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Intervention de Didier Migaud

Réunion du 3 juin 2010 à 11h00
Comité d’évaluation et de contrôle des politiques publiques

Didier Migaud, Premier président de la Cour des comptes :

Monsieur le Président, messieurs les présidents de commission, monsieur le rapporteur général, mesdames et messieurs les députés, c'est un grand honneur pour moi de m'exprimer aujourd'hui devant le Comité d'évaluation et de contrôle de votre Assemblée en ma qualité de Premier président de la Cour des comptes. C'est également un plaisir, je ne vous le cacherai pas, que de retrouver les membres de ce Comité, auquel j'ai appartenu dans les fonctions qui étaient naguère les miennes au sein de la commission des Finances. Je réponds d'ailleurs volontiers à vos invitations : j'ai été auditionné la semaine dernière par cette même commission des Finances, à propos de l'acte de certification des comptes de l'État et du rapport sur les résultats et l'exécution budgétaire de l'exercice 2009, et je retournerai très bientôt devant elle, pour le rapport préliminaire au débat d'orientation budgétaire.

Je suis accompagné de Claire Bazy-Malaurie, présidente de chambre et rapporteur général, ainsi que de Jean-Yves Marquet, secrétaire général adjoint, et de Maximilien Queyranne, chargé de mission.

Je salue chaleureusement chacune et chacun d'entre vous et tiens à souligner que ces rendez-vous fréquents sont le signe d'une coopération sans cesse plus étroite entre la Cour et votre Assemblée. Ils témoignent également du caractère effectif de notre mission d'assistance au Parlement, consacrée par la dernière révision constitutionnelle et à laquelle je suis très attaché.

En effet, si la Constitution confie désormais au Parlement une nouvelle mission d'évaluation des politiques publiques, placée par l'article 24 au même niveau que le vote de la loi et que le contrôle de l'action du Gouvernement, le nouvel article 47-2 charge la Cour d'y contribuer par l'assistance qu'elle est invitée à apporter au Parlement et au Gouvernement dans ce domaine. Mon prédécesseur, Philippe Séguin, avait appelé de ses voeux cette évolution, qu'il jugeait essentielle à la modernisation des administrations publiques et je m'inscris pleinement dans la voie qu'il a tracée. Cette consécration constitutionnelle de l'évaluation des politiques publiques est, à n'en pas douter, une décision majeure.

Elle résulte d'une prise de conscience de l'impératif d'efficacité et d'efficience qui s'impose à l'ensemble des politiques publiques dans une économie mondialisée. Cette consécration répond également au souhait de nos concitoyens, qui attendent plus de transparence et une meilleure information sur les résultats réels des actions publiques engagées. Au moment où les marges de manoeuvre budgétaires sont limitées par la dégradation des finances publiques, l'évaluation des politiques publiques constitue l'un des rares leviers dont le Gouvernement et le Parlement ont la pleine maîtrise pour en dégager de nouvelles. Et c'est aussi, je le répète, une exigence démocratique.

La Cour, depuis des années, ne cesse d'appeler à l'évaluation d'un certain nombre de dépenses budgétaires, ou fiscales, sur l'efficacité desquelles elle s'interroge. La révision constitutionnelle est pour elle l'occasion de dépasser le stade de la recommandation pour devenir un des acteurs de l'évaluation des politiques publiques, étape qu'elle avait à certains égards anticipée. En la désignant pour vous assister, la Constitution a choisi une institution à même de délivrer une information qui présente toutes les garanties d'indépendance et d'impartialité. La Cour n'entend pas se dérober à cette nouvelle mission. C'est un choix qui nous oblige, mais également un défi pour notre institution.

