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Intervention de Pierre Moscovici

Réunion du 31 mai 2010 à 15h00
Projet de loi de finances rectificative pour 2010 — Motion de renvoi en commission

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaPierre Moscovici :

…le malheureux Jaurès, devenu un tenant du nationalisme le plus étroit.

Ces deux motions, également défendues avec cohérence, l'ont été dans des styles différents, moins truculent sans doute, plus austère, de la part de M. Dupont-Aignan. On vous sait, mon cher collègue, avocat convaincu, presque obsessionnel parfois, du souverainisme : au cours d'une assez longue démonstration, vous avez ainsi brossé une fresque géopolitique et économique dans laquelle on se perd un peu, avec, au passage – pourquoi s'en priver ? – un peu de populisme, du type « UMP-PS ».

Pour ma part, je trouve que vous êtes toujours dans l'excès. Avec vous, c'est tous les jours Apocalypse now – que Jean-Pierre Brard me pardonne ces quelques mots d'anglais –, tout va toujours mal. Je ne nie pas que vous posiez des questions sérieuses, notamment lorsque vous affirmez que la zone euro n'est pas une zone monétaire optimale. C'est l'évidence : si elle l'était, nous ne serions pas là. Ce que cette crise – la crise grecque, d'abord, la crise européenne ensuite, la crise mondiale – met en valeur, c'est une asymétrie dans la construction de l'Europe entre, d'un côté, tout ce qui relève de la monnaie unique, notamment le système de banque centrale, ses objectifs précis, et, de l'autre, ce qui aurait dû être le gouvernement économique, la coordination des politiques économiques, et qui fait défaut. C'est précisément cette dissymétrie qui explique que les spéculateurs aient pu s'attaquer à certains maillons faibles, dès lors que nous avions des politiques économiques nationales et une monnaie unique.

Mais qui dit questions justes ne dit pas bonnes réponses. Votre propos, monsieur Dupont-Aignan, se caractérise par une grave illusion d'optique, cette idée que tout va mal, ce pessimisme noir qui voudrait que l'euro soit un échec en tout. Je n'ai pas le temps de développer l'idée contraire, et je me contenterai de reprendre la phrase de Jacques Delors : « L'euro protège, mais il ne dynamise pas. » Et c'est ce qui lui manque. Voilà pourquoi la réponse que vous apportez est mauvaise. Il ne s'agit absolument pas de démanteler, mais de renforcer, et c'est ce que nous commençons à faire aujourd'hui.

Vos fausses réponses se déploient dans trois directions. Vous commettez d'abord une erreur de diagnostic. Vous parlez de la déflation et des années trente, mais nous ne sommes pas dans les années trente, et les remèdes à la crise ne sont pas ceux utilisés à l'époque. On injecte des centaines de milliards d'euros, l'année dernière dans le système bancaire et cette année dans la défense de l'euro :c'est exactement le contraire de ce qui avait été fait alors.

Vous avez d'autre part une curieuse nostalgie pour les changes flottants et les dévaluations compétitives. Je ne me souviens pas que cela ait beaucoup profité à la France. Au contraire, notre économie avait alors des taux d'intérêt plus élevés que celles de nos voisins – notamment l'Allemagne – et, par conséquent, un potentiel de croissance beaucoup plus faible. C'est pourquoi nous avons connu une situation de chômage de masse aggravée.

Enfin, vous avouez une certaine convoitise pour ce qui se produit hors de la zone euro. Mais voyez la politique mise en oeuvre par le nouveau gouvernement conservateur libéral de Grande-Bretagne : il ne semble pas que la situation de ce pays soit très enviable.

Au fond, vous avez brossé un scénario du pire, qui ramène toujours, de manière obsessionnelle, à la nation. C'est votre credo, votre boussole – et c'est votre droit. Mais vous devriez réfléchir au fait que votre système présente un risque paradoxal : aboutir à ce que vous voulez combattre, c'est-à-dire à une petite monnaie unique, réduite autour de l'Allemagne – pays sur lequel, soit dit en passant, vous tenez des propos un peu étranges –, qui serait un noyau dur monétaire de monnaies fortes et qui, pour le coup, entraînerait une forme de déflation.

Pour ma part, je ne crois pas au repli sur soi national. Le moment est venu, au contraire, d'avancer dans la construction européenne. Vous avez tout à l'heure évoqué le fédéralisme, comme si c'était un gros mot. Ça n'en est pas un, à mes yeux. Nous avons besoin d'un budget fédéral, comme en ont les États-Unis, avec des politiques de solidarité, car c'est ainsi, et ainsi seulement, que nous pourrons construire l'Europe. Une Europe qui serait réduite aux nations serait une Europe affaiblie, dans un monde qui appelle de plus en plus les grands ensembles. Nous avons besoin de cette union qui fait la force et qui représente l'euro.

Le temps n'est pas venu de défaire l'euro mais, au contraire, de construire l'Europe. C'est précisément parce que nous avons avec vous une divergence de vues absolue que nous voterons contre votre motion. (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.)

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