Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, nous voici à nouveau réunis pour examiner les conséquences sur notre loi de finances du deuxième plan de sauvetage européen soutenu par le Gouvernement.
Après nous avoir demandé, il y a un mois à peine, l'engagement de la France en faveur de la Grèce pour 17 milliards d'euros, vous nous demandez, monsieur le ministre, d'engager la garantie de notre pays pour 110 milliards d'euros supplémentaires.
Pour nous rassurer, vous nous expliquez qu'il ne s'agit que d'une garantie que vous ne serez pas obligé de mettre en oeuvre. Vous voulez nous convaincre que, grâce à cette garantie, nous allons à la fois désamorcer la crise de l'euro et sauver notre argent.
Je veux vous démontrer, par cette motion de renvoi en commission, que vous allez tout au contraire gaspiller des sommes considérables, creuser notre dette, accabler un peu plus le peuple français, sans bien sûr résoudre la crise structurelle de l'euro.
Vous croyez gagner du temps et éviter le chaos. Vous allez tout au contraire accélérer la décomposition de la zone euro, et cela pour deux raisons majeures. D'une part la politique économique et financière des dirigeants européens est totalement incohérente ; d'autre part le système monétaire sur lequel elle s'applique est frappé d'un vice de conception.
Tout d'abord, vous ne voulez pas reconnaître ce vice de conception de la monnaie unique. Vous ne voulez pas porter le bon diagnostic sur la crise de la zone euro. Vous voulez croire que la crise est seulement conjoncturelle et qu'il suffirait de remettre un peu de raison dans la gestion des finances publiques grecques – ou même françaises – pour repartir du bon pied.
La vérité est bien différente et tant que vous ne le reconnaîtrez pas, vous n'appliquerez pas le bon remède.
La crise de l'euro n'est pas conjoncturelle, elle est bien sûr structurelle. Vous faites mine d'avoir affaire à un problème transitoire de liquidités des économies du Sud et de la France, alors que vous faites face à un problème durable de solvabilité, conséquence même de l'existence de la monnaie unique.
Cette crise structurelle de la zone euro est connue depuis des années. Nombreux sont les économistes qui l'ont pointée du doigt. De surcroît, la surévaluation de l'euro, fruit du dogmatisme de la Banque centrale européenne, a aggravé les difficultés.
Jean-Jacques Rosa, Jacques Sapir, Michel Aglietta, deux prix Nobel – Maurice Allais et Joseph Stiglitz – et beaucoup d'autres ont mis l'accent sur la divergence de plus en plus forte des principaux pays de la zone euro. Elle se manifeste par des faits : un accroissement depuis 2000 des différences dans le domaine de l'emploi, de l'épargne, de l'investissement, de l'inflation, de la croissance et de la balance des paiements.
Alimenté par les différences de dynamiques économiques et accentué par la politique allemande qui a cherché à profiter de sa position dans la zone euro en transférant une partie des charges de ses entreprises vers les ménages, ce phénomène a induit des distorsions de productivité considérables.
On a vu le déficit du commerce extérieur de pays comme l'Espagne, l'Italie, l'Irlande et la Grèce augmenter de manière très importante. Sans parler de la France dont le déficit extérieur approche les 50 milliards d'euros.
Ce sont bien ces différences de dynamique qui sont à la base de l'endettement de la majorité des pays de la zone euro. Vous connaissez bien le schéma qui compare l'évolution des balances commerciale vis-à-vis du PIB et qui prouve cette divergence : l'augmentation continuelle de celle de l'Allemagne, la baisse de celle de tous les autres pays. Il est très clair, limpide.
Lors du débat sur le traité de Maastricht, on nous disait : « Dormez tranquille : l'euro va apporter la croissance, faire converger les économies, nous protéger de la spéculation, nous permettre d'assainir nos finances publiques. »
Il n'en a rien été, bien évidemment, pour la raison simple que la zone euro n'est en rien une zone monétaire optimale : sans mobilité des travailleurs, pas de transferts financiers.
Dans ces conditions, ce qui devait arriver est arrivé : les pôles les plus compétitifs n'ont fait que se renforcer, surtout quand ils profitaient des commandes et de l'endettement facile des pôles les moins compétitifs qui ont pu sans souci – au moins dans un premier temps – laisser se développer un déséquilibre de leur balance commerciale.
