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Intervention de Nicolas Dupont-Aignan

Réunion du 31 mai 2010 à 15h00
Projet de loi de finances rectificative pour 2010 — Motion de renvoi en commission

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaNicolas Dupont-Aignan :

Vous allez le voir, chère collègue.

Alors que nos banlieues craquent de partout et que le chômage de masse gangrène notre pays, croit-on sincèrement pouvoir infliger aux Français une cure de rigueur sans aucune perspective de croissance ? Quel avenir donnez-vous à la jeunesse de notre pays ? Bien évidemment, nous devons réduire notre endettement, maîtriser nos dépenses publiques et réformer nos structures publiques. Mais croyez-vous sincèrement que vous y arriverez par une politique malthusienne qui nous condamne au sous-investissement, au départ des talents, aux délocalisations vers un nouveau monde, comme la Chine ? Chine qui, d'ailleurs, ne se gêne pas, elle, pour laisser filer sa monnaie, éponger ses déficits par la planche à billets, imposer un protectionnisme déguisé, se livrer à la contrefaçon et au pillage technologique et investir massivement dans la science. Comment pouvez-vous refuser à la France et à l'Europe les politiques qu'utilisent les pays émergents pour gagner à nos dépens la guerre économique et scientifique du XXIe siècle ?

Voilà pourquoi il est préférable de concevoir une Union européenne souple, qui permette aux nations de coopérer ensemble pour dynamiser leurs atouts sans les étouffer. Or la monnaie unique n'est qu'un carcan uniformisateur, qui appauvrit la plupart des pays où elle a cours. Si l'on veut remettre sur pied notre pays, il faut donc en sortir au plus vite.

D'ailleurs, dans l'histoire économique et monétaire, aucun pays n'a pu faire preuve de rigueur sans, parallèlement, dévaluer sa monnaie pour redémarrer son moteur économique. Expliquez-moi, monsieur le ministre, comment l'Espagne et la Grèce rattraperont un retard de compétitivité de 40 % par rapport à l'Allemagne. J'attends votre réponse avec impatience. Expliquez-moi comment la France même rattrapera son retard de 20 %, soit à peu près la différence de croissance du taux de salaire depuis la naissance de l'euro. C'est impossible, et, au fond de vous-même, vous le savez.

En 1931, alors que la France s'accrochait aveuglément, et déjà pour le pire, au dogme du franc-or, la Grande-Bretagne avait dévalué sa monnaie de 40 % pour redémarrer. Le général de Gaulle, de retour au pouvoir en 1958, a dévalué le franc de 18 %, et a ainsi rétabli l'équilibre des comptes publics en très peu de temps. Songeons aussi aux précédents de la Suède en 1992 et de l'Argentine en 2001, qui, après s'être accrochée pendant trois ans au dollar, comme on l'y obligeait, a bien évidemment été obligée de dévaluer pour sauver les meubles. Dernier épisode en date : Londres, depuis un an, a recommencé à laisser filer sa monnaie de moins de 25 % – et même davantage –, et voit déjà son commerce extérieur redémarrer.

Oui, la rigueur est nécessaire ; mais le moteur économique doit aussi pouvoir fonctionner. Mme Lagarde me cite toujours l'exemple du Canada, et peut-être, monsieur Baroin, ferez-vous de même. Mais je me suis renseigné. Le Canada a pu redresser ses comptes grâce à une forte augmentation des recettes pétrolières au moment où le prix du baril augmentait. Il a été possible, bien sûr, de faire preuve d'une gestion économe et intelligente, mais il existait aussi des ressources extérieures.

Voilà pourquoi, que vous le vouliez ou non, il n'y a pas d'autre issue que le retour aux monnaies nationales pour permettre aux pays du sud et à la France de rattraper leur retard de compétitivité. Le choix est en vérité très simple : soit préparer la retraite en bon ordre et dans le calme, hors de l'euro, soit subir la déroute de la fin de l'euro dans des difficultés sociales considérables, et mettre en péril la construction européenne elle-même, dont certains acquis méritent évidemment d'être conservés.

Alors, je le sais, on va encore me dire que c'est impossible, que ce serait la fin du monde. Je veux répondre à ces mauvais arguments, qui relèvent souvent du sophisme, pour ne pas dire du syllogisme. On entend dire que la situation serait pire sans l'euro. Balivernes ! Tout d'abord personne n'en sait rien, puisqu'il est impossible de savoir quelle aurait été la trajectoire des économies européennes depuis vingt ans sans l'euro. Ce dont on est sûr et que l'on constate, en revanche, c'est la désindustrialisation massive, le chômage de masse ; ce que l'on voit, ce sont toutes ces jeunes générations qui, dans nos cités, sont sans avenir et condamnées au chômage. Voilà ce que l'on connaît depuis la politique du franc fort et l'euro, ce fameux Munich social dont parlait Philippe Séguin.

