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Intervention de Pierre Moscovici

Réunion du 31 mai 2010 à 15h00
Projet de loi de finances rectificative pour 2010 — Discussion générale

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaPierre Moscovici :

Madame la présidente, monsieur le ministre, monsieur le président de la commission des finances, monsieur le rapporteur général, mes chers collègues, nous sommes appelés à discuter aujourd'hui du plan européen de stabilisation financière, qui doit permettre de sortir de l'ornière cette formidable construction qu'est l'euro, dont la crise grecque aura révélé avec cruauté les fragilités initiales.

Le groupe socialiste est attaché à la monnaie unique, qui est une réussite sans précédent, celle de la mise en commun, par de vieilles et puissantes nations, de leur souveraineté monétaire. L'euro est la principale réalisation de l'intégration économique de l'Europe. Il en est l'emblème et il apparaît comme la politique européenne la plus aboutie, alors qu'il ne figurait pas dans le projet initial des pays fondateurs, qui visaient plutôt une coopération commerciale, avec, comme objectif, l'union douanière et le marché intérieur. Il a fallu vingt ans pour construire cette communauté d'intérêts privilégiés. La zone euro représente également une avancée institutionnelle remarquable et reste le seul exemple d'unification monétaire au xxe siècle et en ce début de xxie siècle.

Je le dis à ceux qui s'interrogent, notamment à notre collègue Dupont-Aignan : oui, l'euro est une réussite et il nous protège. Je n'ose en effet imaginer la situation dans laquelle nous serions aujourd'hui, en pleine tourmente économique et financière, si, à la spéculation sur les dettes publiques ou sur la situation des États, s'était ajoutée une spéculation sur les monnaies. Rappelons-nous en effet la période, bénite selon certains, des taux de change flottants et des dévaluations compétitives : elle était marquée par des fluctuations de taux d'intérêt extrêmement brutales qui généraient une instabilité chronique et, s'agissant de la France, par une situation où les taux d'intérêt étaient en général beaucoup plus élevés que dans le reste de ce qui est aujourd'hui la zone euro, ce qui n'a cessé de nous pénaliser dans la recherche de la croissance et de l'emploi.

L'euro est donc un succès, une véritable protection pour nos économies, mais il n'est pas pour autant une garantie de croissance, d'autant qu'il s'agit d'un processus asymétrique. En effet, d'un côté, la politique monétaire et la gestion des taux d'intérêt sont confiées à une banque centrale indépendante, dotée de missions claires et univoques – la stabilité des prix et la lutte contre l'inflation – ; de l'autre, la zone euro demeure en grande partie dépourvue de coordination effective des politiques économiques et de gouvernance forte, permettant par là même le paradoxe qui a frappé la Grèce, celui d'une monnaie commune à plus de quinze nations, libres de poursuivre chacune leur politique économique propre – désormais orientée, hélas, vers la rigueur et l'austérité généralisées – et dès lors vulnérables.

Face à la spéculation qui a touché la Grèce puis qui s'est étendue à l'ensemble de la zone euro, les Européens ont cherché des réponses en tâtonnant ; ils ont choisi, à chaque fois, une solution hybride. Les montants en cause dans ce mécanisme communautaire d'intervention sont considérables : 750 milliards d'euros, dont 60 milliards seraient fournis par la BCE, 440 milliards par des prêts bilatéraux des États membres de la zone euro et 250 milliards par le FMI. Le montant des garanties revenant à la France s'élève, dans le présent projet de loi, à 111 milliards d'euros : c'est très loin, d'être négligeable, surtout lorsqu'on connaît le mauvais état de nos finances publiques.

Au reste, on ne peut que s'étonner de la décision du Gouvernement de laisser inchangé le calcul des conditions de l'équilibre financier de l'État figurant dans le projet de loi de finances initiale. Permettez-moi donc, monsieur le ministre – et je souhaiterais que vous me répondiez sur ce point – d'exprimer quelques doutes sur la sincérité des comptes publics.

Néanmoins, l'Europe ne pouvait pas, et ne peut pas, se dérober à la solidarité. Mais les Européens ont perdu un temps considérable ; ils ont réagi tardivement et de façon insuffisante. Ils sont restés en retrait dans la crise grecque, n'ont à aucun moment émis les bons signaux et ont mis beaucoup trop de temps pour envoyer un message de solidarité fort, de nature à calmer les marchés financiers et à enrayer la course spéculative. Ce sont précisément ces retards qui ont laissé se développer des risques de contagion, en révélant au grand jour les dysfonctionnements dont souffre l'Europe : manque de réactivité, incapacité du président de la Commission à mener ou à faire mener une action coordonnée, longues tergiversations du couple franco-allemand. Au total, il aura fallu attendre quatre longs mois pour que nous passions du principe à l'action. Il faut donc constater que la solidarité s'est exercée de manière très faible et contrainte et que la mollesse de la mobilisation ne semble pas suffire à décourager les spéculateurs. Bref, l'Europe en tant qu'espace politique de solidarité est encore à construire.