Il nous revient à présent de définir les voies et moyens de notre coopération, afin que nous répondions au mieux à vos attentes, dans le respect de notre indépendance, consacrée par la jurisprudence du Conseil constitutionnel en 2001, et de ce que nos procédures ont de meilleur, en particulier la collégialité et le contradictoire, qui font l'autorité de la Cour –, ce qui n'exclut pas de les faire évoluer. C'est ce dont je suis venu aujourd'hui vous entretenir, en abordant tout d'abord les modalités de cette coopération, avant de vous proposer des méthodes de travail en commun.

En l'état actuel de la législation, votre Comité n'est pas encore en mesure de saisir la Cour d'une demande d'évaluation. Il faut pour cela que soit définitivement votée la proposition de loi, déposée par vous-même, monsieur le Président, qui tend à renforcer les moyens du Parlement en matière de contrôle de l'action du Gouvernement et d'évaluation des politiques publiques.

Au terme de son adoption en première lecture par les deux chambres du Parlement, cette proposition de loi donne au président de chacune compétence de saisir la Cour d'une demande d'évaluation d'une politique publique. Elle articule en outre la mission d'assistance de la Cour au titre de l'évaluation des politiques publiques et celle de contrôle de l'exécution des lois de finances et de l'application des lois de financement de la sécurité sociale.

Il ne m'appartient pas de m'immiscer dans le débat parlementaire. Je me permettrai néanmoins de souligner que, bien entendu, ces dispositions vont dans le sens des souhaits qu'avait exprimés mon prédécesseur Philippe Séguin, et ce à un double titre.

En premier lieu, la Cour n'a pas des moyens illimités. Elle n'est pas en mesure de répondre à des demandes d'assistance trop nombreuses, du moins en assurant la qualité requise pour des travaux destinés à la représentation nationale, et dans les délais prévus. Depuis plusieurs années déjà, la Cour transmet à la demande des commissions des finances et des affaires sociales de l'Assemblée nationale et du Sénat une dizaine de communications au titre des articles 58-2 de la LOLF et LO 132-3-1 du code des juridictions financières. Ces saisines augmentent chaque année. Ainsi, pour 2010, le Parlement nous a adressé dix-sept demandes d'assistance à ce titre, sans compter les participations aux trois missions d'évaluation et de contrôle de l'Assemblée nationale et du Sénat. L'instauration de ce que j'appellerai un « filtre » pour saisir la Cour répond à notre souhait et permettra une meilleure coordination des demandes d'enquêtes de chaque chambre du Parlement, qui parfois portent sur les mêmes sujets – ainsi en a-t-il été pour la grippe A.

En second lieu, la Cour est attentive à ne pas confondre son métier de contrôle et celui d'évaluation. Ces deux missions, tout à fait complémentaires, relèvent en effet de deux logiques distinctes. Dans le contrôle, même si le caractère contradictoire de la procédure en atténue les inconvénients, une nécessaire distance demeure entre le contrôleur et le contrôlé. Au contraire, la démarche évaluative est fondée sur une approche plus coopérative et constructive, même si des désaccords peuvent au final subsister, notamment sur les recommandations formulées.

La proposition de loi en cours d'examen ne lève toutefois pas l'ensemble des difficultés. L'organisation des juridictions financières et leurs procédures actuelles ne nous permettent pas toujours, non plus, de mettre en oeuvre de façon pleinement satisfaisante notre nouvelle mission d'évaluation. C'est la raison du projet de loi réformant les juridictions financières, déposé le 28 octobre 2009 sur le bureau de votre assemblée. Je souhaite qu'il puisse être examiné par vous dans les meilleurs délais.