L'Allemagne était bien contente de gonfler son excédent commercial vis-à-vis des pays du sud qu'elle accuse à présent de mauvaise gestion.
Si les dirigeants grecs ont mal géré leurs finances publiques, on n'a pas le droit de dire la même chose des dirigeants espagnols. Leur budget était toujours équilibré et même cité en exemple. C'est bien l'application d'une monnaie unique, d'un taux d'intérêt unique, à des structures économiques différentes qui a généré, en Espagne, une bulle immobilière et une dette privée considérable.
De même, c'est l'absence d'ajustement monétaire comme par le passé qui, en Italie et en France, a asphyxié les entreprises, a entraîné les délocalisations, a fait exploser le coût social et financier du chômage et réduit les recettes fiscales et sociales, aggravant les déficits et la dette.
Insuffisance de croissance liée à un euro surévalué, concurrence exacerbée entre des pays qui ne jouent pas dans la même division économique, telles sont les raisons qui ont naturellement conduit à compenser le manque de création de richesse par les déficits.
La monnaie européenne a aussi été un « euro morphine » qui a permis – au moins au début – de s'endetter sans douleur pour payer les dépenses courantes. S'il a servi de bouclier, ce n'était que pour protéger nos vices ! En effet, comment donner le moindre crédit au mythe de l'euro bouclier ? Cet euro, qui ne nous a pas prémunis contre nous-mêmes, ne l'a pas fait davantage contre l'extérieur.
L'Europe a connu une récession plus violente que les États-Unis d'où la crise est pourtant partie, et elle est en train d'en sortir beaucoup plus tardivement et difficilement qu'eux. La comparaison des performances économiques en atteste : en 2009, la récession était de 4 % en Europe et de 2,5 % aux États-Unis ; en 2010, la croissance prévue est de 1 % en Europe et de 3,5 % aux États-Unis. Joli bouclier !
Puis, les marchés ont attaqué la zone, faisant mentir la dernière promesse d'un euro stabilisateur des économies européennes.
Échec sur la croissance, échec sur la convergence, échec sur la dette, échec sur la spéculation : quatre échecs pour quatre promesses, cela fait beaucoup !
C'est cette zone monétaire anti-optimale que les marchés mettent actuellement à l'épreuve. Certes, ils amplifient les phénomènes, mais vous n'avez ni voulu ni pu les dompter car, tout simplement, au-delà de leurs excès, ils ne font que traduire une certaine réalité à un moment donné.
Même groggy à force de se fracasser la tête contre le mur de la réalité, l'Union européenne prétend encore jouer les passe murailles ! Vous avez tellement fait de l'euro, à tort, le symbole de l'Union européenne, un véritable dogme d'une nouvelle religion, que vous n'arrivez pas à admettre son échec.
Le comble c'est que les dirigeants européens ne se donnent même pas les moyens de mener une politique cohérente pour au moins en adoucir les effets les plus néfastes. Vous prétendez vouloir sauver l'euro, mais votre politique va le tuer et l'enterrer définitivement.
À un système déjà difficilement tenable, vous ajoutez une politique économique et financière totalement incohérente. C'est la deuxième raison pour laquelle votre plan ne peut qu'échouer. Vous êtes comme des enfants qui veulent toujours ajouter une brique supplémentaire à une construction qui penche déjà dangereusement, jusqu'au jour où, patatras, tout s'écroule.
En effet, votre plan de 750 milliards d'euros n'est qu'un leurre. Vous ne cessez de dire qu'il n'y a pas d'autre solution, mais cela est tout sauf une solution. C'est une ineptie économique et politique. La potion amère que vous infligez aux pays du sud – maintien dans la monnaie unique sans dévaluation et déflation interne pour soi-disant rétablir leur activité – ne peut mener qu'au désastre, comme vous le savez.
Le processus est bien connu. La diminution de la dépense publique en période d'assèchement de la dépense privée plonge l'économie dans une récession cumulative, faisant exploser le chômage et les dépenses d'assistance sociale, tarissant parallèlement les recettes fiscales et faisant au final exploser encore plus les déficits et la dette.
