Je commencerai par un certain nombre de constats.
Tout d'abord, lors de la tempête Xynthia, la mer est passée par-dessus les digues, ce qui amène à s'interroger sur leur utilité dans certains lieux car elles peuvent être un faux remède.
Ensuite, si le danger est cette fois venu de la mer, il peut aussi venir de l'intérieur des terres. Si une tempête comme Xynthia se conjuguait à la crue de rivières, les dommages corporels, économiques, sociaux et naturels seraient bien plus graves.
L'analyse doit aussi être différenciée selon que les zones touchées sont urbanisées ou naturelles : chaque solution doit être adaptée à l'occupation de l'espace.
Les risques de submersion étaient connus. Force est de constater qu'ils ont été minimisés ou ignorés par les acteurs économiques, les décideurs publics et les populations. Il y a donc des lacunes dans la mémoire du risque : cinq ans après, un tel événement tragique est souvent oublié, ce qui empêche d'en tirer utilement les leçons.
Les promoteurs immobiliers figurent au nombre de ceux qui ont ignoré le risque, parfois délibérément : certains ont implanté sciemment des constructions dans des zones à risque et réalisé des affaires aux dépens d'une population qui pouvait être ignorante et de bonne foi. De notre point de vue, ce comportement mérite des sanctions.
Un mouvement de fond déplace la population de l'intérieur des terres vers le littoral, et même de l'Europe vers la France, avec une forte demande de résidences, notamment secondaires, dans les communes littorales. Mais faut-il vraiment qu'elles soient implantées au bord de la mer ?
Les digues destinées à protéger les terres agricoles ne sont pas toujours entretenues. Leurs propriétaires ne sont parfois même pas connus. Ils sont souvent très nombreux, dans le cadre d'indivisions. Dans ces cas, plus personne ne les gère et elles deviennent inutiles, ou, pire, faussement protectrices : les populations s'abritent alors derrières des digues qui ne présentent aucune sécurité.
Les modes d'assurance contre les catastrophes naturelles doivent aussi responsabiliser les investisseurs. Certes, nous sommes favorables à une mutualisation du risque, à une certaine solidarité, mais la mutualisation ne doit pas être source de déresponsabilisation. « Aide-toi, le Ciel t'aidera » : sans responsabilisation, l'attention au risque encouru est plus faible. La liberté est indissociable de la responsabilité.
Aucune frontière administrative n'ayant jamais empêché la progression des eaux, la prévention des risques naturels ne peut relever de l'échelon communal mais d'un échelon territorial écologiquement et naturellement cohérent.
La gestion des risques de submersion marine ne peut donc être confiée aux seules communes riveraines du littoral. Au sens de la loi Littoral, les rivages des communes d'estuaires et les communes rétro-littorales doivent aussi être pris en compte.
La demande de résidences secondaires n'est pas la seule raison de l'urbanisation des communes littorales, y compris dans des espaces soumis à des risques de submersion marine. Il ne s'agit pas ici de faire le procès des élus locaux qui cherchent légitimement à alimenter le budget de leur commune, pour faire face aux besoins. Mais ne faudrait-il pas penser le développement d'une commune au moins dans un cadre intercommunal ? Dans le calcul des dotations, la solidarité doit jouer dans chaque sens : une commune qui aura su préserver des zones, peut-être parce qu'elle les savait soumises à des risques naturels, ne sera pas en situation de lever autant de taxe d'habitation qu'une autre, qui aura urbanisé. Faute de mettre fin aux motifs de l'urbanisation de zones soumises à des risques naturels, de tels événements risquent de se renouveler.
Nous considérons aussi que les risques naturels doivent être intégrés dans la loi Littoral. Deux de ses « piliers » sont bien connus, la mise en valeur des territoires grâce à l'agriculture et aux activités marines, et la protection. Mais elle en comporte un troisième, la prise en compte des risques naturels. Nous le retrouvons avec la législation sur la bande littorale des 100 mètres, destinée à protéger la côte de l'érosion, mais que le législateur pourrait décider d'étendre afin de préserver les populations des risques de submersion marine.