Cette réforme, voulue par le Gouvernement, nous autoriserait à traiter sans restriction des enjeux actuels de la sphère publique, par une programmation plus coordonnée des travaux et par des procédures mieux adaptées à la nature des travaux d'évaluation. Nous pourrions ainsi examiner les politiques partagées entre l'État et les collectivités territoriales, dans les délais que vous souhaitez, à savoir douze mois. Nous pourrions tirer tout le parti de l'atout majeur dont bénéficient les juridictions financières et qu'elles ne peuvent exploiter pleinement à l'heure actuelle : un champ de compétences très étendu, permettant de suivre l'utilisation de l'ensemble des deniers publics, qu'il s'agisse des dépenses budgétaires de l'État, de celles des collectivités territoriales ou de celles de la sécurité sociale. La réforme ouvre ainsi la possibilité de procéder à l'évaluation des politiques publiques, quels qu'en soient les acteurs, locaux ou nationaux, tout en donnant aux futures chambres de la Cour en région la taille critique pour exercer cette nouvelle mission, sans porter atteinte à leurs missions traditionnelles de contrôle des collectivités et de leurs établissements. Ce projet de loi permettrait en outre de franchir une nouvelle étape dans la réorganisation de la Cour. Cette évolution est nécessaire pour que nous remplissions avec le maximum d'efficacité notre mission d'assistance dans l'évaluation des politiques publiques, à laquelle j'ai toujours été attaché.

D'ores et déjà, un décret en conseil des ministres du 19 mai dernier a rattaché pleinement à la Cour le comité d'enquête sur le coût et le rendement des services publics. Mme Claire Bazy-Malaurie en a été récemment nommée secrétaire générale. Cependant, le projet de réforme prévoit de substituer à ce comité un comité consultatif d'évaluation des politiques publiques, qui apportera le pluralisme indispensable à toute évaluation de politiques publiques en associant des élus nationaux et locaux, des personnalités qualifiées, des représentants de l'État et d'organisations syndicales des employeurs et des salariés.

Mais, sans attendre, il convient que la Cour vous assiste, dans la mesure de ses structures actuelles et de ses moyens, en matière d'évaluation des politiques publiques, comme la proposition de loi en ouvre la possibilité, et sur le champ de compétence limité par l'état actuel du droit. Cela étant, nous sommes tout disposés à anticiper le vote de la loi.

Cela m'amène à présent à vous proposer quelques points de méthode pour notre partenariat.

Nous gagnerions à instaurer un dialogue en amont sur la nature et l'étendue de vos demandes. Afin de répondre au mieux à vos attentes, il est important d'échanger sur les objectifs, les méthodes et l'organisation de l'assistance que nous serons amenés à vous apporter.

Ce dialogue nous permettra de vous faire part des informations dont la Cour dispose et qui pourraient être rapidement mobilisées à votre profit. Un seul exemple : vous souhaitez procéder à une évaluation de l'hébergement d'urgence dans les prochains mois. Sur ce sujet, la Cour a publié en 2007 un rapport thématique relatif aux sans domicile fixe, qui pourrait fournir une base de travail qu'il conviendra bien sûr d'actualiser et de compléter.

Ce dialogue sera également utile pour définir des sujets bien circonscrits, sur lesquels notre assistance débouchera dans les délais qui sont les vôtres. Si vous nous demandez d'examiner des sujets vastes, nous ne serons pas en mesure, j'insiste sur ce point, de vous répondre en douze mois sans porter atteinte à la qualité de nos travaux sur le fond, ou sans attenter à nos procédures qui sont définies par la loi et qui garantissent tant l'exactitude que l'impartialité de nos rapports – autant de garanties pour vous comme pour la Cour.

Une telle concertation préalable permettrait à la Cour de travailler avec une feuille de route précise et un cahier des charges clairement défini. La feuille de route, en particulier, méritera beaucoup d'attention de part et d'autre, afin que nous nous assurions en commun que la réponse correspondra bien aux attentes exprimées.

La Cour propose de mener ensuite comme à son habitude ses travaux en toute indépendance, ce qui bien entendu ne nous empêchera pas de tenir vos rapporteurs informés de leur avancement, afin de vous garantir le respect des délais que vous nous aurez fixés. Nos observations et conclusions vous seraient communiquées à l'issue d'un examen complet du sujet, tant l'évaluation ne saurait se satisfaire d'une analyse partielle ou inachevée.

