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Intervention de Michel Bouvard

Réunion du 31 mai 2010 à 15h00
Projet de loi de finances rectificative pour 2010 — Reprise de la discussion

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaMichel Bouvard :

Madame la présidente, monsieur le ministre, monsieur le rapporteur général, mes chers collègues, le collectif budgétaire que nous examinons aujourd'hui s'inscrit dans la continuité de celui du 3 mai et vient conforter les mesures déjà prises pour faire face à la crise de la dette souveraine mise en évidence par les difficultés de l'État grec.

Comme le 3 mai, le groupe UMP apportera son soutien à ce dispositif directement inspiré – Gilles Carrez l'a rappelé – des mesures prises au niveau national avec la mise en place de la Société de financement de l'économie française au plus fort de la crise financière. L'adoption du mécanisme européen de stabilisation est, comme l'avait été la SFEF, une réponse à l'urgence de la crise. Il ne sera sans doute activé que partiellement, et il ouvrira des garanties plus que des crédits ; pour autant, ce dispositif ne doit pas nous interdire de nous poser les questions de fond sur la crise et sur les solutions à mettre en oeuvre.

Je veux tout d'abord rappeler ce constat : pour la première fois, la spéculation s'est attaquée à un État. Le risque de défaut est perçu comme accru depuis la crise et comme susceptible de concerner un pays, même s'il n'existe à mon sens pas d'instrument parfait pour mesurer le risque de défaut et si des signatures considérées comme sûres ont été soudainement fragilisées. Avant la crise, le risque de défaut de la Grèce était similaire à celui de la France ou de l'Allemagne ; pour autant les fondamentaux de l'économie grecque et de la structure budgétaire de la Grèce étaient déjà fortement différents. C'est dire que nous avons vécu à la faveur de la crise une accélération et une amplification des phénomènes de prise en compte de la problématique de la dette souveraine.

Cependant cette prise en compte n'est pas totale puisque les États-Unis ne sont pas affectés en raison de leur monnaie et de leur taille, malgré 7 000 milliards de dollars de dette et une prime de crédit défault swap, qui pourrait mesurer ce risque de défaut, identique aux États-Unis à celle du Royaume-Uni, de la France ou de l'Allemagne.

Cette accélération, cette amplification a en outre une portée limitée. La fragilisation de l'euro peut être considérée, à juste titre, comme le fait que le marché ne croit pas au risque de sortie de tel ou tel maillon faible de la zone qui aboutirait à une logique d'euro fort et qui devrait donc avoir un effet inverse sur le cours de la monnaie. Le marché est convaincu du fait que la solidarité au sein de la zone s'exercera, et elle s'exerce.

Pour autant cet impact limité ne doit-il pas nous conduire à aller au-delà des réponses urgentes et à nous poser les vraies questions ?

La première est celle de la gouvernance économique et monétaire de l'Union européenne. Je suis, monsieur le ministre, de ceux qui ont choisi de voter non au traité de Maastricht, qui n'ont pas ratifié le traité de Nice en raison même de cette insuffisance et qui se sont réjouis que le traité le plus récent, celui de Lisbonne, marque une volonté de progression dans cette gouvernance, même si des marges de progrès considérables demeurent et si cette évolution reste timide.

Je ne peux donc qu'être satisfait de lire dans l'exposé des motifs du projet de loi de finances rectificative : « L'Union européenne s'est engagée à améliorer la gouvernance économique européenne pour éviter qu'une crise de cette nature ne se reproduise. À la suite des propositions de la Commission européenne du 12 mai et dans le cadre du groupe de travail présidé par Herman Van Rompuy […], la France souhaite que les États membres de la zone euro prennent collectivement les mesures nécessaires pour élargir et renforcer la surveillance économique et la coordination des politiques économiques ». Sont évoqués le renforcement du pacte de stabilité et de croissance, la mise en place d'un cadre solide de gestion des crises et l'élargissement de la surveillance aux questions macroéconomiques et de compétitivité.

À ce stade, nous sommes encore dans l'intention et je souhaite que la volonté du chef de l'État et du Gouvernement permette d'aller au-delà. Il faudra poser le problème des objectifs et des missions assignés à la BCE : doit-elle être seulement garante de la valeur de la monnaie et de l'inflation ou aussi accompagner la croissance qui fait tant défaut à l'Europe, comme le fait la FED aux États-Unis dont c'est l'une des missions ? Cette révision des missions de la BCE est d'autant plus nécessaire que l'on peut s'interroger sur la lecture qui a été faite, durant la crise, des articles 125 et 123 du traité de l'Union, même si je me réjouis du fait qu'on ait su, à l'occasion, dépasser le dogme et que le principe de réalité l'ait emporté.

