Les collègues qui m'ont précédé l'ont exprimé avec suffisamment de clarté et l'ont dit, si j'ose m'exprimer ainsi, en lettres de feu ! Je le répète, nous sommes contre. Et nous avons pris des engagements pour revenir sur ce mauvais texte et cette mauvaise création qui est une sorte de « zinzin » bizarroïde, une hybridation des fonctions du conseiller général et du conseiller régional.
Aux motifs qui ont déjà été évoqués, j'ajouterai la situation curieuse que vous faites à l'outre-mer, et singulièrement à la Réunion et à la Guadeloupe. Permettez-moi de vous raconter une histoire brève, mais édifiante.
Pendant des siècles, avec une intensité plus forte au cours des dernières décennies, toutes les populations des outre-mers ont évolué entre un rattachement fort à la République et une velléité d'indépendance ou d'émancipation. Dans l'histoire des outre-mers, que ce soit chez moi en Guadeloupe, ou en Martinique, en Guyane, à la Réunion – et je ne parle pas de la Nouvelle-Calédonie ni des autres îles –, la vie politique a été rythmée par deux extrêmes : un conservatisme assez frileux et la tentation de s'émanciper. Chaque élection est rythmée par ces deux pôles.
Pour répondre à cela, en 2003, il n'y a pas si longtemps – je venais moi-même d'être élu –, la Constitution a été révisée. Pour lutter contre les tentatives de largage, contre l'esprit cartiériste qui existe en métropole, et aussi contre les velléités indépendantistes, on a inscrit nommément, dans le texte même de la Constitution, toutes les collectivités d'outre-mer françaises. Tous les noms y figurent : la Guadeloupe, la Martinique, Wallis-et-Futuna, etc.
On a également répondu à une autre exigence. L'histoire fluctue et les gens veulent nécessairement évoluer et moderniser leurs institutions, avoir la meilleure gouvernance possible, en tout cas la moins mauvaise. Aussi a-t-on permis dans la Constitution un certain « évolutionnisme ». Or le texte dit que « la création par la loi d'une collectivité se substituant à un département et une région d'outre-mer » – on supprime le département et la région et on crée une collectivité sui generis – « ou l'institution d'une assemblée délibérante unique pour ces deux collectivités ne peut intervenir sans qu'ait été recueilli (…) le consentement des électeurs inscrits dans le ressort de ces collectivités ». L'assemblée unique délibérante est un peu à l'image de la ville de Paris, qui cumule les fonctions et les compétences du conseil général et d'une commune, avec un exécutif unique. Bertrand Delanoë n'est pas seulement maire, il est aussi président de conseil général.
Pour répondre à cette exigence constitutionnelle, vous proposez la rédaction suivante : « Il est composé des conseillers territoriaux qui siègent dans les conseils généraux des départements faisant partie de la région ». C'est là qu'on voit la nature et la philosophie même de votre texte, et qui nous oppose fondamentalement. Pour notre part, nous souhaitons une démocratie territoriale et citoyenne épanouie, ainsi que l'a excellemment exposé Michel Vauzelle.
Dans le territoire qui me concerne, le nombre d'élus va passer de 81 à 38, à la Réunion il passera de 94 à 43. Il y aura donc une réduction drastique du nombre d'élus. C'est une loufoquerie institutionnelle ! On en revient à ce qui a existé à partir de 1972, l'EPR, l'établissement public régional, à la différence que ceux qui y siégeaient étaient nommés par le conseil général et non élus par les citoyens. Il s'agit donc d'une régression démocratique.
La Guadeloupe est une région monodépartementale. Aussi faudrait-il rédiger, pour ce qui nous concerne, l'article 1er de la façon suivante : « Il est composé de conseillers territoriaux qui siègent dans le conseil général du département faisant partie de la région ». Vous instaurez donc une confusion qui constitue l'essence même de votre texte. Votre projet est donc anticonstitutionnel. Et c'est l'un des arguments phares que nous emploierons dans le différé que nous ne manquerons pas de faire sur ce mauvais texte.
Par ailleurs, vous supprimez allégrement l'obligation d'une consultation de type référendaire, cette consultation populaire qui permet de recueillir au préalable le consentement des populations. M. Marleix vient de faire une ouverture en proposant de revoir le nombre d'élus, mais il était quelque peu gêné. Je rappelle qu'il y a eu, l'année dernière, en Guadeloupe, quarante-quatre jours de mouvements sociaux importants. Le Président de la République est venu après le congrès des élus départementaux et régionaux – cette disposition est issue de la loi d'orientation pour l'outre-mer de 2000 – destiné à régler les problèmes institutionnels. Ce congrès traite tous les sujets, y compris les problèmes économiques. Et je puis vous dire qu'il n'y a pas de concurrence entre le département et la région ; il y a tout au plus une émulation. Au cours de ce congrès, en juin 2009, nous avons décidé de nous donner dix-huit mois pour présenter un projet pour la Guadeloupe, à la différence de nos amis Martiniquais et Guyanais, compte tenu de l'état de l'opinion publique guadeloupéenne – en 2003 déjà, les électeurs guadeloupéens avaient rejeté, à 75 %, le projet de création d'une assemblée unique. Après acceptation du Président de la République, nous avons donc jusqu'au 26 janvier 2011 pour statuer sur la situation guadeloupéenne.
Je n'évoquerai pas la situation de l'île de la Réunion qui a refusé dans le texte de la Constitution un certain nombre de prérogatives – en la matière, je crois que vous aurez encore plus de problèmes, y compris avec votre propre majorité. Je reviens de Bruxelles où tous les présidents de régions ultrapériphériques étaient réunis. J'ai discuté avec mon collègue Didier Robert qui siège sur les bancs de la majorité et qui m'a dit ne pas arriver à expliquer à ses amis du Gouvernement que le présent projet ne passera pas à l'île de La Réunion. Comment pouvez-vous soumettre un tel texte sans consulter préalablement les populations ?
Monsieur le ministre, la réponse que vous avez donnée n'est pas satisfaisante, pour ne pas dire qu'elle est fausse. Vous prétendez que la création d'une assemblée unique par une même élection ne commande pas la consultation préalable des populations. Mais vous avez tort. Vous devrez consulter les populations. C'est la raison pour laquelle je vous demande d'accepter l'amendement qui vise à exclure du champ d'application de l'article 1er la Guadeloupe et l'île de la Réunion. Vous avez déclaré que le Conseil d'État avait donné un avis favorable, mais vous vous trompez, car le texte qui lui a été soumis ne comportait pas cette rédaction.
Le Sénat a rejeté un projet d'ordonnance. Aujourd'hui, vous êtes dans une impasse. Tel qu'il est rédigé actuellement, votre texte est anticonstitutionnel et nous le combattrons jusqu'au bout. (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.)