Il nous faudrait par ailleurs convenir, en fonction du sujet, de l'expertise extérieure que la Cour mobilisera. Elle a acquis une compétence reconnue dans l'analyse de grandes politiques publiques, en particulier sur tout ce qui porte sur leur financement ainsi que sur l'organisation administrative. Pour aller au-delà et apprécier l'impact réel des politiques, elle pourra en tant que de besoin recourir à une expertise extérieure. Elle le fait déjà, par exemple en matière de santé, où elle fait de plus en plus appel à des médecins, ou bien de retraites, où elle a été récemment assistée par des actuaires. De ce recours, il est important que nous convenions ensemble, car il aura un coût. Il nous faudra donc discuter des voies et moyens d'en assurer le financement dans le cadre de vos demandes d'assistance.

À l'issue de ces travaux, l'ensemble des constatations de la Cour et des experts qu'elle aura mobilisés sera présenté dans un rapport, qui répondra à l'intégralité de la demande d'assistance que vous aurez formulée. Pour emprunter un terme usité dans l'industrie, la Cour se conçoit donc comme un « ensemblier » à votre service. Ses équipes seront ensuite à votre disposition pour être auditionnées, ou prendre part, à l'image de la pratique de la mission d'évaluation et de contrôle, aux travaux complémentaires de votre Comité.

Pour résumer, la Cour est désireuse de définir avec vous les conditions et les méthodes de sa démarche évaluative, afin de remplir au mieux sa mission d'assistance. Elle pourra le faire d'autant mieux qu'elle disposera d'une nouvelle organisation et de nouvelles procédures permises par le projet de loi réformant les juridictions financières. Dans l'attente, nous sommes disponibles pour avancer de manière pragmatique, et vous assister dans le développement de l'évaluation des politiques publiques, voire, si nécessaire, dans l'amélioration de l'efficacité et l'efficience des interventions des administrations.

M. Gilles Carrez, rapporteur général de la commission des Finances. La commission des Finances a une longue pratique du travail conjoint avec la Cour des comptes, travail qui se déroule toujours dans des conditions très satisfaisantes. Nous essayons de cerner les sujets d'enquête le plus en amont possible. Dans le cadre de la mission d'évaluation et de contrôle, nous examinons conjointement les travaux déjà conduits par la Cour, ceux qui sont en cours ou sur le point d'aboutir, pour articuler nos réflexions respectives. Indépendamment de la MEC, le programme défini au titre de l'article 58 de la LOLF fait aussi l'objet d'une coordination. Nous avons souhaité également que les rapporteurs spéciaux prennent contact, ne serait-ce que de façon informelle, avec les magistrats qui travaillent sur les mêmes sujets. La Cour a des moyens limités, il faut en tenir compte. En revanche, la coordination avec nos collègues sénateurs n'est pas toujours suffisamment rigoureuse mais nous nous efforçons de l'améliorer.

La création du Comité d'évaluation et de contrôle résulte du constat que certains sujets complexes, sur lesquels il nous faudrait le concours de la Cour des comptes, concernent plusieurs commissions et exigent une approche transversale. Il faudra veiller là aussi à une bonne articulation. Parfois, l'urgence nous prive de certains outils. Ainsi, les départements sont victimes d'un effet de ciseaux brutal sur lequel nous devons être éclairés, mais le Premier président m'a expliqué que l'organisation de la Cour pesait sur les délais de remontée des informations. Une mise à plat épargnerait à la Cour des demandes que les délais de réponse finissent par rendre caduques ou auxquelles il ne peut être répondu de manière satisfaisante dans les délais impartis.

La commission des Finances en est venue à privilégier des sujets pointus, plus circonscrits, de façon à mieux les approfondir. Il reste cependant des sujets transversaux qui relèvent du Comité et qui exigeront beaucoup de temps, de part et d'autre. Comment la Cour peut-elle répondre à ce type de demande ?

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