Depuis 2007, les multiplexes reçoivent de l'argent de la part des distributeurs, ce qui leur permet de financer leur équipement numérique par l'intermédiaire de tiers investisseurs privés. La présente proposition de loi introduit une régulation minimale, en veillant à assurer également le financement de l'équipement numérique des salles moyennes.
Mais que vont devenir les autres salles ? Le faible coût de la copie numérique ne risque-t-il pas de favoriser l'envahissement des écrans par les grandes productions ? Doit-on s'inquiéter du développement des programmes « hors film » ?
Par ailleurs, si le texte reconnaît le risque d'une inégalité territoriale dans l'accès au numérique et, par conséquent, celui d'une limitation de la diversité de l'offre de films en France, le dispositif retenu n'y répond qu'imparfaitement. Ainsi, le texte ne fixe aucun calendrier pour le passage total au numérique. Les exploitants et les distributeurs s'accordant à vouloir réduire la période de coexistence du numérique et de l'argentique, cette proposition de loi ne risque-t-elle pas d'accélérer l'équipement en numérique d'une partie seulement des cinémas ? Comment fera-t-on pour renouveler le matériel, sachant que le texte ne prévoit que le financement de l'équipement initial ?
Nous craignons que le nouveau dispositif ne fasse que prendre acte de la scission entre le cinéma de marché et le cinéma hors marché. La contribution obligatoire ne concernera que les quatre cinquièmes des salles, les plus rentables, dont les exploitants auront un poids suffisant pour négocier avec les distributeurs une contribution suffisamment élevée pour assurer leur équipement numérique.
D'ailleurs, le texte admet qu'environ mille établissements seront voués à vivre des aides du CNC et que les multiplexes ne participeront pas à l'équipement des salles indépendantes. Les contribuables français seront ainsi soumis à une double contribution : d'abord, pour abonder le CNC, ensuite, à travers les impôts locaux, pour que les collectivités territoriales puissent apporter leur soutien aux cinémas de proximité et facilitent, grâce à des tarifs adaptés, l'accès de tous à la culture.
L'exception culturelle française, fondée sur la solidarité du cinéma commercial et du cinéma d'auteur, nous semble ainsi remise en cause. Le texte fait confiance à la capacité d'autorégulation du marché, en prévoyant que les exploitants et les distributeurs fixeront librement le montant de la contribution. On peut imaginer que les grands réseaux de salles imposeront aux distributeurs indépendants des montants élevés, et qu'ils demanderont aux grands distributeurs des montants modestes, de manière à inonder le marché.
Par ailleurs, il est prévu que le CNC aide, via un fonds pour la numérisation des salles, quelque mille établissements, en couvrant 75 % de leurs investissements, dans la limite de 74 000 euros par an. Or ce fonds sera abondé par le Grand Emprunt, qui est une ressource temporaire et incertaine, et le CNC n'indique pas si le dispositif sera pérenne. La numérisation dépendra donc, pour une partie des salles, de l'aide financière des collectivités locales. Le risque est grand de voir les cinémas municipaux, les cinémas associatifs ou les cinémas d'art et d'essai augmenter leurs tarifs ou fermer leurs portes, alors qu'ils permettent l'accès de tous à la culture sur l'ensemble de notre territoire.
En conclusion, la présente proposition de loi remet en cause le système de financement traditionnel du cinéma français, qui repose sur la taxe spéciale additionnelle (TSA) et crée une passerelle entre le cinéma commercial et le cinéma d'auteur. En conséquence, nous avons déposé un amendement visant à créer une taxe sur les copies numériques, qui alimentera un fonds d'aide à l'équipement numérique, suivant la proposition du Groupement national des cinémas de recherche (GNCR) et de l'association Indépendants, solidaires et fédérés.