La question des terres agricoles est une question majeure en France, en Europe et dans le reste du monde. Ce matin même, à Budapest, j'ai eu une discussion à ce propos avec mon homologue hongrois et son collègue chargé de l'économie. Tout le monde en Europe comprend désormais l'importance de la question.
La situation n'est pas partout aussi préoccupante qu'en Afrique, où les terres agricoles sont rachetées massivement par la Chine et par certains pays du Golfe – cette question fera d'ailleurs l'objet d'échanges dans le cadre du G20. Cependant, certaines menaces existent. Dans les pays d'Europe centrale et orientale, comme on me l'a exposé ce matin, la menace vient du rachat des terres agricoles par des fonds d'investissement privés qui spéculent sur les produits agricoles – au point que la Hongrie a dû élaborer une loi, actuellement en cours d'adoption au Parlement, pour interdire ces achats par des fonds d'investissement étrangers.
En France et en Allemagne, les terres agricoles sont trop chères pour que ces fonds les achètent à des fins spéculatives, mais nous les dilapidons depuis des décennies à un rythme croissant. Comme l'a rappelé le rapporteur pour avis, nous perdons chaque année entre 70 000 et 75 000 hectares de terres agricoles, soit 200 hectares par jour. Cette situation ne peut plus durer et il nous faut prendre des dispositions fortes pour y mettre fin.
En Allemagne, pays que je connais bien et où je me rends pratiquement toutes les trois semaines, j'ai évoqué cette question avec mon homologue allemande et avec son collègue Wolfgang Schäuble, ministre des finances. L'Allemagne, qui perdait chaque jour l'équivalent de 120 hectares, s'est fixé pour objectif, par une loi adoptée voilà déjà trois ans, de limiter cette perte à 30 hectares d'ici à 2020. Bien que le territoire allemand soit plus petit et plus urbanisé que celui de la France, cet objectif est très ambitieux. Le dispositif établi à cet effet repose sur les offices d'aménagement rural mis en place au niveau des Länder, offices qui peuvent rendre un avis contraignant, ce qui leur permet de s'opposer à la mutation de terres agricoles, et peuvent appliquer à cette mutation une taxe pouvant atteindre 20 % du prix initial de la terre.
Le dispositif que nous mettons en place avec le projet de loi qui vous est soumis est calqué sur ce modèle allemand, en tenant compte des spécificités françaises et du rôle légitime des collectivités locales.
Il se compose donc, comme l'a exposé le rapporteur pour avis, de trois étages. Le premier est celui de l'observation. Dès mon arrivée au ministère de l'agriculture, j'ai demandé un état des lieux des terres agricoles françaises – leur valeur et leur rendement, région par région –, mais il a été impossible de l'obtenir. Toutes les décisions sont prises au niveau communal, départemental ou régional, sans aucune réflexion à long terme sur le capital agricole français. Je propose donc de créer cette fonction d'observation qui n'existe pas aujourd'hui.
Il semble également important que soient rendus à l'échelle départementale des avis associant toutes les personnes concernées par la mutation – y compris d'ailleurs des associations qui n'ont pas encore voix au chapitre. Après réflexion approfondie et de longues discussions avec l'Association des maires de France, il nous a semblé préférable que l'avis de la commission départementale soit simplement consultatif, afin d'éviter de déposséder les collectivités locales de leurs droits dans ce domaine.
La taxation des mutations est également indispensable, car un « tigre sans dents » n'est guère menaçant. Cette taxe serait un signal concret de notre volonté de nous opposer au rythme actuel de la perte de terres agricoles.
Je tiens à préciser que cette taxe, que la discussion parlementaire a fait évoluer, ne s'applique que lorsque le prix de la terre est multiplié au moins par 10, chiffre qui correspond plus à de la spéculation qu'à la transmission d'un patrimoine. Par ailleurs, le taux est fixé de telle sorte que la taxation maximale sur les terres ne puisse pas excéder 48 %. Enfin, il a été décidé d'affecter cette taxe à l'installation des jeunes agriculteurs. C'est une demande forte de ces derniers et c'est pour eux un signal politique fort. Nous vous proposerons donc de modifier le texte de loi pour indiquer plus clairement cette affectation. Je suis, pour ma part, ouvert à toute proposition qui irait encore plus loin dans ce sens, afin que l'affectation ne procède pas d'un décret du Gouvernement.
Ces éléments me semblent répondre aux préoccupations de Christian Patria. Je le rejoins tout à fait, en revanche, sur la crainte que le ministère du Budget reprenne d'une main ce qu'il a donné très difficilement de l'autre. Le fait de préciser dans la loi l'affectation de la taxe est une manière de verrouiller cette mesure et d'éviter que son produit ne soit repris.
Voilà les quelques précisions que je souhaitais apporter. Bien entendu, le débat reste ouvert sur ce sujet important. En tout état de cause, il faut stopper l'hémorragie de terres agricoles en France.
Deux remarques pour finir. Tout d'abord, la loi n'a de sens que si nous préservons notre capital agricole à l'échelle nationale. De fait, certaines mesures ont trop tardé et doivent maintenant être prises pour donner un signal d'arrêt. Par ailleurs, une régulation européenne des marchés est le complément indispensable des dispositions qui seront adoptées à l'Assemblée nationale.