En retrouvant la maîtrise de notre politique monétaire, nous pourrions, comme d'autres pays, gérer enfin notre taux de change, monétiser certains de nos déficits, comme l'ont fait discrètement la Banque d'Angleterre ou celle du Japon, relancer l'investissement dans l'économie productive, relocaliser les activités, résorber le chômage, réduire les déficits sociaux et la dette. Ce ne serait pas de trop pour notre pays, qui se paye le luxe incroyable de cumuler un déficit chronique du commerce extérieur et une réserve immobilisée de bras qu'il doit payer à ne rien faire.

Bien sûr, il y aura des gagnants mais aussi des perdants ; et ce sont eux qui font pression pour éviter le scénario que je viens de décrire : je veux parler des banques qui, personne ne peut le nier, ont fait main basse sur la création monétaire. Elles verraient bien sûr d'un très mauvais oeil l'abrogation de l'article 104 du traité de Maastricht et, pourquoi pas, le rétablissement du pouvoir exclusif de la Banque de France de frapper monnaie, grâce à la révision de la loi de 1973. Mais comment peut-on accepter un système dans lequel les banques se refinancent à 1 % et prêtent à 3 % ? Pourquoi a-t-on privatisé la création monétaire ? Sujet tabou entre tous.

D'autres aussi pleureraient sur la disparition de l'euro : les plus grosses entreprises, qui assomment les sous-traitants et se jouent des normes sociales, fiscales et environnementales en délocalisant toujours plus ; les plus aisés, qui profitent d'une monnaie chère et vantent la rigueur car elle s'applique toujours aux autres ; les gros détenteurs de capital également ; bref, tous les rentiers, et ce alors que les actifs s'appauvrissent en travaillant, quand ils ont encore la chance de travailler.

La sortie de la France de l'euro ferait couler quelques larmes, mais susciterait la joie du plus grand nombre, de ces 69 % de Français qui, selon les sondages, regrettent le franc et de ces 38 % – dont 47 % des classes actives – qui veulent d'ores et déjà son retour.

Notre rôle est de répondre aux besoins du pays, de privilégier l'intérêt national, de relancer le moteur économique, d'aider nos PME, nos agriculteurs, d'offrir un avenir aux jeunes et de pouvoir payer nos retraites. Pour cela, nous le savons tous, il faut non seulement une gestion plus rigoureuse des finances publiques, mais il faut pouvoir la décider.

Si nous sortions de l'euro, ce ne serait pas la France – ni l'Italie d'ailleurs – qui en pâtirait, mais bel et bien certains de ses fournisseurs et clients, à commencer par l'Allemagne, dont l'excédent commercial fondrait enfin. C'est donc l'Allemagne qui en ferait les frais, au moins dans un premier temps. Mais nous laisse-t-elle le choix, elle qui veut nous imposer l'euro-déflation pour prix de son engagement européen ? Peut-elle continuer à faire cavalier seul sans comprendre que nous ne pouvons pas perdre plus longtemps notre vitalité économique ?

On me dit aussi que la sortie de l'euro serait techniquement impossible. Encore un énorme mensonge : la France est parfaitement capable de sortir de l'euro comme elle y est rentrée. Ce ne serait pas le premier pays dans l'histoire monétaire à changer de monnaie. De surcroît, la Grèce, le Portugal et l'Espagne vont à coup sûr la précéder : je ne vois pas comment la Grèce, en particulier, pourra ne pas sortir de la monnaie unique dans les années qui viennent. Même des économistes très favorables à l'euro – comme, ce matin, dans Les Échos, Kenneth Rogoff – imaginent aujourd'hui que certains pays devraient se mettre en « congé sabbatique » de l'euro – la belle expression ! – pendant dix à quinze ans. C'est élégamment dit pour sauver la face des défenseurs du dogme.

Il faut aussi bien sûr imaginer un système de coordination monétaire, qui pourrait d'ailleurs inclure la livre et les monnaies des pays qui ne font pas partie de la zone euro.

De ce que vous croyez être une catastrophe peut donc sortir un bien. Car pourquoi ne pas rebâtir un système monétaire européen coordonné ? La monnaie commune – et non pas unique –, évoquée par de très nombreux économistes – et récemment par Jacques Sapir –, peut être une intelligente solution de compromis pour sortir de la crise. Ce serait le principe d'un euro monnaie non unique, venant chapeauter les monnaies nationales dans un cadre où les parités seraient fixes mais régulièrement révisables. Ce serait la seule solution pour gérer l'hétérogénéité des dynamiques économiques, en dehors de l'hypothèse d'un budget européen vraiment important, qui est aujourd'hui une impossibilité politique totale.

Enfin, il conviendrait de protéger cet ensemble contre de nouvelles attaques spéculatives et, pour cela, d'introduire des mécanismes de contrôle sur les mouvements de capitaux à court terme.

Mais cela impliquerait que l'on prenne enfin acte de la diversité de l'Europe pour bâtir la seule construction européenne possible, celle des nations et des projets. Car, contrairement à ce qui est répété en boucle pour impressionner les âmes faibles, l'Union ne fait la force que si elle s'appuie sur des réalités et les valorise. L'Europe supranationale, boulimique, bureaucratique est condamnée par l'histoire.

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