Ces risques doivent aussi être intégrés dans les problématiques de protection des populations. La suppression par le Sénat, en deuxième lecture de la loi du 23 février 2005 relative au développement des territoires ruraux, de l'article du code de l'urbanisme interdisant de construire le long des chenaux et étiers marins, a donné un très mauvais signe. Il s'agissait de faire face à une hérésie, un permis de construire délivré à tort dans la commune de Penestin, dans le Morbihan. Mais le décret d'application n'est jamais paru : aujourd'hui, l'État est incapable de définir un ru alors que certains départements en comptent 300 ou 400…
Le Parlement s'apprête par ailleurs à supprimer l'opposabilité des directives territoriales d'aménagement. Ce serait une grave erreur car cela reviendrait à supprimer l'outil réglementaire permettant de préciser les différentes conceptions de la loi Littoral, par exemple d'apprécier à l'échelon régional certaines contraintes moins perceptibles à l'échelon communal. Ainsi, la directive territoriale d'aménagement des Alpes-Maritimes a fait l'unanimité de ceux qui se préoccupent de la préservation des milieux, de leur mise en valeur et de la protection contre les risques naturels.
De même, le niveau pertinent pour la gestion du trait de côte est au moins la région. On le voit notamment avec le syndicat mixte de la Côte d'Opale, qui gère désormais l'ensemble du trait de côte dans le Pas-de-Calais et le Nord.
Une analyse des coûts et des avantages entre maintien et déplacement des populations doit être conduite dans les zones urbanisées exposées à des risques. Dans les zones les plus exposées, la population doit être évacuée. Les personnes qui s'y maintiendraient seraient demain les premières à réclamer de nouveau la protection de l'État et des décideurs publics. Or, in fine, c'est le contribuable qui paie. Il vaut donc mieux investir pour reloger les habitants dans des zones non soumises à des risques naturels. En revanche, il peut être préférable de rehausser les digues en cas de densité d'occupation très importante. Bien évidemment, les populations ne doivent pas être relogées dans des zones elles aussi soumises à des risques de submersion marine ou à d'autres risques naturels. Enfin, les terrains ainsi libérés doivent être remis au Conservatoire du Littoral, qui laisse toutefois aux collectivités territoriales la possibilité de les gérer elles-mêmes.
Quels principes d'aménagement retenir pour prévenir l'exposition aux risques naturels ? L'ensemble des espaces non urbanisés soumis à ces risques doivent être identifiés et soustraits à titre définitif à toute urbanisation. Le principe de la libre circulation des eaux doit être affirmé : aux Pays-Bas et en Grande-Bretagne, on envisage même pour cela de détruire un certain nombre de digues, les terres étant affectées à l'agriculture, notamment à l'élevage, hors des périodes d'intrusion des eaux. Ainsi, des zones de la commune d'Ambon, dans le Morbihan, recouvertes une à deux fois par an par la mer et relevant du domaine public maritime, sont gérées par des agriculteurs.
Nous pensons aussi qu'il est préférable de favoriser la reconstitution des dunes et d'éviter les enrochements dont les photographies que nous avons prises en Vendée attestent qu'ils ne sont d'aucune utilité. Installer des maisons sur pilotis ne règle rien : la mer peut parfaitement en attaquer les bases.
Les autorisations de construire ou d'aménager dans des zones soumises à des risques naturels ne doivent pas faire l'objet de permis tacites. C'est un enjeu de sécurité publique.
Enfin, installer une caserne de pompiers dans une zone soumise à des risques naturels peut nuire gravement à son caractère opérationnel. Le cas a été constaté en Vendée ou à Sommières, dans le Gard.
Enfin, il serait aussi temps d'instituer des plans de sauvegarde communaux et d'appliquer la loi, notamment en rendant applicables les plans de prévention des risques naturels spécifiques aux inondations (PPRI).