Faut-il donc que les leçons du XXe siècle aient à ce point été mal apprises ou oubliées ? Souvenez-vous, ce n'est pas l'inflation qui a mené au désastre à la fin des années trente, mais bel et bien la déflation, cette cure d'amaigrissement qui affaiblit tellement le sujet à qui on l'applique qu'il manque d'en mourir, au prix d'un lourd retard économique et d'importants.
C'est ainsi que Pierre Laval et ses amis ont mis la France au supplice entre 1931 et 1936, affaiblissant son industrie jusqu'à un niveau jamais atteint. La politique de relance menée par le Front populaire à partir de 1936, outre ses inconvénients – telle la loi des 40 heures –, ne fut pas assez vigoureuse, en effet, pour réparer les dégâts énormes de cette déflation mortifère. D'ailleurs, il est particulièrement cocasse de voir aujourd'hui le parti socialiste voler au secours d'une politique européenne archaïque, anti-sociale et anti-économique, dont il avait logiquement et heureusement pris le contre-pied il y a soixante-quatorze ans. Bravo, chers collègues socialistes, pour le progrès de votre pensée économique !
La déflation fut aussi, en Allemagne, le carburant le plus efficace, comme vous le savez, pour hisser Hitler au pouvoir. La preuve : la politique de déflation engagée par Brüning en 1932 permit au parti nazi de doubler ses voix aux élections de juillet de la même année.
Cette impasse économique de l'austérité se double toujours, en effet, d'une impasse sociale puis politique. Les cures d'austérité vont mettre au supplice des peuples qui ne les supporteront pas longtemps et se révolteront à juste titre contre des politiques sacrificielles, dignes des prescriptions du célèbre Diafoirus de Molière, politiques qui ne résolvent même pas les problèmes qu'elles prétendent traiter. Avez-vous entendu parler, aujourd'hui même, de ces entreprises pharmaceutiques qui retirent du marché grec certains médicaments dont l'État veut voir baisser les prix ? Ces politiques seront d'autant plus mal supportées qu'elles sont imposées aux gouvernements légitimes par des autorités illégitimes. Comment imaginer fonder une gouvernance économique via les mesures autoritaires d'une Commission de Bruxelles et d'une Banque centrale européenne toutes deux incapables, depuis dix ans, de forger un horizon commun aux peuples d'Europe ?
En effet, on va soumettre l'ensemble des pays de la zone aux politiques de déflation, dont la Grèce – et bientôt l'Espagne – n'est que le laboratoire. Comment nous, élus de la nation, pourrions-nous accepter d'être dépossédés par une autorité non élue, sans autorisation ni mandat exprès du peuple français, de la souveraineté budgétaire ? En aurions-nous seulement le droit ? Et que signifierait d'autre la constitutionnalisation de l'interdiction du déficit public, que veulent aujourd'hui nous imposer Berlin et Bruxelles ?
Lorsque l'on prend ainsi le pouvoir par la force, c'est manifestement que l'on veut mettre en oeuvre des politiques qui ne seront pas acceptées par les citoyens et leurs élus. C'est bel et bien le cas en l'occurrence, puisque le « gouvernement économique européen » que l'on nous promet n'est rien d'autre qu'un hyper-pacte de stabilité. Et peu importe que son prédécesseur ait déjà échoué par le passé ; peu importe qu'il ait été contourné par ceux-là mêmes qui prétendent aujourd'hui le renforcer ; peu importe que les politiques qu'il induit soient, encore une fois, contreproductives. Je vous le demande : à quoi bon créer un gouvernement économique européen si c'est pour reproduire, en pire, les erreurs du passé ?
En définitive, monsieur le ministre, comment pouvez-vous nous demander d'apporter la garantie de la France pour 110 milliards d'euros – excusez du peu –, tout en soutenant une politique d'ajustement qui empêchera les pays que vous prétendez aider de s'en sortir, donc de nous rembourser ? La Grèce, vous le savez déjà, ne pourra pas nous rembourser. Mais les banques sont habiles : elles seront remboursées, elles, et c'est le contribuable qui sera une nouvelle fois le dindon de la farce.
Vous le voyez, mes chers collègues, ce n'est pas en plaquant un mauvais plan de sauvetage sur un système monétaire vermoulu que l'on pourra sortir les pays de la zone euro du piège dans lequel ils se sont mis.
Quelle est donc la solution ?