La coordination européenne doit-elle se limiter au seul respect du pacte de stabilité et d'un retour à une orthodoxie budgétaire, certes nécessaire mais qui en fonction de son rythme peut fragiliser la reprise naissante et encore timide, ou doit-elle s'intéresser à des mesures communes de soutien à la croissance, dans un marché intérieur, imbriqué et solidaire ? Les mesures de soutien à la filière automobile prises en Allemagne au titre de la prime à la casse n'ont-elles pas une incidence en France et vice et versa ?

Il nous faut éviter deux écueils : ne rien changer dans nos politiques économiques et budgétaires, ce qui serait suicidaire, mais aussi vouloir en quelques semaines, sous l'emprise des marchés, réduire la dépense publique à marche forcée, aboutissant inévitablement au scénario des États-Unis des années 30, ou du Japon des années 90.

De ce point de vue, la voie suivie par le Gouvernement depuis l'ouverture de la crise me paraît être la bonne avec des mesures conjoncturelles et une maîtrise structurelle des dépenses de fonctionnement dans la durée. C'est tout le sens du maintien de la contrainte sur le budget de l'État en termes de dépenses et de l'investissement d'avenir autour des infrastructures publiques et de la recherche.

La difficulté tient au fait que ces mesures restent dans un cadre national alors qu'elles mériteraient un cadre européen. Il est surprenant, pour ne pas dire stupéfiant, monsieur le ministre, que le budget de l'Union européenne n'ait été en aucune façon modifié ou réorienté depuis le début de la crise. Que se passera-t-il puisque 2010 est l'année de mi-parcours du budget européen ? Aucune mesure supplémentaire n'a été prise pour créer des relais de croissance par la recherche et les infrastructures. Autant nous savons nous battre pour la politique agricole commune, autant nous pouvons être interrogatifs sur la volonté collective des pays de l'Union de soutenir, au travers du budget de l'Union, une croissance européenne ; et je ne parle pas de la coordination indispensable entre les budgets des différentes nations.

J'en viens au dispositif de contraintes mis en place au niveau des États.

Il faut, comme l'a indiqué M. Van Rompuy, une surveillance plus en amont des indicateurs économiques des États membres et il convient de se pencher sur la fiabilité des statistiques européennes ; nous avons déjà évoqué ce sujet le 9 mai dernier. De ce point de vue, comme le faisait observer le premier président de la Cour des comptes la semaine dernière, la certification donne une grande transparence et une grande avance à notre pays. En revanche il est loin d'en être de même dans l'ensemble des pays.

Cela étant jusqu'où pouvons-nous aller dans le contrôle réciproque du budget de chacun des États de la zone sans dessaisir de leur légitimité chacun des parlements nationaux ? De ce point de vue, les propositions formulées par le rapporteur général au début de notre réunion, d'une présentation et d'un vote à l'Assemblée nationale sur le document d'engagement pluriannuel transmis à la Commission, me paraissent être une réponse démocratique qui marquerait une première étape dans la construction d'un dispositif d'engagement et de contrôle respectueux de l'autonomie de décision de chacun des États.

Tels sont les défis que nous avons à relever. Bien évidemment, nous devons approuver les mesures qui nous sont présentées. Elles constituent des mesures de crise, mais elles ne traitent pas le problème de fond de la gouvernance économique de l'Union européenne, de la gouvernance financière de l'Union ; elles ne traitent pas le problème de fond du rôle de la Banque centrale européenne et de la mission qui lui est confiée, pour lequel il faudra savoir dépasser les dogmes et convaincre nos partenaires allemands ; elle ne traitent pas vraiment la nécessité de réduire la dépense publique, de réduire la masse monétaire, sans pour autant aller à un rythme qui nous amènerait à casser le début de croissance que nous constatons, qui reste timide dans l'ensemble des pays de l'Union.

Nous espérons donc que la France, sous l'impulsion du Président de la République et du Gouvernement, pourra, comme depuis le début de cette crise, être à l'initiative pour savoir convaincre nos partenaires.

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