L'intégration économique n'est donc pas satisfaisante, loin de là, et elle doit encore être approfondie. Si je devais résumer ce qu'il convient de faire, je dirais que la gouvernance économique doit céder le pas au gouvernement économique. Les pouvoirs publics européens doivent assumer leur rôle et leurs responsabilités. Ils doivent instaurer un gouvernement économique afin de mener une politique commerciale volontariste, harmonieusement articulée à une politique macro-économique enfin définie à l'échelle européenne et fondée sur une véritable coordination des politiques nationales. Cette politique implique l'existence d'un budget communautaire notablement augmenté donnant des impulsions, une coopération entre les États membres, avec une véritable surveillance multilatérale, et un dialogue – ce n'est pas un gros mot – avec la BCE – qui a commencé il y a quelque temps – chargée d'une politique monétaire qui devrait prendre en compte, parmi ses objectifs, non plus seulement la lutte contre l'inflation et la stabilité des prix, mais aussi la croissance et l'emploi.

Ce plan de secours, bien que bienvenu, ne règle pas une autre question essentielle : il ne tire pas toutes les conséquences de l'instauration de l'euro. Puisqu'il y a une monnaie européenne, monsieur le ministre, il faudrait également un véritable budget européen appuyé sur un impôt européen et sur une capacité d'emprunt européen, avec la création de titres de dette européens que l'on pourrait appeler les « eurobonds ».

En effet l'Europe n'a pas, à ce jour, le budget nécessaire aux ambitions qu'elle doit porter. Elle n'a ni des dépenses adaptées aux défis du moment – modernisation de l'appareil productif, solidarité face aux disparités engendrées par les mutations en cours, amélioration de la compétitivité – ni les ressources indispensables à son ambition. D'où ce paradoxe qui nous rend vulnérables et explique le scepticisme par rapport à certaines paroles politiques : l'Europe affronte l'avenir avec les politiques communes héritées du passé, parfois relookées, mais globalement inchangées. Il s'agit d'une limite sérieuse, une limite à lever. Le budget de l'Union européenne, on ne le dit pas assez, est toujours plafonné à 1 % du PIB communautaire. Cette limite, qui a, certes, toujours existé, devient un handicap majeur au moment où nous devons faire face à la crise.

Loin d'être un sujet consensuel, la construction politique de l'Union a toujours fait l'objet d'un combat. Elle a connu des coups d'arrêt et des phases de ralentissement, parfois prolongées. Pourtant, comme le disait Galilée au sujet de la Terre, elle tourne ! Plus elle avance, plus elle progresse, plus elle élargit à la fois son périmètre et son champ, plus elle perd aussi, petit à petit, sa cohésion, plus elle devient hétérogène et inégale, moins gouvernable, moins lisible. Disons-le, l'Union est trop souvent dans la réaction ; elle ne se construit politiquement que dans la crise, dans l'urgence, dans la difficulté. Elle ne s'approfondit que lorsqu'elle est vraiment en danger.

J'ai le sentiment que la dérive intergouvernementale et le manque cruel de leadership européen font que nous assistons à un sursaut, à un réflexe de survie, et non à un nouveau départ, qui serait pourtant vital. Il est temps, mes chers collègues, et même grand temps, que l'Europe transforme ce nouvel outil de stabilité – que nous allons approuver – en véritable Fonds monétaire européen, comme l'Allemagne l'avait d'ailleurs proposé à un moment donné. Il est plus que temps qu'elle fasse de l'Eurogroupe un véritable gouvernement économique, articulé avec un Conseil ECOFIN lui-même renforcé, et qu'elle lui confie le pilotage de politiques économiques mieux coordonnées.

Enfin, il est indispensable que l'Union exploite sa capacité d'emprunt à des fins non seulement défensives, comme elle vient de le faire – la stabilité financière –, mais aussi offensives – le financement des grands travaux, des grands investissements – sans lesquels notre continent n'accrochera pas le train de l'économie de la connaissance. Il est nécessaire que se noue la discussion, si longtemps différée, sur un budget fédéral d'ampleur, financé par un impôt européen, consacré pour l'essentiel à la solidarité avec les régions en difficulté et à la modernisation de notre économie. Il est indispensable, aussi, que l'idée d'une agence publique européenne de notation voie le jour.

Autrement dit, monsieur le ministre, mes chers collègues, au-delà de l'approbation du plan de stabilisation financière qui nous est demandé aujourd'hui, il faut poursuivre l'action en faveur de la construction européenne. Comme je l'ai indiqué en répondant à M. Dupont-Aignan, il ne faut pas défaire l'euro, mais construire l'Europe. Celle-ci, c'est vrai, est toujours en mouvement et jamais achevée. Néanmoins nous devons être conscients du fait que la crise traversée actuellement par l'Europe n'est pas un banal accident de parcours ; elle n'est pas l'un de ces moments difficiles que nous avons déjà connus, mais un véritable tournant : nous avons le choix entre la refondation de l'Europe ou son déclin. Ce choix, nous ne l'avons pas fait, vous ne l'avez pas réellement fait. Il est temps, pour faire référence à la devise des Jeux olympiques, d'aller plus loin, plus vite, plus fort. C'est ce à quoi le groupe socialiste, qui votera ce projet de loi, vous invite.

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