, et nous n'avons pas de mérite particulier à cet égard, parce que la France est un pôle d'attraction touristique et économique exceptionnel. Toutes les compagnies du monde y regardent à deux fois avant de supprimer des vols vers Paris ! Ensuite, parce que l'activité sur les grands hubs se dégrade moins vite que le trafic de point à point.

Nous avons également mis en place un plan structurel d'économies qui nous a conduits à bloquer les salaires et les recrutements, aucun départ n'ayant été remplacé ; cela nous a permis de réaliser une économie de 45 millions d'euros. Comme l'on s'en doute, le climat social s'en est ressenti mais les personnels ont bien compris les enjeux de cet effort exceptionnel. Cette année, nous « rouvrons les vannes » avec prudence et je suis attentif à ce que la situation sociale de l'entreprise ne se tende pas.

Enfin, notre modèle économique est singulier car, à côté d'un coeur de métier structurellement peu rentable, nous avons construit un socle de stabilité auxiliaire qui nous permet de mieux résister aux aléas de la conjoncture. Ce pôle de stabilité, ce sont les commerces implantés dans nos aérogares et nos actifs immobiliers.

S'agissant des commerces, le chiffre d'affaires par passager a progressé de 26 % en trois ans, dont près de 7% au cours de la seule année 2009, pourtant marquée par la crise. Notre politique immobilière constitue un atout précieux : nos grands clients réguliers paient leur loyer, et cela a un effet stabilisateur non négligeable.

La plupart des compagnies aériennes ont beaucoup souffert des effets de la crise. Cependant, les compagnies low cost enregistrent une bonne progression, avec un taux de croissance d'activité de 18% pour Easyjet, de 15% pour Transavia et de 6% pour la compagnie espagnole Vueling Airlines.

Ces différents éléments incitent à un certain optimisme, d'autant que le mix trafic demeure avantageux : sur une baisse globale de 4,7%, le trafic des longs courriers, soutenu par l'essor des grands avions, ne diminue que de 3 % alors que les destinations court et moyen courrier sont beaucoup plus affectées. Au total, le modèle économique aéroportuaire est plus stable que celui des transporteurs aériens.

S'agissant, Monsieur le président, des délais d'attente pour la livraison des bagages, je n'ai pas eu connaissance d'un regain de réclamations dans la période récente. J'appelle l'attention sur le fait que la responsabilité des opérations de déchargement de l'avion incombe à la compagnie aérienne et non à l'aéroport. En clair, le temps de livraison des bagages à Paris ne dépend pas des diligences d'ADP !

La seule action significative que nous pouvons mener – mais elle suppose des investissements très lourds – est d'inciter à améliorer le taux d'avions entrant, après avoir atterri, en contact direct avec l'aéroport. Bien entendu, plus l'avion est stationné à proximité de la plateforme, plus le temps de déchargement de sa cargaison peut être réduit. Nous nous attachons aussi à créer régulièrement de nouvelles portes, mais, comme je l'ai déjà dit, le coût est exorbitant. Avec le satellite 4 (S4), nous allons atteindre un taux d'avions stationnés au contact direct de la plateforme de l'ordre de 85 %, ce qui correspond au standard mondial le plus avancé. Je pousse aussi à la généralisation de l'affichage du temps de livraison des bagages : mieux informé sur son délai d'attente, le passager le supporte mieux, même si j'ai bien conscience que l'objectif premier en termes de service doit être de raccourcir ce délai. On peut aussi envisager de conclure une charte de bonnes pratiques avec les compagnies. D'autres places – comme celle de Singapour – adoptent des mesures bien plus contraignantes, avec l'application de pénalités à l'encontre des compagnies qui ne déchargent pas dans un délai donné mais cela me semble difficilement envisageable chez nous.

J'en viens au satellite 4. L'objectif est de disposer, dans le pavillon 2E, de trois grandes salles d'embarquement : la « jetée », S3 et S4, ce dernier étant doté de 16 portes dont 7 adaptées à l'A380.

Les travaux d'aménagement de S4, décidés en 2005, étaient déjà engagés lorsqu'est survenue la crise de 2008 ; fallait-il les poursuivre ou abandonner ? Nous avons décidé de ne pas sacrifier le projet, tout en nous astreignant à des économies d'investissements de l'ordre de 100 millions par an.

Pourquoi soutenir le projet S4 ?

D'abord, parce que cela permettra à Air France de concentrer ses opérations et d'assurer de meilleures correspondances. Renoncer au S4 aurait été préjudiciable à l'amélioration constante du hub d'Air France et, par conséquent, à l'économie aérienne nationale.

Ensuite, parce que son aménagement participe de l'amélioration constante du service rendu, ce qui constitue notre première priorité. La multiplicité des intervenants et des attentes de nos clients ne facilite pas la tâche : l'homme d'affaires américain n'a pas les mêmes exigences que le jeune qui part camper avec des copains ! Ce qui fait consensus, c'est que les aérogares doivent être propres, spacieux, clairs et qu'il doit y régner autant que possible une ambiance agréable. La meilleure illustration en est le terminal 2 E de Roissy, qui recueille auprès des passagers un taux de satisfaction de 92%. A terme, ADP entend hisser la place de Paris dans la norme mondiale haute, à l'instar de Londres, Amsterdam ou Dubaï. Or bloquer le développement du S4 nous empêcherait de mener à bien la rénovation des satellites 2B et 2D, aujourd'hui défraîchis. En 2012, la mise en service du S4 permettra de fermer 2B, qui est aujourd'hui le plus critiqué. Sa rénovation hors de toute exploitation commerciale coûtera moins cher que si nous étions contraints de le laisser ouvert ; à terme, ce pavillon a notamment vocation à accueillir Easyjet.

Enfin, n'oublions pas que l'aménagement du satellite 4 représente quelque 1500 emplois permanents. Dans le contexte actuel, il serait difficile d'y renoncer ! Après sa mise en service, S4 sera animé par énormément de commerces qui, chacun à sa manière, diront la France dans toutes ses composantes.

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